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Orongo, temple de “l’Homme Oiseau”


Chaque année, les Pascuans se réunissaient à Orongo ; les chefs de guerre, les “matatoa” envoyaient un de leurs hommes sur Motu Nui, d’où ils devaient ramener le premier œuf d’un oiseau marin migrateur, pour consacrer le Tangata Manu, “l’Homme Oiseau”.
Chaque année, les Pascuans se réunissaient à Orongo ; les chefs de guerre, les “matatoa” envoyaient un de leurs hommes sur Motu Nui, d’où ils devaient ramener le premier œuf d’un oiseau marin migrateur, pour consacrer le Tangata Manu, “l’Homme Oiseau”.
Tahiti, le 9 avril 2020 - Au XIXè siècle, une fois par an à l’île de Pâques, la force, le hasard et l’astuce permettaient de désigner le Tangata Manu, l’Homme Oiseau. Il régnait sur les clans avec tous les pouvoirs, mais complètement isolé dans la carrière de moai. La désignation de ce chef suprême se passait à Orongo, sur la crête du Rano Kau…
Tahiti Infos a toujours plaisir à emmener ses lecteurs en balade sur l’île de Pâques. Notre grande et belle voisine, à la fois chilienne et polynésienne, mérite en effet plusieurs visites ; à chaque passage, elle se dévoile un peu plus.
Orongo, au sommet du grand Rano Kau (l’un des plus beaux cratères volcaniques du Pacifique), est aujourd’hui l’objet de notre escapade, pour évoquer le culte de l’Homme Oiseau, qui, officiellement, a pris fin en 1864.
 
1680 : les statues renversées
 
La grande affaire des Pascuans, pendant des siècles, avait été de rendre hommage à leurs ancêtres, à travers les statues géantes érigées devant les villages, dos à la mer. Les moai restent aujourd’hui la première attraction de cette destination culturelle unique au monde ; mais aux alentours de 1680, les Pascuans renoncèrent à ce culte, renversèrent les statues, se déchirant entre clans dans des luttes fratricides funestes, probablement pour des raisons de dégradation de leur environnement, d’une forte sécheresse, d’une probable surpopulation, du déboisement quasi total de l’île et d’une climatologie défavorable. 
Après des décennies de guerres intestines, les matato’a, les guerriers, établirent un nouvel ordre politique et religieux. Les statues renversées, souvent brisées, profanées et enfin abandonnées, les clans ayant survécu à ce qui fut sans aucun doute la plus funeste guerre que connut l’île se réunissaient une fois par an à Orongo, dans des huttes de pierres plates. Les chefs désignaient des représentants de leur clan, les hopu, qui, au péril de leur vie, descendaient la vertigineuse falaise du Rano Kau et nageaient dans des eaux que l’on disait infestées de requins jusqu’au Motu Nui (des requins, on n’en voit pas ou pratiquement jamais en plongée autour de l’île aujourd’hui). 
Une fois installés sommairement sur ce motu, se protégeant dans de petites grottes, les hopu attendaient la ponte d’un oiseau migrateur, la sterne (manutara). Le premier qui ramenait un œuf entier à son maître en faisait le Tangata Manu de l’année. 
Celui-ci, si l’on en croit certaines traditions orales, réglait ses comptes avec ses rivaux, puis se rasait la tête et se retirait un an dans la carrière abandonnée du Rano Raraku où il servait d’arbitre dans les conflits, sa personne étant sacrée et donc frappée d’un tapu ; l’année suivante, le titre était remis en jeu selon le même principe. 
Massacres et cannibalisme marquaient fortement, selon quelques souvenirs recueillis à la fin du XIXe siècle, ce rituel annuel destiné à honorer la renaissance de la vie, à travers ce premier œuf symbolique.
 
