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"Nous avons toujours cru que l'entreprise allait se relever"


PAPEETE, le 6 mars 2017 - La SARL Marc Tapeta, entreprise spécialisée dans l'assainissement depuis plus de 20 ans, a mis aux enchères tout son matériel suite à sa liquidation judiciaire les 25 et 26 février derniers. Cette vente a signé la fin d'une longue période de tumultes financiers pour la société. Pour ses employés et cadres, des années de travail s'envolent, ne restent plus que les souvenirs. La SARL Tapeta est une des victimes de la crise qui sévit dans le secteur du bâtiment travaux publics et génie civil depuis 10 ans.

Une page se tourne pour Jérôme Conquet et les salariés de la SARL Marc Tapeta. Les 25 et 26 février derniers, ils ont mis un point définitif à l'histoire commencée il y a plus de 20 ans. "Je suis arrivé dans l'entreprise de Marc Tapeta en 1998. Celle-ci avait été créée quatre ans plutôt. Elle marchait bien. L'activité principale était l'assainissement, l'eau potable et le génie civil, il y avait très peu d'entreprises dans ce secteur à l'époque", raconte Jérôme Conquet, directeur adjoint de la SARL Marc Tapeta.

Dans cette période faste en Polynésie française, les appels d'offres sont nombreux. L'entreprise Tapeta remporte les marchés de Bora Bora, Moorea ou encore Punaauia. La société monte en puissance et connaît son âge d'or en 2008. "Cela marchait très bien. A l'époque, nous avions le choix: soit limiter le développement et rester petit; soit grossir, investir et embaucher…", expose le bras droit de Marc Tapeta du bout des lèvres.

Les cadres de l'entreprise choisissent la seconde option. L'entreprise achète des machines. 30 puis 50, 80 et 100 : le nombre d'employés grimpe en quelques années. L'économie semble sure. Le patron a confiance en l'avenir. A partir de 2008, le ciel s'assombrit en Polynésie française.

UNE CRISE DIFFICILE, LA CONCURRENCE S'ENDURCIT

La crise arrive. Les marchés se font de plus en plus en rares. Pour faire face, de nombreuses sociétés se diversifient. Sur l'échiquier de l'assainissement, là où l'entreprise de Marc Tapeta était seule, beaucoup avancent leur pion. "Nous avons vu beaucoup de grosses entreprises se lancer dans cette activité. Comme nous étions spécialisés là-dedans, que nous avions investi et formé notre personnel, nous ne pouvions pas nous lancer dans une autre activité… Cela a peut-être été notre tort", analyse Jérôme Conquet avec le recul.

Les professionnels du milieu le savent : les périodes difficiles sont courantes, il suffit d'attendre de se serrer la ceinture et tout devrait rentrer dans l'ordre. "Nous avons toujours cru que l'entreprise allait se relever. Les anciens le disaient : il y a toujours eu des périodes difficiles. Là, on nous promettait plein de belles choses." Les promesses resteront des promesses. Marc Tapeta, le patron, alimente la trésorerie avec ses deniers personnels pour payer les traites et les employés. Malgré cet effort, la situation ne s'améliore toujours pas.

"NOUS AVONS TOUT TENTÉ POUR LA SAUVER!"

Les cadres activent d'autres solutions. Les salaires des cadres baissent de manière importante entre 2009 et 2013. Les contrats à durée déterminée ne sont pas renouvelés. Les départs en retraite ne sont pas remplacés. Cela ne suffira pas. Quelques mois plus tard, l'entreprise est en cessation de paiement. Une procédure de redressement judicaire est lancée. L'entreprise est placée sous observation pendant un an et demi. "Là, nous avons pu voir que l'entreprise était viable car nous arrivions à faire du chiffre et à payer les gars. Ensuite, nous avons commencé un plan de continuation, où les dettes s'étalaient sur 10 ans. Mais c'est à partir de ce moment là que nous n'arrivions plus à payer, à nouveau."

Dans un ultime sursaut, les marins encore sur le navire abandonnent leurs salaires. "Je suis de Mataiea, j'habite juste à côté de l'entreprise. Cette société, c'est comme ma famille. Je l'ai vu grandir et évoluer. J'ai beaucoup de souvenirs dedans. Je me serais sacrifié pour elle. Nous avons tout tenté pour la sauver! Nous avons abandonné nos salaires pour aider l'entreprise, c'est normal", soupire Etienne, conducteur de chantier à la SARL Tapeta depuis le début.

Cette période aura duré un an et demi. En octobre 2016, les dirigeants ont pris la décision de liquider l'entreprise. C'était en octobre 2016. " Jérôme a fait de son mieux, c'est certain, confirme Jean-Jacques, employé depuis 2007. Mais à la fin, quand ils sont venus nous dire que ça n'allait pas, que la société ne pouvait pas honorer nos salaires, nous avons décidé d'arrêter de travailler, on ne pouvait plus continuer comme ça. Nous avons tous des prêts et des familles."

