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Réinscription : l'explication de texte du sénateur Tuheiava


Le sénateur indépendantiste Richard Tuheiava, le 13 février 2013
Le sénateur indépendantiste Richard Tuheiava, le 13 février 2013
Le sénateur indépendantiste Richard Tuheiava avait matelé l'intransigeance du Pays au sujet des point 2 et 4 du projet de résolution A67/L56, le 13 février 2013.
Dans la nouvelle version de ce texte, publié à l'ONU le 6 mars sous le nom de code A/67/L.56/Rev.1, l'absence du terme "réinscription" et de la notion d'accord de coopération, offrent d'emblée le spectacle d'un projet de résolution sans portée réelle, qui sera soumis au vote à New York, durant la deuxième quinzaine de mars.

"C'est plutôt une stratégie", corrige Richard Tuheiava, qui affirme qu'ainsi la délégation polynésienne prive la France de l'opportunité de procédures dilatoires à l'ONU, tout en ouvrant une voie plus facile à de nouveaux sponsors (ils sont cinq pour l'instant) et que de facto l'adoption de ce projet de résolution s'accompagnera d'une inscription de la Polynésie française sur la liste des territoires non autonomes des Nations unies.
Enfin, une fois le sort du Pays confié au Comité des 24, il aura tout loisir de faire voter une résolution fixant le cadre d'un accord de coopération avec la France. Interview :


Votre action à New-York, en faveur de la mise en place d'un processus d'autodétermination de la Polynésie française, vous semble-t-elle compatible avec votre mandat d'élu du parlement Républicain ?

Richard Tuheiava : Il s'agit en effet d'une question de fond. Le mandat d'élu ne m'oblige à aucune réserve particulière, comme cela pourrait être le cas pour un haut fonctionnaire de l'Etat. Il s'agit pour moi en revanche d'accomplir l'exercice de la démocratie, notamment en exécutant un mandat qui m'a été donné par une collectivité. Ce mandat est très clair : l'assemblée autonome de Polynésie française a, en août 2011, rendu une résolution qui sollicite la réinscription du Pays, sur la liste des territoires non autonomes de l'ONU. C'est donc une aspiration collective, au-delà d'être le fruit du caprice d'un individu ou deux. C'est une aspiration montante, historiquement reconnue et qui fait consensus au sein d'un groupe parlementaire majoritaire à l'assemblée. Je veux parler de l'UPLD, mais également de ses alliés.
A partir de là, je n'ai aucun conflit d'intérêt particulier à représenter ce que ma circonscription me demande de porter au niveau des Nations unies. Je suis un élu de la République. Et il est clair que lorsque la république que je représente, adopte un comportement qui n'est pas digne, il est normal que je l'exprime ; surtout lorsque cela se fait dans l'intérêt de la collectivité que je représente.
Il ne s'agit pas d'une démarche inamicale vis à vis de la France. Il n'a jamais été question d'une démarche anti républicaine. Par contre, lorsqu'il s'agit d'aller décoloniser la collectivité que je représente, c'est quelque chose que je considère comme un devoir.


Justement, un mot sur le projet de résolution A/67/L.56/Rev.1, publié mercredi : le terme "Réinscription" et la mention d'un "accord de coopération" ont disparu du texte révisé. Il s'agissait de points clés, selon vos propres termes, est-ce une reculade des ambitions tahitiennes ?

Richard Tuheiava : Non, non. Cela procède de deux volontés. La première était de rendre la "Rev.1" (A/67/L.56/Rev.1, NDLR) le plus possible concentrée vers son objectif premier : la réinscription. Tel qu'il est rédigé aujourd'hui, ce projet de résolution a non seulement obtenu d'avantage de sponsors qu'il n'avait pu en recueillir dans sa mouture du 7 février 2013, mais a également privé la délégation française d'arguments pouvant retarder le processus.

La France souhaitait poser des questions légales, directement auprès des Nations unies. Elle était sur le point d'engager une procédure susceptible de retarder le vote de notre projet de résolution, dans sa précédente rédaction.
L'article 2 (demandant la réinscription de la Polynésie française sur la liste des pays non autonomes de l'ONU, dans la précédente version du texte, NDLR) était sujet à problèmes techniques et donnait l'opportunité à la France de solliciter une résolution dilatoire pour demander l'avis technique du secrétariat général des Nations unies.

