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Quelques idées reçues sur la pêche hauturière en Polynésie française


PAPEETE, 4 juillet 2017 - La pêche en Polynésie française est un sujet propice aux affirmations en tous genres. Techniques de pêche dites écologiques, quotas présumés, bataille de chiffres, de nombreuses approximations circulent lors des débats ou dans les médias.

Les faits sont importants dans le contexte de la création de la grande Aire Marine Gérée annoncée par le gouvernement et au vue du projet de développement de la pêche industrielle aux Marquises. Jérôme Petit, Directeur de Pew Polynésie, propose une analyse référencée point par point pour essayer d’y voir plus clair.

Les stocks halieutiques sont bien gérés par les commissions thonières au niveau international - FAUX

On entend souvent localement que les stocks de poissons pélagiques du Pacifique ou de Polynésie française sont en bonne santé car ils sont gérés durablement au niveau international. C’est malheureusement faux. Les Pays du Pacifique tentent en effet de prendre des mesures collectives pour gérer les stocks de thons au sein de deux commissions thonières, les commissions WCPFC et IATTC. Mais les timides décisions qui y sont prises sont rarement à la hauteur des enjeux, car il y a toujours quelques pays pour bloquer les négociations. Les lobbies industriels sont très influents en arrière fond. Les ONG comme Pew qui mettent le doigt sur les problèmes de ressource sont souvent diabolisées et attaquées par de véritables campagnes de désinformation. Pendant ce temps, la plupart des stocks de thon sont surpêchés dans le Pacifique selon la CPS (voir graphique) : Le thon blanc (germon) et le thon jaune (yellow fin) ont perdu environ 60% de leur population naturelle. Le thon obèse (big eye), celui qui est visé aux Marquises, a perdu 84% de son stock. Il est officiellement considéré comme menacé, classé dans la liste rouge de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) dans la même catégorie de vulnérabilité que le panda et l’éléphant d’Afrique. Enfin, le thon rouge du Pacifique (bluefin), a perdu 97% de sa population naturelle et frôle l’extinction. Les habitants des îles sont les premières victimes de cette véritable "privatisation des océans" ou encore de cet accaparement des ressources naturelles par la pêche industrielle.
Biomasse des 4 espèces principales de thon dans le Pacifique occidental et central (la ligne rouge est le Rendement Maximal Durable, la limite à ne pas franchir pour ne pas menacer l’espèce) (CPS 2014).
Biomasse des 4 espèces principales de thon dans le Pacifique occidental et central (la ligne rouge est le Rendement Maximal Durable, la limite à ne pas franchir pour ne pas menacer l’espèce) (CPS 2014).

Le problème de la surpêche vient surtout des eaux internationales - FAUX

On entend souvent dans les débats que le problème de surpêche vient des eaux internationales qui sont surexploitées, que les pays du Pacifique ne peuvent rien y faire et qu’il faut concentrer les efforts de conservation en haute mer. Il est vrai que les eaux internationales sont intensément pêchées, notamment à la frontière des îles Marquises, où les bateaux internationaux profitent de l’effet de débordement des poissons marquisiens vers l’extérieur. Mais au niveau mondial, seuls 12% des prises sont prélevés dans les eaux internationales, bien que celles-ci recouvrent les deux tiers des océans. La grande majorité des poissons (88%) sont donc pêchés dans les Zones Economiques Exclusives (ZEE) car ces eaux proches des côtes sont plus riches en nutriments et plus productives. Ainsi, même si la pêche dans les eaux internationales doit être mieux gérée, on ne peut pas traiter le problème de surexploitation des stocks dans le Pacifique sans prendre des mesures efficaces dans les eaux territoriales de chaque Pays.

La Polynésie française n’est pas responsable du problème de surpêche - DISCUTABLE

On entend souvent que la Polynésie française n’est pas responsable du problème de surpêche, car les prises polynésiennes, avec 60 thoniers actifs, ne représentent qu’une infime part du thon pêché dans le Pacifique. En effet la Polynésie ne pêche que 6 000 tonnes de thonidés par an en moyenne sur les 2,6 millions de tonnes pêchées dans la Pacifique ; une goutte d’eau dans l’océan. Mais une analyse plus fine par espèce semble nécessaire. La grande majorité des thonidés pêchés dans le Pacifique est en réalité de la bonite (voir graphique). C’est cette espèce qui est ciblée par les bateaux usines (les senneurs) munis de leurs DCP dérivants. La bonite n’est heureusement pas encore menacée par la surpêche car elle a une maturité sexuelle précoce (elle est souvent appelée le "rat de l’océan") ; il est donc difficile de la surexploiter. Par contre, si on prend l’exemple du thon germon, la Polynésie pêche environ 3 500 tonnes sur les 80 000 tonnes prélevées dans le Pacifique, soit plus de 4%. Ce n’est certes pas beaucoup, mais c’est la somme des prises de chaque pays du Pacifique qui fait que cette espèce est surpêchée aujourd’hui. Chaque pays a donc sa part de responsabilité face au problème de surpêche, même si celle de la Polynésie française n’est clairement pas la plus importante.
Captures par espèce de thonidés dans la zone du Pacifique Occidental et Central, 1960-2012 (CPS 2014).
Captures par espèce de thonidés dans la zone du Pacifique Occidental et Central, 1960-2012 (CPS 2014).

