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Tematai Le Gayic: “Donner la possibilité aux jeunes de s'engager en politique”


Tahiti, le 15 juin 2022 – Le candidat du Tavini sur la première circonscription, Tematai Le Gayic (6 224 voix – 20,1%), entend bien rattraper son retard de plus de 6 500 voix sur Nicole Bouteau en allant “convaincre” les votants du premier tour et les abstentionnistes. Le cadet des candidats de cette campagne entend défendre les combats de la formation et du développement des filières d'études au fenua, mais aussi porter la voix d'une jeunesse à qui on ne donne pas assez sa chance.
 
Vous êtes le candidat qui accuse le plus de retard sur votre concurrente, Nicole Bouteau. Les reports de voix peuvent-ils suffire à rattraper cette différence ou faudra-t-il surtout mobiliser ?

“Lorsqu'on regarde les personnes qui se sont mobilisées, la première circonscription est celle qui a le plus d'inscrits. Ensuite, par rapport au premier tour, 30 000 personnes se sont déplacées, 13 000 ont voté pour Nicole Bouteau et 6 200 pour moi. Et il y en a qui ont fait le choix de venir s'exprimer au premier tour pour un autre candidat. Donc, il y a déjà ces 10 000 là à convaincre sachant qu'ils ont déjà fait le premier pas en venant voter au premier tour. C'est plus difficile d'aller convaincre les abstentionnistes, les 40 000 qui ne se sont pas déplacés. Nous, la chance, c'est qu'on voit sur le terrain qu'on a une réserve de voix conséquente. Il y a beaucoup de Tavini Huiraatira qui ne se sont pas déplacés au premier tour. Et dans les 6 000 qui ont voté pour nous au premier tour, il y en a beaucoup qui ne sont pas du Tavini huiraatira, qui m'ont fait confiance et à mon programme. Et lorsqu'on regarde par rapport à 2017, le Tapura a perdu des voix et nous en avons gagné. A la fois à l'échelle de la Polynésie et de la circonscription. Donc, non, je pense que ce n'est pas impossible. Au contraire.”
 
Vous êtes de loin le plus jeune des candidats. Est-ce que ça a été un atout ou un inconvénient dans cette campagne ?

“Finalement, il y a deux discours. Lorsque j'ai commencé à faire du terrain, j'ai été surpris de voir le retour positif des Polynésiennes et des Polynésiens. Ils étaient contents de voir de nouveaux visages. Pas forcément par rapport à mon jeune âge, mais qu'il y ait de nouvelles personnes à faire de la politique. Et ensuite, ils étaient surpris de voir un jeune se présenter. Maintenant, c'est un jeune qui connaît les sujets, avec un discours rôdé. Et ensuite, il y a un discours qui vient souvent de la part du Tapura. On entend souvent parler d'expérience, de personnes qui sont sur le terrain, qui connaissent les dossiers… Mais on les entend aussi un peu parler de la jeunesse, parce qu'ils ont un peu peur qu'on ait le monopole de la jeunesse. Donc, ils essaient de montrer qu'ils sont jeunes mais avec de l'expérience. Moi, la première fois qu'on m'a demandé si ce n'était pas trop jeune, je leur ai dit : 60% de notre population est considérée comme jeune. Il y en a beaucoup qui, comme moi, terminent leurs études, commencent à chercher un emploi et à qui on dit : c'est bien tu as des diplômes, tu es jeune, mais tu manques d'expérience. Et c'est dommage, surtout quand on sait que c'est cette population qui ne va pas voter, de ne pas leur faire confiance. (…) C'est en forgeant qu'on devient forgeron. Si on ne leur donne pas l'opportunité de faire leurs preuves, ils n'auront jamais l'expérience.”
 
Justement, pourquoi est-il aussi difficile d'intéresser ces plus jeunes à la politique et de les mobiliser pour aller voter ?

“Il y a plusieurs difficultés. Déjà, la société est conditionnée comme ça, un jeune finit ses études et cherche un emploi. Lorsqu'on s'engage en politique, il y a toute une partie où il faut sortir des fonds, faire du militantisme, il n'y a pas d'heure et tout est bénévole… Donc il y a cette difficulté pour pouvoir entrer en politique, notamment quand il y a des barons bien assis sur leurs chaises et qui n'ont pas envie qu'il y ait des jeunes qui arrivent sur leurs sections ou leurs circonscriptions pour prendre leur place. Ça c'est la première chose. La deuxième chose, et je crois que c'est quelque chose qui est unanime et pas uniquement chez les jeunes, c'est qu'ils sont fatigués de la politique et surtout des responsables politiques. Je l'ai encore rappelé hier soir, d'après Transparency International, on est l'un des territoires les plus corrompus de France. On a des responsables politiques qui ont été condamnés par la justice pour prise illégale d'intérêts, pour corruption, et qui continuent de diriger ce Pays. On a des responsables politiques qui sont au pouvoir depuis les années 1980. Ça veut dire qu'une personne qui avait 20 ans en 1980, elle en a 60 aujourd'hui et elle a vu toujours les mêmes personnes faire de la politique… C'est peut-être ça aussi qui ne leur donne pas envie de faire de la politique, parce qu'on ne leur donne pas la place. J'entends souvent des personnes dire : ‘C'est bien d'avoir des jeunes qui s'engagent’. Oui, mais c'est bien aussi de leur donner la possibilité de s'engager, ce qui n'est pas toujours le cas.”
 

"On met tous les jeunes dans le même panier"

Pour continuer à évoquer ce sujet de la jeunesse, vous proposez d'offrir un “revenu d'autonomie” de 120 000 Fcfp pour les étudiants. C'est quelque chose que l'on peut mettre en place en tant que député ?

