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Tsunami : Pourquoi il n'y a pas eu d'alerte au fenua


Tahiti, le 17 janvier 2022 – Entre faiblesse du risque de submersion, vigilance météorologique rouge en cours sur la Société et temps de réaction court en pleine nuit, les autorités n'ont pas déclenché d'alerte tsunami en Polynésie française ce week-end après l'éruption volcanique aux Tonga. Explications détaillées…
 
Souvent raillées ces dernières années pour avoir surestimé les alertes tsunami, les autorités polynésiennes ont au contraire été accusées ce week-end d'avoir manqué de réactivité après l'alerte causée par l'éruption du volcan Hunga Tonga-Hunga Ha'apai aux Tonga. Pas toujours facile, en effet, d'expliquer qu'une vaguelette de 30 cm a traversé la Polynésie française, pour qu'une vague de 2 mètres déferle ensuite sur les côtes sud-américaines. Et pourtant, c'est exactement ce qui s'est passé…
 
“Un temps très court”
 
Comme l'explique le directeur du Laboratoire de géophysique (LDG) à Pamatai, Stéphane Quema, ce sont d'abord les “marégraphes” –appareils de mesure du niveau de la mer– situés dans le Pacifique qui ont permis aux scientifiques basés au fenua de mesurer vendredi soir le risque de tsunami. “Nous, on apporte les données scientifiques. Et à partir de ces données, le haut-commissariat se charge de l'alerte”, indique Stéphane Quema. “On a utilisé les marégraphes qui se trouvaient autour du volcan pour connaître l'impact que ça avait et l'impact qu'on était susceptible d'attendre sur les côtes polynésiennes”.
 
Et vu l'emplacement de cette éruption volcanique, le LDG n'a eu que peu de temps pour anticiper la situation. “La propagation du tsunami, c'est environ 800 km/h en océan profond. Ce qui veut dire qu'entre le moment où il va passer dans la zone des Tonga-Kermadec et celui où les premières îles polynésiennes vont être touchées, on a entre 2h30 et 3h. C'est vraiment un temps très court. Juste le temps de mettre en place une cellule de crise”, poursuit le directeur du laboratoire. Vendredi soir, la hauteur estimée de la vague lors de son passage au fenua a donc été de 30 cm dans l'archipel de la Société et aux Australes, et de 50 cm aux Marquises paradoxalement plus éloignées du lieu de l'éruption…
 
“Huit tsunamis par an en Polynésie”
 
En effet, ce n'est pas forcément la proximité avec l'épicentre d'un tremblement de terre, ou en l'occurrence ici avec une éruption volcanique, qui fait la hauteur de la vague d'un tsunami. “Les tsunamis sont très sensibles à la bathymétrie –le relief sous-marin– au niveau des côtes. Plus on va avoir une pente douce avant les côtes, comme sur un continent, et plus le tsunami va s'amplifier par phénomène de conservation de l'énergie. Sa période va diminuer, son amplitude va augmenter et il va se retrouver très fortement amplifié en arrivant sur les côtes.” Or en Polynésie française, les reliefs marins sont plus abruptes qu'à l'approche des continents. “Avec leur bathymétrie en courbes douces, les îles Marquises sont plus favorables, comparées à Tahiti, sur la formation des tsunamis. Pour les atolls, il y a très peu d'effets parce qu'on a des pentes très très brutes.”
 
La Polynésie n'en est pas moins soumise aux tsunamis, précise Stéphane Quema, puisqu'au contraire sa position centrale dans le Pacifique la rend particulièrement vulnérable aux différentes sources de ces phénomènes (tremblements de terre, éboulements, éruptions). “Sur la dernière quinzaine d'années, on a vu en moyenne passer huit tsunamis par an en Polynésie. Et ce n'est pas pour ça qu'on fait des alertes… Il y a des tsunamis qui sont sans conséquences, mais nous on les enregistre. On n'en parle pas, mais ça mobilise les équipes du laboratoire et de la protection civile qui restent en vigilance à ces moments-là.”
 
“Décision volontaire” au haussariat
 
Selon la nomenclature internationale, les tsunamis de taille inférieure à 30 cm n'appellent en effet pas de vigilance particulière. En revanche, ceux de 30 à 100 cm nécessitent une vigilance marine, ceux de 100 à 300 cm sont considérés comme des “tsunamis mineurs” et nécessitent une évacuation des populations au fenua et ceux de plus de 300 cm sont appelés des “tsunamis majeurs”.
 
Contactés par Tahiti Infos, les services du haut-commissariat concèdent avoir évalué la situation de vendredi soir au regard de plusieurs éléments et surtout de la vigilance météorologique rouge déjà en cours sur l'archipel de la Société. “Les données que le LDG nous a transmises dans la nuit vendredi ne montraient pas de risque de submersion important, avec un train de houle maximum de 50 cm attendu, qui s'est finalement avéré atteindre 60 cm aux Marquises”, explique-t-on avenue Pouvana'a. “Nous n'avons donc pas déclenché les sirènes d'alerte sur l'archipel de la Société. C'était une décision volontaire pour éviter qu'en pleine nuit et en pleine vigilance rouge, on créé de la désorganisation alors que les gens étaient cloîtrés chez eux.” Une analyse faite pour “éviter de créer des troubles” dans un temps d'évacuation “qui plus est extrêmement court”.
 
Aux Marquises non plus, explique le haut-commissariat, l'alerte n'a pas été donnée en raison des pluies qui touchaient l'archipel –même hors vigilance– et de l'heure très tardive de l'alerte après la nuit tombée. “Il faisait nuit, le temps était court, les opérations auraient été désordonnées au regard du risque”, explique le haussariat qui précise que sur un tsunami aussi faible, la géographie des baies marquisiennes a plutôt tendance à “casser les trains de houle”. “On a certes eu des pieds dans l'eau à certains endroits, certains des dépôts d'embâcles, mais il ne fallait pas ajouter de crise à la crise et avec le recul c'était une bonne décision”.
 
Un “saut barométrique” ressenti
 
Finalement, les effets de la vague du tsunami n'ont été que peu ressentis au fenua : 30 cm à Tubuai, 30 cm à Papeete, 40 cm à Hiva Oa, 55 cm à Huahine et 60 cm à Nuku Hiva, selon les marégraphes installés en Polynésie française. Et pour l'anecdote, certains effets de l'éruption volcanique ont été enregistrés en Polynésie. En effet, les appareils de Météo France ont mesuré très distinctement vendredi soir un “saut barométrique” de 3 hectopascals –l'air s'est comprimée pendant un court instant– au moment où l'onde de choc de l'éruption a traversé la Polynésie. Rien d'étonnant cependant, puisque le même phénomène a été ressenti… en Angleterre !
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 18 Janvier 2022 à 16:00 | Lu 8261 fois