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Tetuna'e, le premier législateur revisité


Tahiti, le 3 juin 2025 - Ce mardi, l'assemblée de la Polynésie française organisait, dans ses locaux, une conférence dédiée au personnage de Tetuna'e, premier “ari'i nui” présumé de l'île de Tahiti et législateur à l'origine des différentes chefferies. Une volonté de l'institution de revisiter la figure historique, voire le mythe, afin de repenser la manière dont sont édictées les lois du Pays et leur portée. Une manière également de dénoncer les limites du statut d'autonomie.
 
L'histoire du personnage est à prendre avec du recul. Tetuna'e, ou plutôt “Tetuna'e nui” comme le décrivait sa descendante Marauta'aroa dans ses Mémoires, est une figure historique locale présenté comme le premier ari'i nui – grand chef – de Tahiti et le premier législateur polynésien. Selon Marauta'aroa, si des ari'i existaient avant lui, ils étaient plus ordinaires. Premier chef de cette envergure, il aurait régné sur l'ensemble de l'île avant de lui-même la diviser en différentes chefferies pour ses petits enfants. Un acte ayant nécessité la création d'un code d'honneur ou des premières lois orales de l'île, établissant ainsi les droits et devoirs des membres de la classe des nobles, ari'i et ari'i nui. Enfin, il serait également à l'origine de la création de l'ordre des Hiva, la garde royale du ari'i nui. Un curriculum vitae que l'anthropologue et professeur d'université, Bruno Saura, a tenu à nuancer lors de sa conférence dédiée au personnage, ce mardi, à l'assemblée de la Polynésie française. En effet, selon lui, “tout n'a certainement pas commencé par Tetuna'e” et, surtout, qu'il fallait toujours “une personne pour commencer une histoire”.
 
Un point de départ d'une grande importance néanmoins puisqu'il était question pour les membres de l'assemblée présents, ainsi que les invités, de s'interroger sur l'organisation de la société polynésienne pré-occidentale – donc indépendante – et d'esquisser, si possible, un chemin vers le retour à la souveraineté. Car c'est bien ce dont il était question : Convoquer le souvenir de Tetuna'e et de son code – “des lois mā'ohi parce qu'elles sont écrites en reo mā'ohi” – pour rappeler que les Polynésiens savaient, et savent toujours s'autogérer. Un exercice conduit par Philippe Neuffer, mardi, et par le biais duquel l’avocat s'est efforcé de prouver l'existence de ces lois : “Se demander si les Polynésiens avaient des lois avant l'arrivée des Européens, c'est comme se demander si les Polynésiens avaient des divinités avant ce contact”, a-t-il ironisé. “La réponse à cette question est sous nos yeux : les Polynésiens avaient des lois mais ces lois avaient des noms. Par exemple, une loi s'appelait le Rahui, une autre le Tapu, une autre le Taimara.”
 
“Une coutume qui est inscrite dans notre ADN”
 
Des lois érigées à l'époque par les Polynésiens et qui demeurent encore aujourd'hui dans nos habitudes, notre identité, selon Philippe Neuffer : “Dans le code de loi de Tetuna'e, on pouvait distinguer deux types de loi. Celles qui concernaient l'ensemble du peuple, et celles qui ne s'appliquaient qu'aux rois. Et ce qui est surprenant, c'est que l'on connait déjà certains de ses préceptes mais nous ignorons qu'ils ont été des lois à une certaine époque. Par exemple, le fait d'appeler des personnes pour qu'elles s'arrêtent un moment à la maison pour pouvoir partager un repas. C'est une coutume qui est inscrite dans notre ADN et qui fait que nous sommes reconnus pour être un peuple hospitalier”, observe l'avocat en faisant allusion au onzième tapu du code d'honneur de Tetuna'e, selon Marauta'aroa. Des lois d'autant plus efficaces “puisqu'elles ne sont pas inscrites dans un livre mais bel et bien dans nos cœurs”, s'est-il permis de souligner.
 
Pour le président du Pays, Moetai Brotherson, le colloque est une occasion de rappeler les limites du statut d'autonomie : “Les lois s'écrivent, se conçoivent à Paris, au parlement, et puis elles s'imposent par voie d'ordonnance à notre collectivité d'Outre-mer au statut autonome. Ce colloque est d'autant plus d'actualité car il nous ramène à une époque où, finalement, les Polynésiens avaient à leur main tout le périmètre de la loi. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Cela nous projette donc, comme l'a bien dit notre président de l'assemblée [Anthony Geros, NDLR], vers les perspectives d'un retour à notre souveraineté. Cela nous interroge sur le chemin à parcourir, sur les responsabilités qui sont associées à l'écriture de ces lois sociétales. Aujourd'hui nous sommes dépossédés de ce débat. Nous sommes consultés en fin de course, et quand bien même on dirait ' ‘Non’ cela ne changerait pas grand-chose au résultat final.”

Rédigé par La rédaction le Mardi 3 Juin 2025 à 18:30 | Lu 1550 fois