En novembre, le licenciement économique des employés intervient. Là encore, la société ne dispose d'aucuns fonds pour les payer. Une seule solution : la vente aux enchères. Celle-ci a été organisée les 25 et 26 février. En deux jours, Jérôme Conquet et les salariés ont vu partir 22 ans de travail et d'investissements. Petit et gros matériels ont trouvé preneurs. Cela devrait pouvoir permettre de payer les 15 salariés restés jusqu'au bout.

Cette vente, qui s'est déroulée sur les terres de l'entreprise, a signé l'épilogue de plusieurs années de doutes, de rebondissements et de faux espoirs. "Voir cette vente aux enchères, ça m'a vraiment fait mal au cœur… Aujourd'hui, même si c'est un peu la galère, on arrive quand même à boucler les fins de mois. Je vais à la pêche le samedi, je fais des petits boulots. J'ai encore une famille à nourrir et mon dernier, un fils de 16 ans, à la maison…", témoigne Etienne, la gorge serrée. Après ces quelques heures où les prix étaient débattus, les employés de l'entreprise Tapeta sont rentrés chez eux, les mains vides, la tête pleine de souvenirs et le cœur gros.

En quelques chiffres

- 400 : le nombre d'employés embauchés en tout par l'entreprise tout au long de son activité
- 100 : le nombre d'employés de l'entreprise au plus fort de son activité
- 700 : en millions de francs, le chiffre d'affaires de l'entreprise à le meilleure période
- 70 : en millions de francs, le chiffre d'affaires de l'entreprise à la fin

2015 : une croissance du chiffre d'affaires mais pas des emplois

Selon l'Institut statistique en Polynésie française (ISPF), le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) est un secteur très important dans l’économie du territoire puisqu’il contribue pour environ 5 % au produit intérieur brut (PIB).

Dans un rapport publié en décembre 2016, l'ISPF a noté que, en 2015 comme en 2014, le chiffre d’affaires du secteur a progressé significativement mais sans impact fort sur l’emploi salarié. Cette croissance du chiffre d’affaires est soutenue par une demande publique (Pays, État et communes) qui compense la baisse de la demande privée. L‘activité du gros œuvre porte l’essentiel de la hausse du chiffre d’affaires. Le génie civil y contribue également et atteint un montant jamais encore réalisé.

"C'est triste car il y a une perte de savoir-faire"

Heirani Nouveau, directeur régional d'Interoutes, président de la Chambre des métiers du génie civil et travaux publics (CSMGCTP) et assesseur au tribunal de commerce de Papeete, analyse la situation du secteur.

Êtes-vous triste de voir une entreprise comme celle-ci disparaître aujourd'hui?

Tout à fait. Bien que nous ayons été concurrents sur certains chantiers, c'est très triste. C'est d'abord un drame humain car cela concerne des emplois donc des familles. De plus, dans une entreprise comme celle de Tapeta où il y a des gens comme Jérôme Conquet (NDLR : le directeur adjoint), des conducteurs de travaux… tout le monde possède un vrai savoir-faire! Par exemple, une partie de leur métier est de poser des tuyaux mais on ne pose pas des tuyaux n'importe comment, il y a des normes à respecter ! Là, c'est triste car il y a une perte de savoir-faire. En tant que président de la chambre, je trouve ça très inquiétant…

Ce qui vient d'arriver à la SARL Tapeta est-il symptomatique de la situation du secteur aujourd'hui?

La Polynésie traverse une crise depuis bientôt 10 ou 12 ans. Cela a impacté un grand nombre d'entreprises et certaines ont mis la clef sous la porte. Ce qui arrive à Tapeta, ça ne reflète pas forcément une situation qui date d'aujourd'hui. Les causes sont bien antérieures. En période de crise, les entreprises qui s'en sortent sont celles qui sont suffisamment capitalisées. Si vous avez suffisamment de capitaux propres, vous arrivez à vous en sortir car dans ces cas-là, personne ne peut compter sur les banques. Celles qui pourront s'en sortir, ce n'est pas forcément celles qui ont le plus de marchés.

Y-a-t-il des entreprises qui se portent bien sur le territoire à l'heure actuelle?


Entre 2013 et 2015, les gouvernements ont essayé de relancer la commande publique sur des secteurs qui pouvaient être très rapidement mobilisés. Ce secteur est le routier. C'est lui qui pouvait le plus rapidement redémarrer. Nous avons bénéficié d'une commande publique beaucoup plus importante que dans le secteur du bâtiment. Cependant, le secteur qui crée le plus d'emploi est celui du bâtiment. Ce secteur du logement, avec les différentes opérations qui doivent sortir, devrait reprendre bientôt la main sur le secteur routier. Je suis assez confiant dans le relèvement de l'économie mais ce ne sera pas pour tout de suite, pas avant les prochaines élections nationales comme territoriales. Je pense aussi qu'un brin d'optimisme est nécessaire.

Rédigé par Amelie David le Lundi 6 Mars 2017 à 04:00 | Lu 5697 fois