“Oui, c'est une proposition qui vient de la plateforme Nupes, parce que la précarité étudiante est un gros sujet à la fois en France et en Polynésie. C'est dommage qu'en Polynésie, on ne soit pas très sensible sur ce sujet par rapport à la France. Ce n'est pas la priorité. Le problème, c'est qu'on met tous les jeunes dans le même panier. Il n'y a pas de différence entre les jeunes moins diplômés qui sortent de l'école à 16 ans et qui sont sur le marché du travail, ceux qui sortent de leurs études, ceux qui font des études… On ne fait pas trop de différences, on les met tous dans le même panier. Mais chez les jeunes, il y a beaucoup de particularités. On ne part pas tous de la même base. Il y a entre 30 et 40% des post-bacs polynésiens qui font des études supérieures. En France, on est entre 70 et 80%. Donc il y a deux fois plus de post-bacs Français que Polynésiens. Ce n'est pas parce qu'ils veulent davantage faire des études, c'est parce qu'ils ont plus d'accès aux filières. Nous en avons moins et il faut souvent partir à l'étranger pour avoir plus de possibilités d'avoir des formations. Il n'y a pas forcément les aides nécessaires et c'est là où nous nous rejoignons avec la plateforme Nupes pour avoir ce revenu d'autonomie.”
 
Une autre de vos propositions, c'est celle de développer davantage de filières d'études directement en Polynésie ?

“Oui, l'enseignement supérieur est de compétence de l'État. Et c'est là encore la différence et ce pourquoi nous prônons l'accès à la pleine souveraineté pour la Polynésie. Lorsque la France, avec ses outre-mer, voit le concept de gestion de son territoire, nous sommes un territoire de 270 000 habitants. Et pour eux, ce n'est pas normal de mettre autant de moyens pour uniquement 5 000 à 6 000 étudiants. Il y a des filières qui peuvent être proposées mais si on veut en faire d'autres, on nous a souvent donné l'argument de l'université de médecine par exemple. On n'est pas capable de le faire ici, parce qu'il n'y a pas assez d'effectifs et que ça va coûter trop cher de faire venir des professeurs en médecine. Donc, on préfère envoyer à Bordeaux. C'est un concept où l'on dirige tout de la France. Si on est un État souverain, c'est normal de mettre en place toutes les formations nécessaires sur le territoire et pourquoi pas de s'ouvrir au Pacifique. On a des problématiques communes avec ces territoires du Pacifique. On a, je pense, une conception de la société océanienne qui est commune et des objectifs communs. On peut avoir une plateforme où on réparti certaines filières aux Fidji, en Nouvelle-Calédonie ou ici…”
 
Et de les axer sur des filières nécessaires à des problématiques océaniennes ou îliennes ?

“Par exemple. Lorsqu'on nous dit que c'est impossible parce qu'on n'a pas les moyens de le faire, je rappelle que la France est l'un des Pays dans l'Union européenne, avec le programme Erasmus, qui fonctionne très bien comme ça. Quand j'étais étudiants en France, beaucoup d'étudiants venaient d'Espagne, d'Allemagne, d'Italie… La troisième année de Licence, tout le monde la faisait à l'étranger. La deuxième année de Master également. Non, il faut qu'il y ait un maximum de filières, surtout stratégiques, accessibles. Aujourd'hui, on nous parle d'un objectif d'arriver à 100% d'énergies renouvelables d'ici 2030. Est-ce qu'on a des filières en ce sens ? Générales ou professionnelles ?... Parce que nous voulons aussi mettre un point d'honneur à développer des filières professionnelles. Il nous faut des ingénieurs. Nous avons des problèmes d'eau. La grande majorité de ma circonscription a des problèmes d'eau. Ce n'est pas qu'un problème aux Tuamotu et aux Marquises, c'est aussi un problème à Moorea ou à Arue. Et nous n'avons pas les filières nécessaires.”
 
Est-ce que c'est ce manque de formations locales qui freine l'océanisation des cadres, par manque de compétences locales dans ces filières stratégiques ?

“Oui, mais le problème, pour moi, c'est une volonté politique. C’est-à-dire à partir du moment où l'on pense à chaque fois qu'il faut faire venir des fonctionnaires d'État de l'extérieur… Pendant longtemps Gaston Flosse a eu à côté de lui un énarque pour l'aider. Et on sait très bien que les énarques, ce sont eux qui dirigent toute l'administration française. Donc, quand ils arrivent ici, ce sont eux qui dirigent l'administration. Le plus important c'est qu'il faut avoir une vision globale. Aujourd'hui, il y a des secteurs stratégiques où l'on n'a pas les cadres nécessaires. Donc, à partir du moment où l'on connait ces secteurs, il faut mettre en place les filières en études supérieures. Mais ensuite, il faut donner les moyens. Parce qu'on entend souvent qu'on n'a pas assez de Polynésiens. Oui, mais si on n'a pas assez de Polynésiens, c'est peut-être parce qu'on ne leur a pas assez donné les moyens. Une bourse de 60 000 Fcfp, ce n'est pas assez pour aller faire ses études. Surtout quand on vient des archipels. Parce qu'on voit que la plupart des gens qui font des études supérieures viennent de Tahiti. Le système jacobin parisien a été calqué à Papeete. Non, il faut avoir cette vision de la Polynésie et ne pas uniquement développer Tahiti mais tous les archipels. Et pour développer tous ces archipels, il faut faire en sorte qu'on leur donne les moyens de se former et ensuite, par exemple, leur dire : Vous devez cinq ans à votre archipel, vous devez développer votre archipel. C'est quelque chose qui existe en Chine par exemple, ou en Nouvelle-Calédonie…”
 

Les résultats du premier tour sur la première circonscription


Rédigé par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Mercredi 15 Juin 2022 à 20:26 | Lu 1418 fois