La Polynésie française pêche moins que ses quotas disponibles - FAUX

On entend souvent dans les médias que la Polynésie française n’atteint pas ses quotas de pêche, que le Pays aurait un quota de 12 milles tonnes, ou que notre stock serait "sous-exploité". C’est encore une contre-vérité. La Polynésie française n’est pas assujettie à des quotas de pêche. Le Pays est protégé par une clause de sauvegarde qui défend les pêcheries des petits pays insulaires en développement (article 30). Les armateurs polynésiens peuvent donc pêcher autant qu’ils veulent pour l’instant. Mais les dernières recommandations non contraignantes de la commission thonière WCPFC, qui concernent aussi la Polynésie, étaient de : 1) réduire l’effort de pêche de 36% pour le thon obèse, 2) réduire rapidement l’effort de pêche du germon et 3) ne pas augmenter l’effort de pêche pour le thon jaune. Les pêcheries des grandes nations de pêche comme la Chine, la Corée ou les USA, quant à elles, sont limitées par des quotas contraignants et peuvent difficilement se développer d’avantage. Pour continuer à accroître leur production, les armateurs de ces pays créent généralement des partenariats avec des armateurs insulaires des pays non soumis aux quotas ; ils investissent dans des bateaux, rachètent les productions, et peuvent ainsi continuer à vider les océans en contournant les limitations.

La pêche palangrière est une pêche écologique - DISCUTABLE

Pêche du thon obèse dans le Pacifique occidental et central par type de pêche, en bleu à la senne et en vert à la palangre (CPS 2014).
Pêche du thon obèse dans le Pacifique occidental et central par type de pêche, en bleu à la senne et en vert à la palangre (CPS 2014).
On entend souvent que la pêche à la palangre (à l’hameçon) est une pêche écologique. En effet, cette technique ne cible que des individus matures, qui ont généralement eu le temps de se reproduire avant d’être capturés. Elle est donc beaucoup plus respectueuse pour les stocks que la pêche au filet maillant moins sélective. Cependant, on ne peut pas pour autant considérer que la palangre est une pêche écologique. Selon la CPS, la palangre est responsable des deux tiers de la surexploitation du thon obèse dans le Pacifique (voir la figure 3) et de 95% de la pêche du thon germon. Elle reste donc la technique de pêche qui a l’impact le plus important sur les stocks de thon (hors bonite) du Pacifique. On entend aussi souvent localement que la pêche à la palangre est automatiquement certifiée par un label de pêche durable de type MSC. C’est faux. La production de certaines espèces, comme le germon et le thon jaune, peut être certifiée, mais seulement si l’effort de pêche est jugé durable. Par contre, la production du thon obèse, même à la palangre, ne peut pas être certifiée car cette espèce est déjà surexploitée.

Les Aires Marines Protégées ne fonctionnent pas pour les stocks migrateurs – FAUX

On entend souvent que les réserves marines ne fonctionnent pas pour les poissons pélagiques car ceux-ci se déplacent sur de longues distances ; ils peuvent donc quitter les zones protégées et être capturés à l’extérieur. Il existe certes relativement peu de données sur les bénéfices écologiques des grandes réserves au niveau international, car celles-ci n’ont été établies que très récemment ; la plus ancienne a seulement 10 ans. Mais la science semble aujourd’hui unanime pour décréter que les grandes réserves sont efficaces pour préserver durablement les stocks pélagiques. C’est d’ailleurs pour cette raison que tous les pays du monde se sont engagés à protéger une partie de leur océan dans le cadre de l’ONU et que les experts de l’UICN recommandent la protection stricte de 30% des habitats marins de la planète. Plusieurs articles scientifiques montrent que certains poissons pélagiques (comme le thon jaune et la bonite) ne sont pas si mobiles et peuvent être protégés efficacement par une réserve (voir graphique). D’autres études montrent que les réserves peuvent aider les poissons à arriver à maturité sexuelle et à se reproduire avant d’être capturés. Enfin, une étude récente a montré que les réserves les plus efficaces étaient celles qui sont strictement protégées, bien surveillées et de grande surface. Malgré ces données, une poignée de scientifiques remettent encore en question les bénéfices des grandes réserves pour les stocks halieutiques. Certains d’entre eux sont financés par des lobbies de pêche industrielle pour bloquer les mesures de conservation. Cela étant, face à l’urgence écologique de l’état des stocks halieutiques dans le Pacifique, il semble important de rappeler le concept du "principe de précaution" formulé en 1992 dans la Déclaration de Rio : "En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement".
Déplacement médian de thons à nageoires jaunes tagués entre 1989 et1995 ; la grande majorité des individus ont été recapturés à une distance inférieure à 200 milles marins (Sibert et Hampton, 2002).
Déplacement médian de thons à nageoires jaunes tagués entre 1989 et1995 ; la grande majorité des individus ont été recapturés à une distance inférieure à 200 milles marins (Sibert et Hampton, 2002).


Rédigé par Jérôme Petit (Pew Polynésie) le Mardi 4 Juillet 2017 à 09:58 | Lu 13358 fois