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Projet controversé de retour à la peine de mort en Papouasie-Nouvelle-Guinée


Projet controversé de retour à la peine de mort en Papouasie-Nouvelle-Guinée
PORT-MORESBY (Papouasie-Nouvelle-Guinée), vendredi 24 mai 2013 – Dans le cadre d’un durcissement de ses lois contre la criminalité, le gouvernement de Papouasie-Nouvelle-Guinée prépare actuellement un amendement sur le point d’être présenté au Parlement et qui devrait adopter plusieurs modes d’exécutions, mais aussi punir non seulement les vols à main armée, les viols, les meurtres (dont ceux liés à des accusations de sorcellerie), mais aussi la corruption.

Parmi les crimes ciblés : les viols aggravés, dont ceux en réunion, les meurtres liés à des accusations de sorcellerie, mais aussi les vols à main armée et des faits de corruption portant sur un montant avéré supérieur à 10 millions de Kina (3,5 millions d’euros), rapporte vendredi le quotidien The National.

Pour les cas de corruption active et de détournement de fonds, si la somme est inférieure à 10 millions de Kina, alors la peine maximale serait la prison à vie et sans possibilité de libération anticipée.

Les trois méthodes d’exécution retenues dans ce texte provisoire, sans qu’une ait encore été choisie en particulier, sont la pendaison jusqu’à ce que mort s’ensuivre, l’administration d’anesthésiants suivie d’une injection de substances létales, l’administration d’anesthésiants suivie d’une privation d’oxygène et enfin la mort par peloton d’exécution.

Toutes ces dispositions devraient être présentées au Parlement sous forme d’un amendement au Code Pénal existant.

Par ailleurs, sur le même dossier, le secrétaire général de la commission chargée des réformes constitutionnelles et législatives, Eric Kwa, était cité, toujours vendredi, par la presse comme se prononçant en faveur de "tribunaux villageois", car ceux-ci seraient plus à même de traiter des questions souvent liées à la coutume et aux affaires traditionnelles.

Ce responsable fait notamment référence aux affaires criminelles liées à des accusations de sorcellerie et à la nécessité d’abroger la loi relative aux pratiques de sorcellerie, qui date de 1971.

Dans le projet de loi actuellement en préparation, les individus reconnus coupables de meurtres dans des affaires de sorcellerie seraient quasi-automatiquement considérés comme coupable d’homicide volontaire et de ce fait passibles de la peine de mort.

Le projet de loi tente aussi d’incorporer dans la notion de sorcellerie, celles, plus larges, de sort (connu sous le nom de "boucan", notamment en Nouvelle-Calédonie).

Le même schéma serait aussi adopté pour les cas de viol aggravé.

En fin de semaine, la presse locale faisait une nouvelle fois état du meurtre d’une vieille femme accusée de sorcellerie après la mort inexpliquée d’un jeune garçon, au village de Konoma (province de Chimbu).
Elle avait ensuite été rapidement accusée d’avoir jeté un sort au jeune garçon.

Les faits remonteraient à une quinzaine de jours.
Quatre personnes ont été arrêtées peu après la mort de la victime qui été quasiment enterrée vivante.
C’est une équipe de la police qui, alertée tardivement par des villageois, s’est rendue sur place pour constater la présence d’un corps en état de décomposition avancée et qui se trouvait dans un trou à l’origine aménagé pour des toilettes publiques.

La peine de mort fait théoriquement toujours partie de l’arsenal juridique papou, mais elle n’a pas été pratiquée depuis des décennies. Motif : la méthode préconisée par les textes, la pendaison, était jugée inappropriée.
De ce fait, une dizaine d’individus, condamnés à la peine de mort, sont toujours en souffrance.

Dans son dernier rapport mondial rendu public cette semaine, l’organisation de défense des droits humains Amnesty international consacre un chapitre à la Papouasie-Nouvelle-Guinée, dans lequel, outre les violences faites aux femmes et aux filles, est spécifiquement mentionné le problème des meurtres liés à la sorcellerie.

"De nombreuses informations faisaient état de meurtres liés à la sorcellerie, les femmes risquant généralement plus que les hommes d’en être victimes. À quelques exceptions près, les autorités n’ont pas fait grand-chose pour lutter contre ce problème. En juillet, la police a arrêté huit femmes et 21 hommes, qui ont été inculpés de meurtre et d’actes de cannibalisme sur la personne de trois femmes et de quatre hommes, dans la province de Madang. Les auteurs présumés de ces actes avaient soutenu que les victimes étaient des sorciers", souligne le rapport.


Un "revers majeur", selon l’ONU

La perspective de réactivation de la peine de mort a aussi tout récemment suscité l’indignation de l’ONU et de son Haut commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH).

Dans un communiqué vendredi 17 mai 2013, le HCDH considère les intentions papoues comme un "revers majeur" et a exprimé "sa vive préoccupation".

La Haut commissaire Navi Pillay a également envoyé une lettre au Premier ministre O’Neill l'exhortant "à maintenir le moratoire et à faire partie du nombre croissant d'États membres qui ont aboli cette peine, dont 11 États du Pacifique", a précisé le porte-parole du HCDH, Rupert Colville, lors d'une conférence de presse à Genève.

