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Niue et les Samoa au cœur du scandale des Panama Papers


PAPEETE, le 14 avril 2016 - Nos deux voisins du Pacifique s'étaient spécialisés depuis des années en tant que paradis fiscal. Une économie financière florissante leur a assuré une importante part de leurs revenus, mais le scandale des Panama Papers montre que leurs largesses ont aussi bénéficié à des criminels et fraudeurs fiscaux en tous genres…

Les révélations des Panama Papers continuent de mettre en lumière les montages très complexes utilisées par les entreprises, particuliers, chefs d'états et autres organisations clandestines pour diminuer (légalement) leur imposition, ou alors carrément échapper (illégalement) à l'impôt ou blanchir de l'argent sale. La fuite de ces 11 millions de documents confidentiels du cabinet d'avocats d'affaires panaméen Mossack Fonseca exposent 40 ans de montages financiers offshores.

Parmi les paradis fiscaux les plus utilisés par le cabinet d'avocat, deux pays particulièrement proches de la Polynésie française peuvent surprendre : les Samoa et le tout petit pays de Niue. À eux deux, ils ont permis la création de 15 000 sociétés-écrans pour le compte des clients de Mossack Fonseca, soit autant que des paradis fiscaux bien plus connus, comme les Bahamas ou les Seychelles.

NIUE A LAISSÉ MOSSACK FONSECA ÉCRIRE SA LÉGISLATION FISCALE

Les pièces de monnaies très originales de Niue. Avec les timbres, cette petite industrie pour collectionneurs aide à remplacer les revenus des sociétés offshores qui ont délaissé l'île dès 2001 sous pression américaine
Les pièces de monnaies très originales de Niue. Avec les timbres, cette petite industrie pour collectionneurs aide à remplacer les revenus des sociétés offshores qui ont délaissé l'île dès 2001 sous pression américaine
Le petit atoll de Niue, 1190 habitants en 2014, aurait ainsi été contacté par le cabinet d'avocats en 1994. Les panaméens cherchaient un nouveau pied à terre fiscal, alors que le Panama et les Îles Vierges Britanniques étaient devenues trop populaires auprès des autres utilisateurs de sociétés-écrans, fondations anonymes et autres prête-noms. Le petit pays a accepté de jouer le jeu. Ne comptant pratiquement aucune entreprise sur son territoire, elle a simplement ajouté à sa législation les propositions des avocats panaméens, devenant le paradis fiscal et hébergeur de sociétés offshores idéal en 1996.

Au sommet de la collaboration entre l'île et Mossack Fonseca, le petit arrangement rapportait 1,6 million de dollars au gouvernement de l'île, soit 80% de son budget de 2 millions de dollars. Mais toute bonne chose a une fin, et les États-Unis ont publié en 2001 un communiqué qualifiant de "bizarres" les relations entre Niue et Mossac Fonseca, assurant qu'elles "facilitent le blanchiment d'argent criminel venant de Russie et d'Amérique du Sud", provoquant de la part de plusieurs banques américaines un embargo sur le transfert de dollars vers le petit paradis fiscal. Ces même banques qui ont du coup trouvé de nouveaux havres de paix fiscale plus près de chez eux : le Nevada et le Wyoming, comme l'explique le site The Daily Beast. De son côté, Niue s'est reconvertie dans la numismatique, en imprimant des pièces de monnaie avec la Reine Elisabeth (souveraine de l'île) côté face, et des personnages de Disney, Pokemon, Star Wars, Marvel… côté pile.

APRÈS NIUE, LES SAMOA

Le cabinet d'avocat, lui, n'est pas allé très loin pour se refaire un pied à terre dans le Pacifique, comme le relate la chaine d'information australienne ABC citant le professeur Jason Sharman, du Griffith University's Centre for Governance and Public Policy.

Mossac Fonseca est allé voir directement le voisin de Niue : les Samoa où elle a délocalisé ses opérations en 2004. "Les opérations aux Samoa sont les mêmes que d'autres centres offshores dans le monde, principalement la création de sociétés-écran, et d'autres outils comme des fondations ou des trusts, qui sont alors utilisés pour détenir des comptes bancaires anonymes" explique le spécialiste. "Il semble, selon les Panama Papers, que Mossac Fonseca a été très efficace pour ralentir le flux d'informations entre les Samoa et les autorités fiscales d'autres pays, même si de nouveaux accords ont provoqué plus d'ouvertures." Pour le spécialiste, l'étendue du scandale devrait encore accélérer la lutte contre les paradis fiscaux, entamée après la crise de 2008. Mais il souligne qu'aujourd'hui, le plus réfractaire à plus de transparence fiscale internationale n'est autre que… Les États-Unis.

Au niveau des Samoa, les Panama Papers ont un impact important. Un mail tiré des documents montre ainsi comment un haut diplomate de l'archipel travaillant pour la Samoa’s High Commission in Australia (l'équivalent d'un consulat), donnait le blanc-seing des Samoa à des sociétés-écran créées par Mossack Fonseca, pour ensuite transmettre les documents aux diplomates des Émirats Arabes Unis qui validaient à leur tour la légitimité de l'entreprise. Deux soutiens qui permettaient à la société d'être reconnue par le ministère des Affaires étrangères australien et ainsi transférer des millions de dollars à travers le monde sans éveiller le moindre doute.

Des révélations qui mettent le premier ministre des Samoa dans l'embarras : à sa conférence de presse hebdomadaire, Tuilaepa Sa’ilele Malielegaoi a ainsi assuré tout ignorer des actions de ses diplomates à Cambera, et ne pas même comprendre cette affaire : "je ne comprends pas cette histoire, il me faut du contexte" cite le journal Samoa Observer du dimanche 10 avril. Nos confrères précisent même que les révélations pourraient permettre à la brigade anti-blanchiment de l'archipel, nommée Financial Intelligence Unit, de bientôt prononcer ses toutes premières sanctions…

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Jeudi 14 Avril 2016 à 13:15 | Lu 1624 fois