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Taunatere, jeune peintre prometteuse


Crédit : Grégory Boissy.
Crédit : Grégory Boissy.
TAHITI, le 29 septembre 2022 - Actuellement exposée à la galerie Winkler, Taunatere Terootea propose une peinture figurative, construite autour du rêve et de la féminité. La couleur, la douceur et la poésie de ses œuvres la décrivent mieux que ne sauraient le faire les plus justes des mots.

Elle a vraiment quelque chose”, assure Vaiana Drollet, à propos de Taunatere Terootea. Elle lui a ouvert les portes de sa galerie pour une dizaine de jours. Le temps de faire connaître la jeune artiste, tout juste 23 ans. “Elle a beaucoup de sensibilité, et c’est ce qui m’a touchée.” La galeriste a été surprise par son approche très personnelle des formes et des couleurs, par les sujets, par le travail “abouti”. Le style naïf de ses traits, contraste avec la profondeur des sujets. “Tout cela est très proche de ce qu’elle vit.” Taunatere Terootea dépose des fleurs dans les nuages, fait apparaître un crocodile lorsque l’envie lui prend. “Tout cela est vraiment atypique”, résume Vaiana Drollet visiblement conquise.

“Elle s’assume”


Dans sa pratique, Taunatere Terootea laisse peu de place au hasard, elle sait où elle va. Avant de démarrer une œuvre, elle réfléchit toujours à ce qu’elle veut montrer, à ce qu’elle a envie d’exprimer. “Pendant cette phase, je réalise quelques croquis”, explique-t-elle. Pour imaginer ses personnages, elle se prend en photo, “car c’est plus facile d’avoir pour modèle quelqu’un qui a posé”. Avant, elle réalisait ensuite un quadrillage sur la toile pour pouvoir dessiner les éléments des croquis à la bonne échelle. Maintenant, elle utilise un projecteur. Ainsi les croquis apparaissent directement sur le tableau à la bonne taille. Il suffit de suivre les traits.

Crédit : Grégory Boissy.
Crédit : Grégory Boissy.
Puis Taunatere Terootea choisit soigneusement ses couleurs. Si elle décide de peindre la peau d’une femme en orange, elle cherche des teintes différentes pour la végétation alentour, “car je cherche les contrastes, c’est tellement plus intéressant !” Enfin, elle se lance, à l’abri du monde, dans son atelier. Elle mêle acrylique et pastel. Toutes les étapes sont maîtrisées. “Ce qui est très étonnant pour son jeune âge”, dit Vaiana Drollet. “Elle s’assume.”

“Je me disais, à la retraite, je ferai de la peinture”

Taunatere Terootea est née en 1999, “au coin de la rue, littéralement”, s’amuse-t-elle. L’interview a lieu à la galerie Winkler. L’artiste a vu le jour à la clinique Cardella. Elle est allée à l’école en ville, résidant chez ses parents à Punaauia. Petite, “comme bon nombre d’enfants, j’ai eu des activités extra-scolaires”. Elle a jeté son dévolu très tôt sur la photographie. “C’était un passe-temps, comme d’autres vont jouer au football.” Sa scolarité s’est passée “tranquillement”. Elle rêvait de devenir artiste. “Je me disais, à la retraite, je ferai de la peinture.”

Cette envie est restée un rêve jusqu’à ce Taunatere Terootea ne puisse plus résister au besoin de créer. Elle a obtenu un baccalauréat ES, a envisagé de s’inscrire à l’université “par défaut”. Elle pensait partir en France “mais je me suis dit, pourquoi partir si loin alors que je ne connais pas mon pays ?” Elle a alors opté pour un cursus au Centre des métiers d’art (CMA). Le jour des résultats du baccalauréat alors que ses amis se précipitaient au lycée pour découvrir leurs résultats, Taunatere Terootea, elle, passait les épreuves du concours d’entrée au CMA. “C’est ma mère qui est allée voir si j’avais le bac. Elle m’a appelée mais j’avais la tête ailleurs.”

