Tahiti Infos

Reconstruire ou évacuer ? Le dilemme des experts face aux incendies dans l'Ouest américain


Los Angeles, Etats-Unis | AFP | mercredi 23/09/2020 - Faut-il reconstruire les zones parties en fumée ou plutôt les faire évacuer ? C'est le dilemme qui se pose pour de nombreux experts après les feux de forêt qui ont dévasté l'Ouest américain ces dernières semaines, tuant plus d'une trentaine de personnes et brûlant des milliers de bâtiments.

Beaucoup des communautés touchées cet été étaient construites dans des zones boisées, parfois au coeur même des forêts. Avec les effets du changement climatique, qui accentue la sécheresse et les risques d'incendies de grande ampleur, ces régions situées au point de rencontre entre villes et forêt ("interface habitat-forêt" pour les spécialistes), resteront particulièrement vulnérables.

C'est le cas de la petite ville de Paradise, dans le nord de la Californie, détruite à 90% en 2018 par un incendie qui a fait 86 morts. Le bourg avait à peine commencé à reconstruire et à se repeupler qu'il a de nouveau été menacé par les flammes du "Bear Fire", qui a ravagé la région le mois dernier.

Effet indésirable de ces feux à répétition: à Paradise comme ailleurs, les primes d'assurances ont monté en flèche et les nouveaux contrats sont bien souvent refusés.

Rien qu'en Californie, l'un des Etats les plus touchés cet été, 6.500 bâtiments ont été détruits durant le seul mois d'août. De quoi faire réfléchir les quelque 50 millions de foyers américains qui vivent dans cette fameuse "interface habitat-forêt".

Mais pour Gregory Pierce, spécialiste de l'urbanisme à l'univeristé UCLA, de nombreuses zones situées dans cette interface "sont surpeuplées et n'auraient jamais dû être développées d'un point de vue environnemental". "C'est le dernier recours, auquel ni les habitants ni les législateurs n'ont envie d'arriver mais l'éviction va faire partie des solutions", estime-t-il. "Mais pour certaines communautés, c'est la seule façon de survivre", assure M. Pierce.

Ces zone rurales, où les terrains sont moins chers, se sont énormément développées ces dernières décennies, particulièrement en Californie où les prix de l'immobilier sont parmi les plus élevés du pays. Entre 1990 et 2010, elles ont explosé, à la fois en termes de nouveaux logements (+41%) et de surface (+33%) selon les statistiques de l'office des forêts.

"Ces endroits se construisent près de canyons à la végétation très dense, qui sont difficiles d'accès", observe Darrell Roberts, officier chez les pompiers de Californie du Sud. "Tout le monde a envie d'une belle maison à l'ombre des arbres et au milieu de la nature, mais il y a des risques", insiste-t-il.

Matériaux plus résistants

S'il est difficile de contrer le changement climatique et la sécheresse chronique, certains experts misent sur une meilleure gestion de la végétation pour minimiser l'impact des feux. 

Il faut bien sûr débroussailler autour de tous les logements, mais des "feux contrôlés" peuvent aussi permettre d'éliminer les arbres et les herbes sèches qui alimentent les incendies, explique David Shew, pompier californien à la retraite.

"Ces pratiques peuvent très bien marcher mais elles sont très difficiles à mettre en oeuvre aujourd'hui à cause du nombre de gens qui vivent là", au milieu des zones boisées, relève-t-il. 

David Shew pense malgré tout que l'expulsion des habitants situés en zones vulnérables est une mesure extrême. Une interdiction de construire similaire à celle qui a été mise en oeuvre dans des zones inondables du Mississippi serait, selon lui, difficile à faire appliquer car les feux sont "très aléatoires" et difficiles à prédire.

M. Shew, qui est aussi architecte, prône de son côté un changement dans les matériaux utilisés pour construire les maisons, dont la structure et les murs sont le plus souvent du bois recouvert d'un mince parement dans l'ouest des Etats-Unis.

Murs renforcés, toit résistant au feu : "aujourd'hui, on sait qu'on peut construire avec des matériaux plus intelligents et résistants, pour un coût qui n'est pas significativement plus élevé qu'une construction traditionnelle", assure-t-il.

Quant aux maisons déjà existantes, David Shew pense qu'il serait de l'intérêt des propriétaires et des compagnies d'assurance d'investir dans une rénovation pour les rendre elles aussi résistantes aux flammes.

"Aux Etats-Unis, c'est presque un mantra de dire: +on va reconstruire, on ne va pas renoncer, on va redresser la tête et revenir s'installer+". Mais la réalité "c'est que nous n'aurons jamais assez de camions de pompiers pour en placer un devant chaque maison", lâche-t-il.

le Mercredi 23 Septembre 2020 à 07:09 | Lu 193 fois