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Quand les champions touchent le fond


Paris, France | AFP | mercredi 19/10/2016 - Les états d'âme affichés par Novak Djokovic, la dépression avouée par Pascal Papé ou les sorties de court de Nick Kyrgios sont de multiples facettes illustrant les cahots psychologiques des sportifs de haut niveau, qui restent tabou dans un milieu hanté par la performance et la maîtrise de soi.

Effets du surentraînement, burn out, trous noir post-retraite, dépressions "structurelles"... Les champions ne sont pas épargnés par les maux de l'âme mais les cachent plus soigneusement que les autres.

"On ne peut pas voir des colosses aller mal", estime Meriem Salmi, psychologue spécialisée dans la prise en charge des sportifs. "Mais comme dans tous les milieux d'élite, de valorisation de la performance comme les grandes écoles par exemple, on est dans le sport nécessairement plus en danger sur le plan de l'anxiété. Les sportifs sont des êtres humains comme les autres, avec une vie privée, une histoire personnelle."

"Les champions sont des gens qui cherchent quelque chose", renchérit Makis Chamalidis, psychologue attaché au centre national d'entraînement de Roland-Garros. "Ils sont obsédés par la réussite et ont le grain de folie sans lequel ils ne peuvent pas l'obtenir".

"Ce sont des gens qui ne sont pas si équilibrés que cela", poursuit le co-auteur de "Champion dans la tête" (les éditions de l'homme, 2016).

-"On nous croit invincibles"-
Il y a cinq ans, une étude de l'Institut de recherche médicale et d'épidémiologie du sport (IRMES) concluait à une "prévalence des troubles psychologiques inférieure, pour les sportifs, à celle de la population: moins de 1% de cas de dépression majeure, contre 2,6%", selon Karine Schaal, la chercheuse qui avait conduit l'étude sur quelque 2.000 sportifs.

Mais l'impression laissée par cette fragilité dépasse tous les chiffres. "Avec nos 120 kilos, on nous prend pour des gens invincibles (...). OK, je fais 120 kilos mais j'ai le droit d'avoir une part de fragilité. On nous prend souvent pour des machines. Et ça peut être dangereux", confessait Pascal Papé samedi dans l'Equipe Magazine, avouant une tentative de suicide en 2013 au bout d'une dépression profonde, née d'une enfance chaotique.

Comme dans le cas de l'ex-capitaine du XV de France ou d'Andre Agassi, qui avouait en 2009 avoir longtemps "détesté le tennis", la dépression des sportifs est souvent le résultat d'une douloureuse histoire personnelle.

Elle peut également être le fruit de leur activité hors norme. Le burn out du sportif est ainsi une pathologie référencée, bien distincte du surentraînement en ce qu'il ne concerne pas seulement la charge physique mais également émotionnelle qui pèse sur les épaules des champions souvent entrés très jeunes dans la carrière.

-Un suivi obligatoire-
Une étude de la Fifpro, le syndicat mondial des joueurs de football professionnel, a ainsi révélé en 2014 que 26% des joueurs souffraient de symptômes dépressifs ou d'anxiété, et 5% de burn out. Bien plus élevé là, que la moyenne de la population "normale".

"Il y a des périodes difficiles dans une carrière", note Lise Anhoury, psychologue à l'INSEP. Il y a les blessures, les échecs, sans parler de la retraite! "Cumulés aux contraintes, aux emplois du temps chargés, cela donne des moments où tout peut basculer", relève-t-elle.

D'autant que les troubles du comportement (anorexie), les addictions (toxicomanie, dopage) et les comportements suicidaires sont à ranger dans une relation viciée au corps, outil de travail magnifié par la compétition. Un fait démontré par une étude du Pr William Lowenstein établissant la sur-représentation d'ex-sportifs de haut niveau parmi une population de toxicomanes.

Le docteur Jean-Christophe Seznec, ancien psychologue des équipes de France de cyclisme, insiste lui sur les dangers de l'après-carrière. "L'enjeu pour l'homme, c'est d'apprendre à être. Ce n'est pas parce que l'on sait faire que l'on sait être... A la fin d'une carrière, on se retrouve avec les mêmes questions existentielles sans avoir franchi les mêmes étapes que les autres", dit-il.

Depuis la loi de 2006 qui oblige les sportifs à un suivi médical, y compris psychologique, ces pathologies sont mieux prises en charge en France. A l'INSEP, environ 245 sportifs et entraîneurs, sur les 600 élèves que compte le centre, se sont présentés spontanément en 2015 pour rencontrer un psychologue.

"On est en retard sur beaucoup d'autres pays en France", estime Meriem Salmi, la "psy" (entre autres) de Teddy Riner. "Mais la parole se libère et cela devient moins tabou", continue la thérapeute qui estime que sur une blessure longue, d'au moins un an, "on est quasiment sûr de rencontrer un épisode dépressif contextuel."

cha/pga/jcp

Rédigé par () le Mercredi 19 Octobre 2016 à 05:09 | Lu 259 fois