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Suicide en Polynésie : une détresse qui s’amplifie


Si les décès restent stables (une trentaine par an), la détresse, elle, continue de croître en Polynésie.
Si les décès restent stables (une trentaine par an), la détresse, elle, continue de croître en Polynésie.
Tahiti, le 10 septembre 2025 – Ce mercredi, le hall René Leboucher de l’assemblée de la Polynésie française s’est transformé en lieu de mémoire et de mobilisation. À l’occasion de la Journée mondiale de prévention du suicide, associations, soignants, élus et citoyens se sont réunis pour rappeler que derrière chaque statistique, il y a des vies brisées et des familles endeuillées.
 
Organisée par SOS Suicide, cette matinée de sensibilisation a mis l’accent sur l’urgence d’agir. Car les chiffres parlent d’eux-mêmes : “Les tentatives de suicide sont passées de 300 par an à près de 700”, alerte Germaine Vanquin, trésorière de SOS Suicide. Si le nombre de décès reste stable – une trentaine chaque année –, la détresse, elle, ne cesse de croitre.
 
Pour Patricia Pagliucci, présidente de la commission Santé et Solidarités, cet événement était l'occasion de saluer “le formidable travail accompli par l’association SOS Suicide (…) qui a su briser les silences, ouvrir des espaces de parole et accompagner avec humanité ceux qui traversaient des épreuves”. Comme l'a rappelé dans son discours Dr Julien Testart, chef du service de psychiatrie du CHPF, la prévention ne peut se limiter aux soins : “En Polynésie, beaucoup évoquent hama, la honte sociale (…) et le fa'a'oroma'i, cette endurance patiente. (…) Notre défi n’est pas d’importer des solutions toutes faites ; il est de traduire la prévention dans notre propre grammaire sociale.”
 
La présence de Miss Tahiti, Hinaupoko Devèze, dont la cause est la santé mentale, a également marqué la matinée. Elle souhaite que sa visibilité serve “à mettre en valeur les actions des associations pour enrichir la population”. 
 
Mais l'événement permet de faire un autre constat toujours aussi préoccupant : le mal-être frappe de plein fouet les jeunes, en particulier ceux issus de la communauté LGBT+.
La question de la souffrance dans la communauté LGBT qui entraîne des idées suicidaires est une réalité. Aujourd'hui, on dit que les jeunes non-hétérosexuels ont 3 à 7 fois plus d'idées suicidaires”, rappelle Karel Luciani, président de l’association Cousins-Cousines, membre de SOS Suicide et figure engagée contre le sida. Selon lui, la société a une responsabilité directe dans ce phénomène : “Un appel sur cinq sur la ligne du SOS Suicide vient de la communauté LGBT. (…) Tous les ans, on a des témoignages malheureux de suicides de ces jeunes. (…) Pour moi, la véritable prévention, c’est l’acceptation inconditionnelle de toutes les diversités.
 
Le constat de Karel Luciani est sans appel : le rejet, qu’il soit religieux, social ou institutionnel, nourrit la souffrance. On dit qu’il faut que tout le monde ait sa place. C’est faux. La communauté LGBT, on ne leur donne pas leur place. (…) Après, ils ont des idées suicidaires”, martèle-t-il, en appelant à introduire, dès l’école, une véritable éducation à la vie affective et sexuelle.
 
Dans ce rendez-vous désormais incontournable, les paroles fortes ont convergé vers un même message : la prévention passe par l’écoute, mais aussi par un changement profond du regard social. 

Entretien avec Annie Tuheiava, présidente de SOS Suicide : 
“Former le maximum de personnes à l’écoute”

Les tentatives de suicide et les appels à l’aide sont-ils en hausse en Polynésie ? 
“Au niveau des appels, ça a beaucoup augmenté. Nous recevons de plus en plus de personnes qui parlent de tentatives de suicide, mais aussi de mal-être, sans forcément d’idées suicidaires. Elles ont besoin de se libérer de quelque chose, d’être écoutées.”
 
Quelles sont, selon vous, les causes principales de ce mal-être ?
“Je pense que c’est lié à une société malade elle-même. C’est un mal-être général : économique, familial. La crise qui arrive, c’est la peur, l’angoisse. Ceux qui souffraient déjà de crises d’angoisse en ressentent encore plus les effets.”
 
Qui sont les personnes les plus touchées ?
Nous voyons beaucoup de jeunes, car nous intervenons dans les collèges et les lycées. Nous les formons comme sentinelles de prévention, pour qu’ils apprennent à reconnaître les signaux et sachent quoi faire.”
 
Faudrait-il élargir ces formations à l’ensemble de la population ?
Oui, il faut former le maximum de personnes. Chacun peut repérer quelqu’un en détresse et offrir une écoute. Ce n’est pas forcément nous qui pouvons tout faire. Déjà, écouter sans juger, avec discrétion, c’est essentiel. En Polynésie, tout se sait vite. Il faut apprendre à respecter l’histoire de la personne.”
 
La Journée mondiale de prévention du suicide est organisée ici depuis dix ans. Quel est son objectif ?
“Nous sommes affiliés à la Fédération internationale. Le 10 septembre, le monde entier se mobilise. En Polynésie, nous voulons toucher le grand public, mais aussi sensibiliser les élus et les maires, car ils sont en première ligne pour recevoir la population. Aujourd’hui, certaines communes nous sollicitent, et c’est une prise de conscience importante.”
 
Quelles améliorations attendez-vous sur le plan institutionnel ?
“J’espère que l’an prochain le pôle de santé mentale sera enfin en place. Il manque des psychiatres, des psychologues. Nous, à l’association, nous assurons déjà une permanence téléphonique 24h/24, mais nous ne sommes pas médecins. Avec un véritable pôle, il y aurait les moyens humains et techniques pour mieux accompagner la population.”
 

Julien Testart, chef du service de psychiatrie du CHPF
“Nous attendons avec impatience l'ouverture du pôle de santé mentale”
 
“Nous attendons tous avec impatience l'ouverture du pôle de santé mentale, espérée pour 2026, avec la pédopsychiatrie et l’addictologie. Mais la santé mentale, c’est l’affaire de tous : soignants, élus, familles, collectivités. Il faut promouvoir la prévention, le dialogue, l’information, et rendre la santé mentale publique, lisible, audible, pour changer le regard et dire que c’est ok de demander de l’aide. On sent une impulsion forte de nos tutelles, avec des moyens : l’ouverture de la cellule d’urgence médico-psychologique en est la preuve, et son activité décolle comme une fusée. Mais il faut rappeler que SOS Suicide est l’acteur historique, le vrai héros. Annie, Germaine et tous les bénévoles ont sauvé des milliers de vies, bien avant que nous soyons structurés. Leur rôle est indubitable : ils maintiennent le lien, ils créent un espace d’écoute et de narration qui redonne du sens.”

Rédigé par Darianna Myszka le Mercredi 10 Septembre 2025 à 15:10 | Lu 1968 fois