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Télécoms : la "machine à cash" du Pays


Le siège de l'OPT à Papeete.
Le siège de l'OPT à Papeete.
PAPEETE, le 2 juin 2015. La Chambre territoriale des comptes vient de publier un rapport d'observations définitives sur la politique des postes et des télécommunications menée par le Pays de 2008 à 2014. Il sera présenté lors de la prochaine séance de l'assemblée de Polynésie, ce jeudi. Il en ressort que l'ouverture à la concurrence de l'Internet et de la téléphonie mobile s'est faite dans la douleur pour préserver les intérêts de l'opérateur historique.
En Polynésie française, on le sait tout est beaucoup plus cher qu'ailleurs : l'éloignement, l'étroitesse du marché, l'éclatement du territoire en cinq archipels, justifient un décalage avec les tarifs de la métropole. Mais régulièrement, les écrans de pub sur les chaînes de télévision nationale ont le don de mettre les consommateurs polynésiens en rogne, en comparaison des tarifs pratiqués localement, et parfois aussi de la qualité offerte sur le territoire au regard des factures mensuelles d'internet particulièrement.

La lecture des 34 pages du rapport d'observations définitives de la Chambre territoriale des comptes (CTC) sur la politique du Pays en matière de télécommunications et d'internet risque d'aggraver encore un peu plus ce sentiment d'impuissance des consommateurs pris dans le filet d'un marché captif."Le secteur des postes et télécommunications est pour l’instant plutôt source de revenus pour le Pays". L'OPT et Tikiphone ont versé chacun 1,5 milliard de Fcfp "au titre du renouvellement de leurs autorisations d'opérateurs de télécommunications".
Le Pays s'accorde, en plus, en tant qu'actionnaire unique, le droit de prélever des dividendes de son établissement public : 3 milliards de Fcfp en 2010 sur les exercices 2006 et 2007, et encore 7 milliards en 2013 sur les exercices 2011, 2012 et 2013. Sur le budget général du Pays pour 2015, il est prévu de prélever de nouveau 1,5 milliard de Fcfp de dividendes de l'OPT. C'était l'un des motifs de la grève dans les agences de l'établissement en mars/avril dernier.
La CTC tire néanmoins la sonnette d'alarme sur ces ponctions réalisées par l'actionnaire, car "le modèle économique de l'OPT fondé sur le financement par les télécommunications des activités déficitaires" s'essouffle et s'affiche clairement dans "l'inquiétante évolution à la baisse des résultats consolidées du groupe".

L'une des explications de la baisse des résultats tient, sans doute aucun, à l'ouverture des secteurs d'activité du groupe OPT à la concurrence. Et pourtant, tout a été fait pour la cantonner, la retarder au risque de prendre des décisions contraires à la réglementation et au droit ! " La chambre ne peut que constater l’ampleur du délai qui s’est écoulé entre la décision du Pays d’introduire de la concurrence dans le secteur des télécommunications et l’ouverture effective du marché à de nouveaux opérateurs".
Si l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications se matérialise en 2003 dans le nouveau code des postes et télécommunications, de fait jusqu'en 2011, quasiment rien ne se produit. Et pour cause, les arrêtés relatifs à l'obtention de la qualité d'opérateur et à la procédure d'utilisation tardent. Dans l'intervalle, deux opérateurs privés qui s'étaient placés sur les rangs, Mara Télécom en 2008 et Digicel en 2010, finissent par abandonner. "L’OPT et ses filiales ont bénéficié pendant une longue période d’un monopole de fait sur les marchés de services théoriquement ouverts à la concurrence" note le rapport de la CTC.

Il faut attendre Viti en novembre 2011 pour l'Internet, et juin 2013 Vodafone en téléphonie mobile menacés de devoir s'acquitter de droits d'entrée colossaux (600 millions de Fcfp au titre de la fourniture d'accès à internet ou 1,5 milliard au titre de l'établissement et de l'exploitation des réseaux de télécommunication mobile) pour que la concurrence privée arrive à ses fins. "Le paradoxe est frappant entre le discours politique prônant l’ouverture du marché et la régulation opérée qui, au mieux, s’est avérée incomplète, au pire, a conduit à la préservation du monopole existant". Cette ouverture à la concurrence se fait donc aux forceps et par le biais de décisions de justice. En février 2011, le conseil d'Etat déclare illégale la loi du Pays du 5 octobre 2010 écartant les investissements étrangers dans le secteur de la téléphonie mobile, une action ouverte par Digicel. En juillet 2013, le tribunal administratif a déclaré illégales les modalités d'acquittement du droit d'accès, car elles "ne reposent sur aucune justification économique".

Depuis 2013, la Chambre territoriale des comptes observe une meilleure acceptation de cette concurrence face à l'opérateur historique. Mais elle reste fragile, d'une part car la refonte totale du code des télécommunications "mainte fois annoncée, n'est pas encore réalisée". D'autre part, car l'efficacité de la récente loi du Pays sur la concurrence résidera "dans l’application qui en sera faite : au regard de l’indépendance de l’autorité administrative de la concurrence, le choix de ses membres et les moyens qui lui seront alloués constituent des enjeux majeurs pour le secteur des télécommunications".


Pour lire le rapport en intégralité de la Chambre territoriale des comptes, CLIQUER ICI

Trois recommandations fermes

- Adopter un plan concret de développement de l'économie numérique, préalable indispensable à l’adaptation du code des postes et télécommunications.
- Fonder les relations avec l’opérateur public OPT sur un contrat d’objectifs et de moyens.
- Assurer une stricte séparation entre l’exercice par le Pays de sa tutelle sur l’Office des postes et télécommunications et ses fonctions de régulateur.

Rédigé par Mireille Loubet le Mardi 2 Juin 2015 à 17:41 | Lu 3591 fois