Ultime homme oiseau en décembre 1866
 
Officiellement, ce qu’a retenu l’histoire, c’est que la dernière cérémonie du Tangata Manu s'est tenue le 22 décembre 1866 en présence du missionnaire français Eugène Eyraud qui a largement contribué à éradiquer les croyances indigènes au profit du catholicisme. 
Lorsque le frère Eyraud, de la congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie (les Picpus comme ils sont surnommés), entama l’évangélisation de l’île, il échoua lors de son premier séjour de neuf mois en 1864, mais revint en 1866 accompagné d’un père de la même congrégation ; ils furent vite épaulés par d’autres missionnaires et aides envoyés des Gambier. Et cette fois-ci, la « greffe » prit, d’autant que la communauté pascuane était en très grande détresse après de terribles razzias menées depuis le Pérou pour se procurer de la main d’œuvre. 
Aux yeux des missionnaires, le culte païen du Tangata Manu prit fin, c’est vrai, en 1866, mais on oublie qu’en 1868, les religieux abandonnèrent la mission et partirent avec presque toutes leurs ouailles pour les Gambier ou Tahiti, afin d’échapper à la brutalité d’un aventurier français, Jean-Baptiste Onésime Dutrou-Bornier, qui s’était autoproclamé roi, en épousant une Pascuane (Koreto).
Dutrou-Bornier parvint à conserver environ deux cents Pascuans, beaucoup par la force (certains étaient âgés, donc parfaitement au fait du culte de l’Homme-Oiseau), mais le dictateur français fut très probablement abattu par ceux-ci en 1878, compte tenu de sa violence et de son comportement de prédateur sexuel envers les jeunes Pascuanes.
 
Un tangata manu après 1866 ?
 
En 1882, B.F. Clark, embarqué à bord du Sappho, décrit brièvement l’île (alors exploitée par Alexander Salmon, de Tahiti, ayant succédé à Dutrou-Bornier, en tant qu’éleveur). 
Nous avons retrouvé ce rapport. 
Extrait : les Pascuans “sont divisés en plusieurs petits clans dont le seul but est de montrer sa force et son courage et les querelles viennent principalement des efforts fournis par chaque clan pour s’assurer la récolte des premiers œufs sur Needle Rock, lors du “grand renouveau” de chaque année et auquel ils attachent une superstitieuse valeur. L’homme qui ramène le premier œuf donne sa supériorité à son clan pour une année tout en devenant lui-même ermite, subvenant seul à ses besoins, ne se coupant ni cheveux ni ongles durant ce laps de temps”…
De quoi parle Clark, dans un texte conjugué au présent ?  Du culte de l’Homme Oiseau, qui, après 1868 (le départ des missionnaires) a peut-être survécu, d’une manière ou d’une autre, même si la désignation d’un Tangata Manu en 1882 paraît tout de même très discutable. 
Une chose est sûre, si le culte de l’Homme-Oiseau est mort en 1866, marquant ainsi la fin d’un chapitre de l’histoire de l’île de Pâques, Orongo continua très probablement à être un centre cérémoniel respecté. 
La véritable mort d’Orongo eut lieu un peu plus tard, en 1868, lorsqu’un navire britannique, le HMS Topaze, enleva avec la complicité active de Dutrou-Bornier, la statue emblématique du site, la « Briseuse de vagues », Hoa haka nana ia...

Une vue générale du superbe cratère du Rano Kau ; le village de pierres d’Orongo se situe sur la droite, au bord de la lèvre de basalte dominant la mer.
Une vue générale du superbe cratère du Rano Kau ; le village de pierres d’Orongo se situe sur la droite, au bord de la lèvre de basalte dominant la mer.

Le mystère de la « Briseuse de vagues »

La Briseuse de vagues emmenée d’Orongo en 1868, telle qu’elle se trouve aujourd’hui au British Museum. Reviendra-t-elle un jour à l’île de Pâques ? Retrouvera-t-elle le site d’Orongo d’où elle a été enlevée ? (Photos BM)
La Briseuse de vagues emmenée d’Orongo en 1868, telle qu’elle se trouve aujourd’hui au British Museum. Reviendra-t-elle un jour à l’île de Pâques ? Retrouvera-t-elle le site d’Orongo d’où elle a été enlevée ? (Photos BM)
Le site d’Orongo abritait la statue sans aucun doute la plus emblématique de l’île de Pâques, communément appelée la « Briseuse de vagues », Hoa haka nana ia, un moai de 242 cm de hauteur (pour un poids de 4 tonnes), tout à fait unique car sculpté dans un basalte très dur et dont le dos notamment était orné, entre autres, de splendides pétroglyphes d’Hommes-Oiseaux, preuve que cette statue, sans doute postérieure aux autres moai de tuf du Rano Raraku faisait en quelque sorte le lien entre l’ancien culte des ancêtres et celui du Tangata Manu (la dureté de la roche volcanique, comparée au tuf utilisé pour sculpter les moai, laisse penser que cette statue très élaborée l’a sans doute été grâce à des outils en fer, donc postérieurement à la découverte, en 1722). 
En 1868, un navire de guerre anglais, le HMS Topaze, ancra au large de l’île ; à terre, avec les encouragements du roi français Jean-Baptiste Onésime Dutrou-Bornier, qui monaya ce « cadeau », l’équipage britannique détruisit une des 53 maisons du village d’Orongo pour en extraire la Briseuse de vagues qui fut ramenée à Porthsmouth, en Europe, le 25 août 1869. Elle est aujourd’hui conservée au British Museum, depuis que la reine Victoria en a fait don au musée.
A noter que le nom Hoa haka nana ia, parfois orthographié Hoa Hakananai'a, fait l’objet de plusieurs interprétations, certains auteurs considérant que la traduction réelle est  l'« amie dérobée ». 
 