La Papouasie Nouvelle-Guinée avait placé en 1954 un moratoire sur la peine de mort avant de voter une loi en 1970 prohibant son application, sans toutefois retirer cette peine de ses textes.

"La recrudescence des crimes violents en Papouasie Nouvelle-Guinée, tels que les viols, les actes de torture et les meurtres, pose, il est vrai, un défi considérable. Néanmoins, il n'a jamais été prouvé que la peine de mort soit plus dissuasive que d'autres sanctions pénales", insiste le porte-parole.

Au plan local, certains sont aussi ouvertement opposés à la peine de mort, mais en raison de leurs convictions religieuses affichées : ainsi, le chef de la police de la province de Jiwaka (Hauts Plateaux), Simon Nigi, n’hésitait pas mi-mai 2013 à estimer qu’en guise de sentence, au lieu de l’exécution, les criminels endurcis devraient avoir "les bras coupés".

L’officier de police a confié au quotidien The National qu’il était personnellement opposé à la peine de mort, du fait de ses convictions chrétiennes.

"Dieu donne la vie et lui seul peut la reprendre, personne d’autre n’a ce droit de prendre la vie (…) Mais ces gens utilisent bien leurs bras pour commettre leurs crimes. Et donc si on les leur coupe, ils ne pourraient plus rien faire. Par exemple, si je laisse un pistolet chargé devant un criminel sans bras et que je quitte la pièce, quand je reviens, le pistolet n’aura pas bougé", a-t-il lâché.

Un "Alcatraz" papou ?

Pour les peines d’emprisonnement des criminels les plus endurcis, une autre mesure a été annoncée par les autorités locales : une nouvelle prison de haute sécurité sur l’île de Manus, où se trouve déjà un centre de rétention pour des immigrants clandestins interceptés à destination de l’Australie.

Selon le Premier ministre papou, Peter O'Neill, cet établissement aurait pour principal avantage de se trouver sur une petite île isolée, ce qui devrait rendre plus difficiles les évasions, qui ne cessent de se produire dans les centres pénitentiaires actuels, y compris la prison de Bomana, tout près de la capitale Port-Moresby, ou celle de Beon (Madang).

Selon le projet dévoilé, il s’agirait aussi de la première prison gérée par une société privée, en sous-traitance, a précisé M. O’Neill, qui s’exprimait lors d’une session du Parlement national.

Cette annonce intervient quelques jours après la visite officielle en Papouasie-Nouvelle-Guinée de la Première ministre australienne Julia Gillard.
À cette occasion, des questions de sécurité nationale ont été évoquées, y compris un accord entre les deux pays concernant le retour en Papouasie-Nouvelle-Guinée de conseiller australiens dans le domaine de la police et le développement d’une coopération militaire bilatérale.

La question de la cohabitation sur la même île du centre de rétention pour immigrés (réactivé en octobre 2012 à la demande expresse de l’Australie) et de ce projet de prison de haute sécurité n’a pas encore été explicitement évoquée par le gouvernement local.

Mouvement national contre le crime

Les 13 et 14 mai 2013, à travers tout le pays, des manifestations ont eu lieu sous forme de protestations, manifestations et autres marches pacifiques, dans le cadre d’une action concertée en vue de sensibiliser la population aux violence faite aux femmes de cet État mélanésien et qui ont connu, ces derniers mois, une nouvelle vague de recrudescence.

Le mouvement intervenait aussi en réaction à une recrudescence plus générale de la criminalité dans cet État mélanésien de sept millions d’habitants.

Ce mouvement, baptisé "Haus Krai" (la maison des pleurs, en pidgin mélanésien), intervient notamment en réponse à une prolifération de cas de violences faites aux femmes, non seulement dans le cadre conjugal, mais aussi en mode exécution de personnes publiquement accusées de pratiquer la sorcellerie.

Par ailleurs, plusieurs cas de viols collectifs ont été signalés ces dernières semaines, dont certains concernaient des femmes expatriées.
La dernière en date était une jeune chercheuse américaine.

Ce mouvement a aussi été relayé par les organisations de défense des droits des femmes de plusieurs pays de la région, dont l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Fidji, le Japon, la Malaise et les Philippines.

M. O’Neill, interpellé par de nombreuses pétitions, s’était résolu à présenter ses excuses à la population tout en promettant de prendre des mesures fortes.

Ce dernier a notamment rappelé son intention de durcir les lois condamnant les violences faites aux femmes et d’abroger une vieille loi relative aux pratiques de sorcellerie, perçue comme étant désormais utilisée comme prétexte par des communautés pour montrer du doigt des femmes et les exécuter sommairement, comme ce fut le cas à plusieurs reprises depuis le début 2013.

L’une d’elles, une jeune mère d’un nourrisson, a été brûlée vive sur la place publique, sous les yeux d’une police impuissante.

Rédigé par PAD le Vendredi 24 Mai 2013 à 20:45 | Lu 633 fois