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Oraihoomana Teururai, ministre du logement : “Il faut répondre à l’urgence”


Oraihoomana Teururai, ministre du logement, du foncier et de l'aménagement depuis février dernier. Crédit photo : Thibault Segalard.
Oraihoomana Teururai, ministre du logement, du foncier et de l'aménagement depuis février dernier. Crédit photo : Thibault Segalard.
Tahiti, le 30 avril 2025 - Ministre du Logement, du Foncier et de l’Aménagement depuis février dernier, Oraihoomana Teururai revient, pour Tahiti Infos, sur les priorités de son nouveau portefeuille. Accès au logement social, raréfaction du foncier, prêt à taux zéro, aide au paiement des loyers, avenir de la plage de Temae : autant de dossiers sensibles qu’il entend aborder.
 
Vous avez été nommé ministre du Logement, de l’Aménagement et du Foncier en février dernier, succédant ainsi au président Moetai Brotherson, qui détenait ce portefeuille. Dans quel contexte s’est déroulée cette nomination, quelques semaines après votre départ de la direction de l’OPH en décembre ?
 
“J'avais déjà eu quelques échanges avec le président, notamment lors de présentations de dossiers en conseil des ministres ou à la direction de son cabinet. Mais je ne le connaissais pas particulièrement. La jonction entre ma démission de l’OPH et cette prise de poste s'est faite assez naturellement. J'avais quitté l’OPH parce que je considérais que ma mission y était terminée. J’ai toujours été attiré par la stratégie et l’opérationnel. J’ai ressenti le besoin de revenir à la conception des politiques publiques.
 
Le président m’a ensuite demandé de le rejoindre en tant que conseiller spécial pour l’aider à y voir plus clair sur ce secteur. J’ai accepté : c’était très intéressant d’être au plus près du président pour l’accompagner dans cette réflexion. Et puis, en voyant mon implication et ma passion pour ce sujet, il a dû se dire pourquoi pas le prendre comme ministre. De plus, on était en phase sur les orientations à prendre. Il m’a donc proposé le poste.”
 
Quelles sont justement ces grandes orientations ?
 
“Le président a bien compris qu’il fallait agir sur deux temporalités : le très court terme et le long terme. Le problème d’accès au logement, qu’il soit locatif ou en accession à la propriété, vient du déséquilibre entre l’offre et la demande. À l’OPH, on a 4 000 demandes pour seulement 70 à 100 logements produits par an. C’est insuffisant. Il faut donc augmenter l’offre, mais construire demande de l’argent mais aussi énormément de temps. Même si je décide de donner 20 milliards de francs, les clés ne seraient pas remises avant quatre ou cinq ans. Donc, oui, on construit, mais en parallèle, il faut répondre à l’urgence.
C’est l’objet du prêt à taux zéro (PTZ) et de l’aide au paiement des loyers. Le PTZ est à l’étude, il a été transmis au Cesec il y a deux semaines. On espère un avis favorable pour le présenter à l’assemblée et une entrée en vigueur dès cette année. Ce n’est pas une mesure de rééquilibrage structurel mais une aide immédiate pour les ménages qui peinent à accéder à un crédit. Certaines familles qui souhaitent acheter un F3 par exemple, ne peuvent acheter qu’un F2 à cause du coût du prêt. Le PTZ est donc là pour booster la capacité financière des personnes.
 
Idem pour l’APL (aide au paiement de loyer) polynésienne : ce n’est pas une aide à la construction mais une aide financière pour réduire la charge du loyer, qui peut représenter jusqu’à 50 % des revenus d’un ménage. L'APL a vocation à venir descendre ce poids que représente le loyer dans le budget de la famille. Donc ce n'est pas une mesure destinée à pousser à la construction. C'est une mesure financière destinée à aider.”
 
Ces mesures ciblent principalement les classes moyennes ?
 
“Oui, ces dispositifs sont soumis à des plafonds de revenus. On ne s’adresse ni aux plus aisés, qui peuvent se loger seuls, ni aux foyers sans revenu. Le PTZ, par exemple, cible ceux qui dépassent légèrement les plafonds des fare OPH mais n'ont pas les moyens d'accéder à la propriété par eux-mêmes. Il faut replacer la population dans les bonnes cases.”
 
Le prêt à taux est une mesure très attendue par la population. Le PTZ avait été annoncé pour la mi-année. Où en est-on ?
 
