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Premier essai nucléaire en Polynésie, une commémoration divisée


Tahiti, le 2 juillet 2023 - En mémoire du premier essai nucléaire en Polynésie effectué le 2 juillet 1966 à Moruroa, l’association 193 et l’Église protestante ma’ohi ont décidé de décentraliser la commémoration annuelle vers la Presqu’île de Tahiti. Avec les premiers à Teahupo’o et les seconds à Papearii, la commémoration semble toutefois bien divisée.
 
Un peu moins d’une centaine de personnes ont répondu à l’appel de l’association 193, pour une marche de commémoration du premier essai nucléaire en Polynésie effectué le 2 juillet 1966 à Mururoa. Une marche organisée cette année à Teahupo’o, lieu choisi pour sa future notoriété liée aux prochains Jeux olympiques. Les protestants, quant à eux, ont décidé d’organiser un culte décentralisé sous les balcons du centre pénitencier Tatutu à Papearii. En l’absence de l’association Mururoa e tatou, l’Église protestante dit la représenter, sans toutefois afficher une seule pancarte.

Demandes d’indemnisations : rejets sur rejets

Plus d’un demi-siècle après le premier essai nucléaire et après plusieurs commémorations annuelles, les discours ont bien du mal à changer de verbe, face à une inertie de l’État qui se maintient dans une position à ne pas vouloir ouvrir d’indemnisations au profit des malades dont les pathologies ont bien été reconnues radio-induites. “Il y a toujours une lueur d’espoir malgré les rejets sur rejets du Civen (Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, NDLR)”, a indiqué Parau Bono, représentante de la Carven, la cellule d’accompagnement et de réparation des victimes liées aux essais nucléaires créée en 2017 par l’association 193. “On ne comprend toujours pas pourquoi le Civen n’accepte pas nos demandes, pourtant les malades remplissent les trois conditions de lieu, de dates et des 23 maladies reconnues par la loi Morin”, a-t-elle précisé avant de poursuivre : “Ce qui me désole, c’est que des personnes qui remplissaient pourtant les conditions d’indemnisation sont décédées, il y en avait encore la semaine dernière, j’en ai été témoin”.

De son côté, Maxime Chan, l’un des piliers de l’association 193, déplore encore le maintien du millisievert dans la méthodologie d’indemnisation suivie par le Civen, mais dit comprendre finalement “la volonté de l’État de ne pas accélérer et de modérer l’indemnisation des victimes du nucléaire”. Selon l’ancien homme d’Église, “les outils pour estimer la quantité du millisievert ne sont pas performants puisqu’ils se basent principalement sur des prélèvements dans des bases de données de l’époque des essais, et en l’absence d’autres outils, il convient de lever ce millisievert, il n’y a pas à discuter, point final”.

La levée de l’année 98

La méthodologie retenue par le Civen tient compte de la période allant du 2 juillet 1966 au 31 décembre 1998 pour satisfaire les critères de dates ouvrant droit à indemnisation. En d’autres termes, toute personne née en Polynésie après 1998 ne peut prétendre à une quelconque indemnisation pour des maladies liées aux essais nucléaires et reconnues comme tel.
 
L’association 193 ouvre ainsi une nouvelle page de son histoire de lutte antinucléaire en ciblant les nombreuses maladies dites transgénérationnelles, pour les faire reconnaître radio-induites. Le frère Maxime reste néanmoins prudent : “Depuis neuf ans qu’on observe le comportement de l’État français, on sait qu’ils ne vont jamais faciliter l’aboutissement de toutes les revendications, parce que c’est reconnaître à ce moment-là qu’ils sont responsables d’un certain nombre de conséquences catastrophiques sur le territoire”.

Un culte de contestation
 
Chaque année, l’Église protestante ma’ohi participe à la commémoration du 2-Juillet 1966, date hautement symbolique du début des essais nucléaires en Polynésie, mais n’a jamais organisé de marche un dimanche, jour de culte. Une première donc pour les protestants qui ont fermé les portes de leurs temples afin d’organiser un grand culte sur la place Tatutu à Papearii. Près de 600 fidèles s’y sont rendus, à l’invitation de leur président François Pihaatae, qui a renouvelé l’appel de l’Église adressé à l’État français pour la réparation des conséquences néfastes des essais nucléaires.
 
“On ne peut pas tourner la page du nucléaire comme le disent certains, car nous ne pouvons pas oublier cette partie de notre histoire, la vérité doit se faire connaître”, a martelé le président de l’Église protestante, avant de rappeler que “la France doit reconnaître ses fautes”. Première organisation à déposer plainte contre l’État français à la cour internationale de La Haye pour crime contre l’humanité, l’Église protestante ma’ohi se réjouit aujourd’hui d’une avancée dans cette affaire avec une mise en examen possible de la France.
 
Quant à la question de savoir où en en sont les relations de l’Église avec l’association Mururoa e tatou, réponse du président Pihaatae : “L’Église protestante ma’ohi et Mururoa e tatou, c’est la même entité !” Sur une petite note d’amertume, le président Pihaatae a déploré l’absence du gouvernement à la manifestation qu’elle organisait ce dimanche. “C’est leur combat, c’est notre combat, normalement le gouvernement devrait être présent, mais ils ne sont pas là”, a-t-il conclu.


Rédigé par Paora’i Raveino le Lundi 3 Juillet 2023 à 12:38 | Lu 1910 fois