Crédit : Taunatere.
Crédit : Taunatere.
Une vraie claque

Son cursus au CMA l’a aidée à se construire. En arrivant, elle a “mis à la poubelle” toutes les connaissances qu’elle avait pu emmagasiner jusqu’alors. “Cela a été une vraie claque.” Une claque positive.

Elle a tout (ré)appris, jusqu’à la définition même des mots. “L’utilisation d’un terme témoigne d’une philosophie, d’une façon de voir la vie.” Elle prend pour exemple le terme ma’ohi qui désigne la personne attachée à sa Terre, ce sont donc les Polynésiens. “Mais ‘ma’ correspond à ‘propre’ et ‘ohi’ correspond au ‘surgeon’”, détaille-t-elle. Elle ajoute, dans cette idée, “c’est un peu comme le bananier, tu as beau le couper, il finit toujours par repousser.”

Taunatere Terootea a profité de son passage au CMA pour s’imprégner des légendes “qui ne sont pas seulement des histoires pour les enfants”. Elle s’est mise à voir les choses autrement et à observer son environnement différemment. Elle a obtenu son brevet polynésien des métiers d’art en 2020, option sculpture. Pour l’obtenir, elle a réalisé une pièce, un bas-relief. La peinture n’était pas, encore, dans sa vie.

Crédit : Taunatere.
Crédit : Taunatere.
Un challenge

Après le CMA, Taunatere Terootea a décidé de souffler un peu. Elle a pris le temps de se poser. Elle a complété les cours de peinture déjà reçus avec des ateliers animés par Raimiti Ravello. Chaque conseil est resté gravé. Au-delà de la technique, “il m’a appris à ne pas baisser les bras”. À propos de la vie d’artiste, Taunatere Terootea veut briser les idées reçues. “On s’imagine que c’est facile vu de l’extérieur, qu’un artiste s’amuse, en réalité il y a toute une réflexion à mener autour de la création.” Doucement mais surement la peinture a pris de plus en plus de place dans sa vie. En avril 2022, elle s’est rendue à la galerie Winkler pour présenter les quelques toiles qu’elle avait réalisées. Elle y est retournée à plusieurs reprises. Une place s’est libérée pour une exposition en septembre. Vaiana Drollet lui a proposé l’espace. “Un vrai challenge car j’étais encore loin d’avoir assez d’œuvres à montrer.”

Entre avril et septembre, Taunatere Terootea s’est mise à la tâche. Elle a regardé autour elle, constatant que de nombreux artistes avaient “des idéaux forts”, cherchaient “à dénoncer les nombreuses injustices”. Au milieu de tout ça, il y avait “tout simplement moi”. Elle s’est sentie en décalage, hésitant presque à montrer son travail. “Mais j’ai réussi à faire la paix avec ça !

Taunatere Terootea tient à citer Tehina, dont elle s’est inspirée. “J’ai repris la couleur de ses tumu mape”, précise-t-elle. Elle parle également d’Yling Changues, qui est devenue une amie. Les deux artistes ont appris à se connaître au fil du temps, “c’est comme si on se nourrissait l’une de l’autre”. Elle insiste enfin sur toute la force que lui apporte son entourage. “Il m’est arrivé d’avoir peur, ils m’ont rassurée.” Depuis qu’elle a annoncé son exposition à la galerie à ses amis et sa famille, aux connaissances, Taunatere Terootea dit, ravie, avoir reçu “un flot d’amour”. Un retour sans doute, de toute ce qu’elle a pu donner au préalable.

À peine l’exposition terminée, Taunatere Terootea va se lancer totalement dans un autre projet. La réalisation de bijoux. Elle envisage de fabriquer plutôt des boucles d’oreille, simple, en bois. “J’ai déjà un bon sentiment.” Le besoin de créer la tient.

Pratique

L’exposition dure jusqu’au 4 octobre. L’entrée est libre et gratuite.
Horaires : ouvert du lundi au vendredi de 9 heures à 12h30 et de 13h30 à 17 heures. Le samedi de 8h30 à midi.

Rédigé par Delphine Barrais le Jeudi 29 Septembre 2022 à 00:59 | Lu 909 fois