“Il devrait entrer en vigueur entre août et septembre. On a pris le temps de consulter les banques, qui seront les distributeurs de ce produit. Ce n’est pas moi qui l’ai fait dans mon coin, le texte a été discuté et travaillé. La phase de consultation a donc pris un certain temps. Il fallait respecter leurs contraintes d’agenda. Je confirme que ce sera bien pour cette année.”
 
En début d’année, le président évoquait dans une interview que l’année 2025 serait, entre autres, celle du logement. Avec notamment une accélération de la production de logements intermédiaires. Où en est la production ?
 
“Il voulait certainement parler du secteur du logement social. Dans ce sens, on a renforcé le soutien au logement social, notamment à l’OPH, avec une augmentation du budget. On est passés de 400 à 600 fare par an, soit à peu près le nombre de demandes annuelles. On a aussi renforcé les opérations d’habitat groupé dans les cinq archipels.
 
Sur l’intermédiaire, on soutient les opérateurs privés : on attend 188 logements agréés cette année. En 2023, on visait 150 et on en a eu 203. Cette année, on s’est fixé un objectif de 200 logements, on est à 180 pour l’instant. Nous ne sommes pas loin. On sait que ce n’est pas suffisant mais on essaie de faire notre maximum.”
 
D'ailleurs, deux ans et demi après son lancement, quel premier bilan peut-on tirer d’Arana, la filiale de l’OPH destinée à soutenir le logement social et intermédiaire via la Banque des territoires ? L’organisme est-il aujourd’hui à la hauteur des ambitions affichées à sa création ?
 
“On ne peut pas encore dire que les objectifs initiaux sont pleinement atteints. Arana, bien que lancée il y a un peu plus de deux ans, a mis du temps à concrétiser ses premières opérations. Il a fallu beaucoup de pédagogie, d'explications, pour qu’un cadre réglementaire adapté soit mis en place.
 
Ce que je retiens, surtout, c’est que le modèle d’Arana est radicalement différent de celui de l’OPH. Quand vous injectez 100 francs dans un projet OPH, vous obtenez 100 francs de construction, subventionnés. Avec Arana, ces 100 francs peuvent être transformés en 300 ou 400 grâce à des cofinancements, notamment via la Banque des territoires. C’est cette capacité d’effet de levier qui, à mes yeux, justifie pleinement le choix d’avoir misé sur cette structure.
 
Aujourd’hui, Arana dispose d’un portefeuille de projets, certains en phase de montage, d’autres en cours d’étude. Je ne suis pas président du conseil d’administration ni directeur général, mais je sais que des projets de construction, d’acquisition et de rénovation sont à l’étude.”
 
Au total, que représente aujourd’hui le coût des secteurs du logement social et intermédiaire pour le ministère ?
 
“Actuellement, en section d’investissement, on est autour de 15 à 16 milliards de francs. Mais soyons clairs : ce n’est jamais assez. Bien sûr que les besoins sont immenses et on pourrait toujours faire plus. Cela dit, il faut aussi regarder au-delà du simple besoin et prendre en compte la capacité réelle de production.
 
Je parle ici de la capacité des opérateurs, bien sûr, mais aussi de celle des entreprises du bâtiment, du gros œuvre, des fournisseurs de matériaux… On n’a pas un tissu économique extensible à l’infini. Si je monopolise toutes les entreprises pour des projets de logement, ce sont autant de chantiers que mes collègues des Grands travaux ne pourront pas lancer. Donc oui, le budget est important, mais ce n’est qu’un facteur parmi d’autres. Il faut rester lucide.”
 
Pour conclure, sur le volet aménagement qui relève également de votre portefeuille ministériel, quels sont aujourd’hui les projets structurants ou prioritaires en cours ?
 
“Je ne m’occupe pas des routes, ports ou infrastructures. Mon travail, c’est l’aménagement du territoire : développement harmonieux, éviter les constructions anarchiques, préserver l’équilibre entre agriculture, tourisme, habitat, etc. Je suis aussi en charge du Schéma d’aménagement général de la Polynésie (Sage). L’aménagement est par essence transversal : il touche à l’agriculture, au tourisme, à l’habitat, aux infrastructures sociales… C’est pourquoi je suis en charge du Sage. Il s’agit de notre cadre directeur : comment notre territoire doit-il évoluer d'ici 30 ans ?
 
J’ai aussi en charge l’urbanisme. Sur ce sujet, on va plus dans le détail : hauteur des bâtiments, inclinaison des toitures, nature des clôtures. Ce sont les règles de construction.
 
