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Nucléaire : Premières discussions en demi-teinte à Paris


Jeudi, lors de la brève rencontre entre Édouard Fritch et le président Macron, en marge de la table ronde sur les conséquences des essais nucléaires en Polynésie.
Jeudi, lors de la brève rencontre entre Édouard Fritch et le président Macron, en marge de la table ronde sur les conséquences des essais nucléaires en Polynésie.
Paris, le 1er juillet 2021 - La délégation Reko Tika a rencontré le président de la République, Emmanuel Macron, mais aussi ses ministres de la Santé, des Armées et plusieurs experts ce jeudi, à Paris. Pour l'instant, peu d'annonces concrètes ont filtré sur les réparations des conséquences des essais nucléaires.
 
Réunis dans une immense salle –où la distanciation sociale peut être respectée malgré le nombre de participants– les membres de la délégation Reko Tika ont un programme extrêmement chargé. En quelques heures, avec des membres du gouvernement français et des experts choisis par les services de l'État, ils balayent plus de trente ans d'expérimentation nucléaire en Polynésie française.
À la fin de la première des deux journées de table ronde sur les conséquences des essais, les deux présidents co-organisateurs de cet événement, Édouard Fritch et Emmanuel Macron, se sont rencontrés. Si le président de la République française est reparti sans prendre la parole devant la presse, le président de Polynésie française, lui, était très ému. “Le président Macron a confirmé ce que nous attendions tous depuis longtemps, a déclaré Édouard Fritch. Nous voulons parler vrai, tout dire, être transparents. On a ressenti une vraie volonté chez lui de tourner cette page douloureuse et de retrouver la confiance du peuple polynésien. Il a aussi pris des engagements et confirmé l'ouverture totale des archives à l'exception des archives proliférantes. Les moyens seront mis en place pour que cela devienne une réalité !”
 
Déclassification ?
 
Ce jeudi 1er juillet, les premières heures de la table ronde organisée et voulue par le président Fritch ainsi que par le président de la République Emmanuel Macron, étaient consacrées à l'ouverture des archives de l'armée. Pour le moment, l'institution militaire défend un accès strict –extrêmement limité– aux données et aux documents produits pendant la période de 1966 à 1996, lorsque des tirs nucléaires étaient effectués aux Tuamotu.
“Des propositions concrètes vont être mises en œuvre pour améliorer les choses : nous les déclinerons au président de la République dès ce soir et le processus d'ouverture débutera dès septembre 2021, se félicitait la ministre déléguée aux Armées, Geneviève Darrieussecq. Deux jours de discussions ne seront jamais suffisants mais c'est la première fois et c'est un moment très important. Certains aspects et certains documents ne pourront jamais être déclassifiés pour des raisons de sécurité nationale mais nous tâcherons de rétablir la confiance entre les Polynésiens et l'État.”
C'est tout le problème des annonces en demi-teinte qui ont filtré pour l'instant des discussions : il est bien question de réparation et des conséquences des essais nucléaires mais certainement pas de renverser la table. Pas question par exemple de modifier la loi encadrant la déclassification pour graver dans le marbre une ouverture plus grande du sujet nucléaire.
“Il n'y a pas eu de mensonge d'État, mais des interprétations dont on a pu dire que c'étaient de mauvaises interprétations”, s'indignait encore Geneviève Darrieussecq, interrogée par la presse sur les révélations du site d'investigation Disclose. Avant de contester formellement toute intention de “demande de pardon” de la part de la France : “On n'est pas du tout dans le sujet de la demande de pardon : on est dans des sujets nationaux et de construction de la défense nationale. La Polynésie française continue aujourd'hui d'être un maillon essentiel de nos forces.”
 
Concrètement, que sortira-t-il de ce cycle de discussions ? Pour l'instant, les participants sont dans l'expectative. Peu acceptent de parler à l'issue des débats et tous attendent la conférence de presse finale avant de tirer des conclusions dans un sens ou dans un autre.
 
“Nous ne lâcherons rien”
 
À Paris, la division des Polynésiens sur ce sujet douloureux et important des conséquences des essais nucléaires, est visible. Il y a d'abord les absents, dont le Tavini, l'Église protestante et les principales associations de victimes. Le député Moetai Brotherson est intervenu jeudi dans la matinale de France Inter pour dénoncer une mascarade. “Ce n'est pas un rendez-vous sincère, s'est agacé l'élu, dont la proposition de loi précisément sur ce thème a été rejetée il y a quelques jours. C'est essentiellement un coup de com' à quelques jours de la venue d'Emmanuel Macron en Polynésie. Il a fallu l'enquête Disclose pour que ce sujet soit abordé. Ce n'est pas en deux jours, par la grâce de la parole jupitérienne qu'on va résoudre ces problèmes.”
Tous ceux qui ont fait le déplacement pour la table ronde ne sont pas non plus satisfaits de la tournure des débats. “Je me demande ce qu'on est venus faire ici : Il y a un manque d’honnêteté intellectuelle et on nous sort toujours les mêmes arguments depuis 30 ans. Selon eux, tout va bien. Pourquoi ma famille et moi-même sommes-nous malades alors ?”, s'étonne Michel Arakino, militant anti-nucléaire qui a fait le déplacement au nom d'une association de retraités.
“Nous aborderons toutes les questions. Nous poserons la question du millisievert, des indemnisations qui n'arrivent pas. Nous ne lâcherons rien. Nous verrons bien ce que nous parvenons à obtenir”, concédaient, de façon anonyme mais alors que leur avis est beaucoup plus partagé dans la délégation, plusieurs membres éminents de Reko Tika.
 
Les aspects sanitaires, la question de l'indemnisation des victimes, celle d’un remboursement de la Caisse de prévoyance sociale, mais aussi celle des effets de cette période d'expérimentation sur l’économie du territoire sont au programme de la journée de vendredi.
Des annonces plus précises encore sur la visite du président Macron au fenua devraient également être faites, même si le chef d’État, là encore, ne s'exprimera pas directement. Interrogés sur la participation, somme toute modeste, du président de la République à cette table ronde, les services de l'Élysée répondent que “le président impulse et ce sont les ministres qui font les réunions”.
Vendredi dans la soirée, la très attendue conférence de presse devrait également permettre de connaître la suite qui sera donnée aux travaux de la table ronde parisienne sur les conséquences des essais nucléaires. Le gouvernement par la voix de la ministre déléguée aux Armées, Geneviève Darrieusecq a estimé que ce format n'est “qu'un début”.

Rédigé par Julien Sartre, à Paris le Jeudi 1 Juillet 2021 à 17:08 | Lu 2148 fois