Nous avons estimé que cet article 2 n'était pas nécessaire à la réalisation de notre objectif - qui je le rappelle est la réinscription - puisque, dans la "Rev.1", la combinaison de l'article 1 (sur la reconnaissance du caractère non autonome de la Polynésie française, au sens de la Charte et déclarant que l’article 73e de la Charte fait obligation au Gouvernement français, en sa qualité de Puissance administrante, de communiquer des renseignements sur la Polynésie française, NDLR) et de l'article 3 (Priant le Gouvernement français, agissant en sa qualité de Puissante administrante, d’intensifier son dialogue avec la Polynésie française afin de faciliter et d’accélérer la mise en place d’un processus équitable et effectif d’autodétermination, NDLR) provoquait, en résultante, la réinscription de la Polynésie française sur la liste.
Nous avons d'ailleurs repris quasiment mot pour mot, le texte de la résolution de la Nouvelle Calédonie (41/41 de décembre 1986, NDLR).


Qu'en est-il de la notion d'accord de coopération, qui faisait l'objet du point 4 de l'ancien projet de résolution, et qui a disparu dans la nouvelle mouture ? Vous le présentiez également comme un élément clé.

Richard Tuheiava : L'ancien article 4 fera l'objet d'une résolution au sein du Comité des 24, une fois voté ce projet de résolution A/67/L.56/Rev.1. Nous avons rencontré les membres du bureau et le secrétariat général de ce Comité chargé des questions de décolonisation et avons convenu qu'il était plus opportun d'attendre d'être "réinscrit" pour négocier l'accord de coopération, en reprenant la rédaction du point 4 du projet de résolution initial.
Laisser cette notion dans la "Rev.1" nous aurait exposé inutilement à la réticence de certains sponsors.

Contrairement à ce que l'on peut être amené à penser d'emblée, il s'agit d'une opération d'affutage du contenu du projet de résolution. Une opération qui nous permet de gagner d'avantage de sponsors.
Nous avons longuement réfléchi avant d'apporter ces modifications. Mais nous avons la certitude que la nouvelle rédaction du projet de résolution est plus efficace que la version initiale.


Comment doit-on alors analyser la rédaction du projet initial de résolution, bien plus clair dans sa formulation ? S'agissait-il d'une maladresse diplomatique due à l'inexpérience ?

Richard Tuheiava : C'est plutôt une manoeuvre stratégique. Méthodologiquement, il valait mieux taper plus haut et plus fort d'abord, pour obtenir la réaction des réticents et des hostiles, notamment de la puissance administrante, c'est à dire de la France. Et aujourd'hui, alors qu'ils ont exposé leur position, on leur coupe l'herbe sous le pied, en enlevant ce qui posait problème sans perdre de vue notre objectif final : la réinscription de la Polynésie française sur la liste des territoires non autonomes de l'ONU.
Je le répète, la nouvelle rédaction optimise très sérieusement notre résolution en nous donnant de meilleures chances de recueillir plus de sponsors et donc de la voir adoptée.


A ce propos justement, vous parliez de plus d'une centaine de pays favorables à votre démarche et prêts à la parrainer, mais c'est encore le trio "Salomon-Tuvalu-Nauru" qui porte le nouveau texte. Qu'en est-il des autres ?

Richard Tuheiava : Ils sont cinq, pour l'instant. Il y a Samoa et Vanuatu en plus. En réalité c'est tout simplement pour éviter que la pression diplomatique exercée par la France, les Etats-Unis et les autres alliés, Chine mise à part, ne porte préjudice à notre démarche. Ces pressions contre les éventuels sponsors étaient telles, qu'il était préférable de laisser les choses en l'état. Je vous rappelle que le sponsoring est possible jusqu'à la minute qui précède le vote de la résolution. (...) Et aujourd'hui, nous sommes confiants sur le résultat de ce vote qui aura lieu durant la deuxième quinzaine de mars, comme nous le souhaitons.


Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Jeudi 7 Mars 2013 à 16:42 | Lu 3222 fois