Un retour à Rapa Nui ?
 
Fin novembre 2018, une délégation de Pascuans, accompagnés par le ministre chilien du Patrimoine national, Felipe Ward, a rencontré à Londres la direction du British Museum pour réclamer le retour de la statue, les Pascuans proposant en échange de faire don au musée d’une réplique de ce moai emblématique. Car justement, depuis 1992, grâce à l’initiative de deux Français qui résidaient alors à Tahiti, Daniel Montconduit et François Le Calvez (ce dernier vivant aujourd’hui à Santiago), une statue en basalte, très proche dans sa conception de Hoa Hakananai'a, fut réalisée par les jeunes de l’île, sous la férule du sculpteur Miguel, statue baptisée « Moai de la Paix ».
La pierre dans laquelle a été sculpté le Moai de la Paix est un basalte très dur provenant des flancs du volcan Maunga Terevaka. L’idée, alors, était de faire voyager ce moai dans le monde entier comme symbole de paix entre les peuples. Après Tahiti, Nouméa, Paris, Lisbonne, Orlando et Tokyo, la statue est longtemps restée à Santiago avant de finalement regagner l’île de Pâques le 9 juillet 2010 (elle fut ainsi un témoin de l’éclipse solaire). Elle pourrait, semble-t-il, servir demain de monnaie d’échange entre le British Museum et l’île de Pâques, le premier rendant le moai d’Orongo et la seconde offrant en contrepartie le Moai de la Paix...

À lire

- Île de Pâques. A la rencontre du mana ; François Le Calvez, Daniel Montconduit, Patrick Van Den Heede (Albin Michel, 1993)
- Île de Pâques. Guide ; Daniel Pardon (Au vent des îles 2003)

Orongo pratique

Comme jadis, sur le site le plus riche en pétroglyphes d’Orongo, un Pascuan observe les îlots au large, Motu Nui, Motu Iti et Motu Kaokao.
Comme jadis, sur le site le plus riche en pétroglyphes d’Orongo, un Pascuan observe les îlots au large, Motu Nui, Motu Iti et Motu Kaokao.
Pour y aller
Un vol hebdomadaire Latam sur Rapa Nui. Essayez d’organiser, via internet, votre séjour “clés en mains” (location de voiture comprise) pour bénéficier de prix attractifs et pour ne pas avoir à vous soucier sur place de votre hébergement. 
 
Pour découvrir l’île
Offrez-vous au moins une journée de tour de l’île en étant guidé par un professionnel. Vous verrez l’essentiel et vous pourrez revenir tranquillement, à pied, à cheval, ou en voiture là où vous le souhaitez.
 
Le must
La plus belle excursion hors des sentiers battus consiste à faire à pied (il n’y a ni route ni chemin) la liaison dans un sens ou dans l’autre entre le village de Hanga Roa et la plage d’Anakena. La côte nord-ouest est la partie la plus sauvage de l’île, riche en vestiges et rarement fréquentée par les touristes.
 
Orongo
Le site se visite en deux heures, si vous montez en voiture. Payez votre taxe d’entrée au poste de garde et profitez de l’air et de la vue sur l’intérieur du cratère du Rano Kau. Avant le parking, arrêtez-vous au lieu-dit “le Belvédère” où le panorama sur le cratère vous coupera le souffle. Malheureusement, on ne peut plus y descendre, un programme de préservation de la flore en interdisant l’accès.
 
Ne pas faire
Ne montez jamais sur les pétroglyphes très nombreux d’hommes oiseaux, de Make Make (divinité pascuane) ou de sexes de femmes stylisés (komari), ni sur les fragiles maisons en pierres sèches. Respectez les consignes, vous êtes dans un véritable musée. Et les surveillants sont vigilants...
 
À quelle heure ?
Tôt le matin, ou mieux tard le soir, les lumières sont sublimes, mais les ombres très larges dans le cratère. L’idéal est de venir en milieu d’après-midi, quand le cratère est illuminé et de laisser le soir venir…
 

Rédigé par Daniel Pardon le Vendredi 10 Avril 2020 à 21:07 | Lu 2448 fois