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Meuel, Haddad, Auroy et Bordet renvoyés en correctionnelle pour l'affaire de la SEP


Tahiti, le 14 mars 2021 - Le procès de l'ancien président de la Société Environnement Polynésien (SEP, aujourd'hui Fenua Ma), Karl Meuel, s'ouvrira le 8 juin prochain devant le tribunal correctionnel de Papeete pour quatre jours de débats. Poursuivi pour détournements de fonds publics, prise illégale d'intérêts et corruption passive, il comparaîtra aux côtés de sept autres prévenus dont les hommes d'affaires Hubert Haddad et Dominique Auroy et le conseiller municipal et ancien directeur du Port autonome, Patrick Bordet.
 
L'on croyait l'affaire de détournements de fonds publics et de corruption, dite de la Société Environnement Polynésien (SEP, aujourd'hui Fenua Ma), vouée à tomber sous le coup de la prescription. Elle va finalement faire l'objet d'un procès de quatre jours qui s'ouvrira le 8 juin prochain devant le tribunal correctionnel de Papeete. L'ancien président directeur général de la société, Karl Meuel, les hommes d'affaires Hubert Haddad et Dominique Auroy et cinq autres prévenus dont Michel Yonker et Jean-Louis Chailly, vont en effet comparaître devant la justice dans le cadre de cette affaire mise au jour en novembre 2009 à la suite d'un rapport de la Chambre territoriale des comptes (CTC).
 
Au terme de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel (ORTC) rendue le 11 décembre 2018 par le juge d'instruction chargé de l'affaire, à laquelle Tahiti Infos a eu accès, le magistrat revient longuement sur le rapport de la CTC portant à l'époque sur la gestion de la SEP. Dans ce document, publié fin 2009, la CTC avait relevé de "nombreuses anomalies" relatives aux "atteintes à la probité" commises par son président, Karl Meuel. Octroi de conséquentes avances sur salaire, versement de "primes exceptionnelles", "prise en charge par la SEP de dépenses personnelles non justifiées", "financement de voyages et d'avantages exagérés sous couvert de frais de missions", attribution et paiement anticipés de marchés publicitaires à "des sociétés faisant essentiellement partie d'un groupe contrôlé par Hubert Haddad"… Le nombre des anomalies relevées par la CTC avait immédiatement déclenché l'ouverture d'une enquête préliminaire par le parquet de Papeete.
 
Manque de vigilance et de contrôle
 
Si plusieurs de ces "irrégularités" avaient été confirmées lors de l'enquête préliminaire, les investigations avaient permis d'établir de nouveaux soupçons de détournements de fonds publics. Toutes ces irrégularités ayant été, tel que le relève le juge d'instruction dans son ordonnance, "facilitées par le mode de direction prégnant et omnipotent" de Karl Meuel ainsi que par le "manque de vigilance de ses subordonnées" et le "manque de contrôle du conseil d'administration" de la SEP.
 
Dans son ORTC, le juge d'instruction évoque notamment les dépenses engagées par Karl Meuel lorsqu'il était à la tête de la SEP sur les fonds de cette dernière alors qu'elles ne présentaient "aucune utilité" pour la société. Séjours dans de luxueux hôtels à Paris, Lyon, Sydney ou Los Angeles, "location d'une caisse à chien", frais de restauration. Estimés 900 000 Fcfp en 2003, les frais de missions avaient atteint 6,7 millions en 2006 dont 3,2 millions correspondant à des "frais injustifiés". Karl Meuel avait également pour habitude d'employer des salariés de la SEP durant leurs heures de travail à son domicile personnel. Tel que le relève le magistrat instructeur, l'ancien ministre de l'Environnement s'octroyait des "sommes très supérieures à son salaire". Durant l'enquête, il avait reconnu que cela était illégal mais avait expliqué que cela avait été fait "en toute transparence dans la mesure où, tant les personnels de la SEP que l'expert-comptable et le commissaire aux comptes, avaient connaissance des faits".
 
Ordre maçonnique
 
Outre ces dépenses très personnelles, le juge d'instruction rappelle qu'après avoir été avisé par la CTC d'un audit portant sur la gestion de la SEP, Karl Meuel avait fait verser 15 millions de Fcfp sur les trois comptes de la société. Une somme qui lui avait été prêtée, selon ses déclarations rapportées dans l'ORTC, par son "ami", Dominique Auroy. Lequel, avait-il précisé, faisait partie du "même ordre maçonnique" que lui et avait accepté de l'aider, au nom de leur amitié.
 
Or, l'enquête avait permis d'établir qu'à la même époque, la SEP "avait acheté une chaîne de tri hors d'usage à une société contrôlée par Dominique Auroy pour la somme de 37 millions". "Cette société se débarrassait ainsi d'équipements hors d'usage dont la valeur comptable était rapidement ramenée à zéro dans les comptes de la SEP et pouvait, grâce au paiement des 37 millions de Fcfp, reverser à son actionnaire, Dominique Auroy des bonus de liquidation", note le magistrat.
 
Dépenses inconsidérées
 
Enfin, aux termes de l'ORTC, Karl Meuel est également poursuivi pour les nombreuses dépenses publicitaires engagées au nom de la SEP au profit du groupe 2H, propriété de l'homme d'affaires Hubert Haddad. Le montant annuel des contrats passés entre la SEP et 2H était passé de 10,5 millions de Fcfp en 2000 à 106 millions en 2007. Le juge d'instruction relève qu'en même temps, "le montant des créances clients et comptes attachés" était passé de 334 millions de Fcfp en 2001 à 1,2 milliard en 2007. Des "tarifs prohibitifs, sans mise en concurrence et pour des quantités tout à fait excessives" pour un employé de la SEP. L'enquête, tel que le rapporte le magistrat instructeur, avait d'ailleurs permis de démontrer que des sommes en espèces avaient été remises à Karl Meuel par Hubert Haddad ou ses proches au "moment de la signature de contrats ou de bons de commande".
 
Notons que l'ex-directeur du port autonome et actuel conseiller municipal en charge de la "police et de la prévention de la délinquance" à la mairie de Papeete, Patrick Bordet, est également renvoyé dans le cadre de cette affaire pour recel de détournements de fonds publics. Il lui est reproché d'avoir perçu 500 000 Fcfp de la SEP lorsque Karl Meuel en était président en rémunération d'une "mission de sensibilisation des maires des Tuamotu au programme de gestion de déchets" qui n'avait pas été effectuée. Mission pour laquelle Patrick Bordet avait produit une "étude" de cinq pages qui se limitait, tel que le précise le juge d'instruction à "la reprise de documentations tirées de différentes productions en sources ouvertes, et en particulier d'études établies par le ministère de l'Environnement."
 
Karl Meuel et son épouse, Hubert Haddad et Dominique Auroy, Michel Yonker, Jean-Louis Chailly, Patrick Bordet ainsi qu'un cousin d'Hubert Haddad comparaîtront devant le tribunal correctionnel à partir du 8 juin. Si la crise sanitaire le permet.
 

Rédigé par Garance Colbert le Lundi 15 Mars 2021 à 16:01 | Lu 5627 fois