Nous avons plusieurs projets, notamment sur l’adaptation de notre territoire au changement climatique, notamment à l’érosion côtière. Aujourd’hui, il n’y a pas de stratégie claire. Pourtant, d’ici 25 ans, on sait que le trait de côte va reculer. Est-ce qu’on continue à construire en bord de mer ? Est-ce qu’on protège, on déplace, on interdit certains types de construction ? Ce sont des choix à faire dès maintenant. Il faut un cadre d’action stratégique.”
 

Foncier rare, contraintes de production : les embûches du fare OPH

Crédit photo : Archives TI.
Crédit photo : Archives TI.
En plus des délais de production, qui sont incompréhensibles, la production de fare sociaux en Polynésie française se heurte à un obstacle aussi massif qu’invisible : le foncier. Un élément qui vient “raréfier”, selon les mots du ministre du Logement, la capacité de production du Pays en matière de logement social. Contrairement aux idées reçues, le Pays ne dispose que de 9 % du territoire en pleine propriété. Et encore : une bonne partie de ces terres est déjà occupée ou située dans des zones inaccessibles, au cœur des îles. À cela s’ajoutent environ 12 % de terrains “domaniaux par défaut”, dont les ayants droit pourraient réapparaître à tout moment.
 
Le foncier : “30% du coût d’une opération”
 
Ce manque de réserve foncière a un impact direct sur les capacités de construction de l’Office polynésien de l’habitat (OPH). Jusqu’ici, celui-ci dépendait largement du foncier que le Pays voulait bien mettre à sa disposition. Pour sortir de cette dépendance, une enveloppe de 500 millions de francs supplémentaire a été attribuée à l’Office afin qu’il puisse acquérir directement des terrains. Mais cela reste insuffisant face à l’ampleur des besoins.
 
“Le foncier représente environ 30 % du coût d’une opération. Ce n’est pas neutre et ça se ressent sur les prix de sortie”, souligne le ministre du Logement. Les partenariats avec les communes sont donc cruciaux : ce sont elles qui, souvent, identifient les terrains disponibles. Mais encore faut-il qu’ils soient viabilisés, libres de tout contentieux et constructibles.
 
Le domaine Kosik toujours en négociation 
 
À Punaauia, le Pays est en négociation pour l’achat du domaine Kosik, un vaste terrain (830 000 m2) convoité pour du logement et des équipements publics. Mais là encore, une partie du site est grevée par un Plan de prévention des risques de la commune, limitant fortement son exploitation.
 
En Polynésie, construire un fare, ce n’est pas seulement couler du béton : c’est d’abord trouver un terrain, libre, stable… et disponible. Un luxe, parfois.
 

À Temae : l’équilibre précaire de l’accès public et d’un projet privé

Crédit photo : Archives TI.
Crédit photo : Archives TI.
C’est l’un des derniers littoraux encore accessibles à Moorea et, peut-être pour cette raison, l’un des plus sensibles. La plage de Temae cristallise les inquiétudes depuis 2023 et la vente du terrain au groupe Wane. En début d’année, la fédération Tāhei Autī ia Moorea a une nouvelle fois demandé au président du Pays de racheter l’emprise de 28 hectares qui borde le lagon. Mais la réponse tarde. Pourquoi ?
 
Préserver l’accès à la plage
 
Selon le ministre du Logement et du Foncier, Oraihoomana Teururai, la volonté de préserver un accès public à la mer ne fait pas débat. “Le président a toujours eu cette préoccupation en tête.” Actuellement, l’unique passage permettant de rejoindre la plage traverse un terrain privé, dont le propriétaire tolère encore le passage. Une situation précaire, donc.
 
Le Pays, qui n’a pas vocation à mener des projets hôteliers ou immobiliers, a jusqu’ici privilégié la médiation plutôt que l’acquisition. Un compromis est recherché entre la liberté d’investir du propriétaire dans un complexe touristique et l’intérêt général. Des réunions ont rassemblé récemment, pour la première fois, les riverains, l’association de défense du site, la commune, le porteur de projet... le tout, sous l’égide du Pays. Mais pour l’instant, sans aboutir à un accord.
 
Le casse-tête de l’accès à la plage
 
L’accès au littoral devient un sujet clivant au Fenua et notamment à Moorea où l’accès à la plage se raréfie. En l’absence de réglementation contraignante, rien n’oblige légalement un propriétaire à céder un passage vers le littoral, même si celui-ci est public. Le droit de passage de trois mètres en bord de mer reste théorique si aucun accès n’est prévu en amont. “C’est là toute la difficulté”, admet le ministre. Car si la plage est toujours publique, du moins sur trois mètres, le reste ne l'est pas toujours.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Jeudi 1 Mai 2025 à 13:00 | Lu 4849 fois