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Salle comble pour la conférence sur les violences faites aux femmes


Tahiti, le 17 juin 2025 - La conférence sur le traitement judiciaire des violences faites aux femmes a attiré grand monde lundi soir. Organisée dans un amphithéâtre de l’université, elle a permis au public de femmes et d’hommes de loi, mais aussi de professionnels de santé ou du secteur social de mieux comprendre les nouveaux concepts de la thématique.
 
Partant du constat que les chiffres ne fléchissent pas et qu’il subsiste des flous sémantiques autour du sujet des violences faites aux femmes, Maître Guillaume Barbe et Gwenola Joly-Coz ont animé une conférence lundi soir à l’université intitulé : le traitement judiciaire des violences faites aux femmes.
 
Le premier est avocat au barreau de Paris, spécialisé en droit pénal, expert en violences conjugales. Il est, par ailleurs, membre du Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et des violences domestiques (GREVIO) et co-directeur scientifique de La Gazette du palais.
 
La seconde est la Première présidente de la cour d’appel de Papeete. Elle est également directrice de la session de formation “les violences faites aux femmes : connaissance et concepts” à l’Ecole nationale de la magistrature et auteure de l’essai intitulé “Elle l’a bien cherché” paru aux éditions Dialogues. La conférence était animée par Jean-Baptiste Vila, maître de conférences HDR en droit public et directeur du département droit économie et gestion.
 
Remettre en cause les doxas
 
En France chaque année, 130 à 140 femmes meurent sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint, “autrement dit entre 130 à 140 hommes pensent avoir le droit de tuer la femme dont il disait qu’elle était leur espoir dans la vie”, a commenté Gwenola Joly-Coz qui s’est attachée tout au long de la conférence à “remettre en cause les doxas”.
 
“On a tous appris des choses que l’on a appliquées religieusement des années durant jusqu’à ce que l’on s’aperçoive qu’elles ne fonctionnaient pas”. Elle lutte contre les “lieux communs”, “les préjugés” et “les biais de genre” qui marquent la justice d’aujourd’hui.
 
Le 16 juin 2025, en France toujours, 76 femmes avaient déjà été victimes de féminicide depuis le début de l’année. Ce qui correspond à un décès tous les 2 ou 3 jours. “Et c’est sans compter les suicides”, a précisé Me Guillaume Barbe. Alors, le total grimpe au-dessus de mille (1 185 en 2023). Le plus grand lieu d’insécurité pour les femmes est leur foyer, un lieu d’intimité. Les chiffres, “sachant que l’on ne compte que depuis 16 ans”, a précisé la Première présidente de la cour d’appel, restent inchangés. “C’est un échec.”
 
Une raison de se mobiliser
 
La Polynésie est aussi concernée par le sujet, mais les données manquent. Cela ne saurait durer. L’Observatoire des violences faites aux femmes (dont la date de lancement n’est toujours pas fixée) aura pour ambition, avant de prévenir et protéger, de dresser un état des lieux. Dans l’attente, “au tribunal on a commencé”, a indiqué Gwenola Joly-Coz. Au cœur des affaires jugées en cour d’assises ces sept dernières années 14 décès sont à déplorer : neuf femmes, trois hommes et deux enfants. Les auteurs de ces 14 drames sont tous des hommes. C’est trois fois plus qu’en métropole. “Ce n’est pas une raison de désespérer mais de se mobiliser.”
 
Dans ce contexte tous les outils sont bons pour comprendre, évaluer, prendre du recul afin de prévenir et protéger. Me Guillaume Barbe a reconnu l’existence de “flous sémantique”, de “confusion”. La prise en charge des victimes de violence tout au long de la chaîne n’est pas optimale. “Il faut que l’on s’interroge”, a insisté Gwenola Joly-Coz, parlant, elle, de “contradictions” et même dans certains cas, de “schizophrénie judiciaire”.
 
Des concepts et notions récents
 
Il faut dire que les concepts sont récents. Tout l’enjeu de la conférence a été de définir et expliciter des termes et situation comme : féminicide, sur-meurtre, psychotraumatisme, mémoire dissociative, consentement ou bien encore contrôle coercitif, mécanisme d’emprise. Le féminicide est un mot nouveau, a rappelé Gwenola Joly-Coz. Il est arrivé des États-Unis en 2019. Il désigne le meurtre d’une femme, d’une fille en raison de son sexe et est spécialement employé pour le meurtre d’une femme par son conjoint ou ex-conjoint. Il est “très fort” et “très utile”, “révolutionnaire” même dans la lutte contre les violences faites aux femmes puisqu’il permet de “penser autrement”. Il a une force sociale et médiatique “incroyable”. Mais il n’a pas intégré le code pénal. “Il nous donne un sens et une direction. Il entraîne la société derrière lui.”
 
Le terme de surmeurtre a lui aussi révolutionné l’approche du sujet. “Les cadavres des femmes ne sont pas les mêmes que ceux des hommes, ils sont abimés voire très mutilés.” Le médecin légiste du Fenua qui a assisté à la conférence a été invité à prendre la parole à ce propos, ravi car il a peu ou pas l’occasion de s’exprimer en la matière. Il le regrette. En cours d’audience au tribunal, “nous sommes soumis à la réserve”. Il a confirmé que les concepts n’étaient pas théoriques embarquant le public au plus près de la réalité. “On constate cette notion de surmeurtre lors des autopsies.” Il a pris l’exemple d’un corps féminin victime de 60 lésions traumatiques. Il n’y a pas un coup, mais “un acharnement de coups”, a assuré Gwenola Joly-Coz illustrant ces propos : 36 coups de couteaux dans un cas, 12 coups de marteau dans un autre.
 
Au cours de la conférence, les définitions ont ouvert la voie à des pistes de réflexions et des réponses, selon le cas. Par exemple, pour la problématique du consentement, l’avocat se tourne vers l’éducation. “On éduque de manière genrée en France”, a-t-il rappelé.
 
Reste que le terrain, composé de cas particuliers et personnels, de réseaux interdépendants, d’acteurs aux contraintes diverses et aux délais d’intervention parfois incompatibles, malmène les plus solides volontés.

Rédigé par Delphine Barrais le Mardi 17 Juin 2025 à 20:21 | Lu 875 fois