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Les salaires face à l'inflation : l'appauvrissement de la classe moyenne


Seul le Smig est légalement indexé sur la hausse des prix. Aucune obligation ne contraint les entreprises à revaloriser les salaires des travailleurs percevant plus que le minimum légal. Crédit photo : Archives TI.
Seul le Smig est légalement indexé sur la hausse des prix. Aucune obligation ne contraint les entreprises à revaloriser les salaires des travailleurs percevant plus que le minimum légal. Crédit photo : Archives TI.
 Tahiti, le 23 mai 2023 - Si la valorisation du Smig est légalement indexée à l'inflation, en ayant été revalorisé cinq fois depuis 2021, aucune obligation ne contraint les employeurs à augmenter les travailleurs percevant plus que le salaire minimum garanti. Ainsi, alors que le Smig a grimpé de 13,3% ces trois dernières années, le salaire moyen n'a lui augmenté que de 4,5%. Ce rattrapage des bas salaires par le Smig appauvrit inexorablement la classe moyenne, celle des “oubliés” de l'inflation, alors que 30,5% des salariés recensés par la CPS ont un salaire brut mensuel de moins de 200 000 francs.
 
Parmi les évidences qui sapent le moral du nūna'a, le salaire se place comme l'une d'elles, en faisant figure de bastion de la survie de nombreux ménages et de principale source de leurs angoisses. Malheureusement, celui-ci peine à s'aligner aux 13,3% d'inflation générale constatés depuis 2021. En effet, tandis que seul le Smig est légalement indexé à la hausse des prix – il a d'ailleurs été augmenté cinq fois ces trois dernières années pour suivre le cours de l'inflation en passant de 155 973 à 173 181 francs bruts mensuels – les travailleurs de la classe moyenne, eux, n'ont pas eu cette chance, le salaire moyen n'ayant augmenté que de 4,5%. Soit à peine 33,8% de l'inflation actuelle.
 
Un constat alarmant se présente alors. Plus les années passent, plus les travailleurs de la classe moyenne voient leur pouvoir d'achat sombrer. Cette classe, souvent appelée la “classe des oubliés”, est difficile à définir, tant elle englobe des groupes sociaux divers : artisans, salariés, patentés, petits patrons et commerçants. Ils ont cependant en commun d'avoir un travail, des revenus, un logement mais également le fait d'être les grands délaissés de la crise. D'autant qu'au Fenua, selon l'Institut statistique de Polynésie française (ISPF), 30,5% des salariés recensés par la CPS, soit 22 509 personnes, perçoivent moins de 200 000 francs bruts mensuels. Ces travailleurs, expérimentés ou non, payés légèrement plus que le salaire minimum, voient la marée montante du Smig gagner du terrain sur ce qu'ils perçoivent chaque mois. “La rémunération moyenne augmente beaucoup moins vite que les prix et ne suit pas le rythme de l'inflation, ce qui est d'autant plus impactant pour ces salaires de moins de 200 000 francs. Cela explique notamment ce ressenti sur la hausse des prix et la perception que l'on a”, confirme Nadine Jourdan, la directrice de l'ISPF, interrogée par Tahiti Infos. Si le terme de “paupérisation” de la classe moyenne est trop “fort” pour la patronne de la statistique polynésienne, Nadine Jourdan admet cependant bien qu'une “perte de pouvoir d'achat” impacte la population et en particulier cette classe des oubliés. “C'est même certain.”
 
Attention à la trappe
 
Le Smig augmentant plus vite que le salaire moyen, de plus en plus de travailleurs se retrouvent aspirés dans une trappe à bas salaires, ce qui les paupérise. Cette situation résulte de la non-revalorisation des grilles salariales établies par les conventions collectives et opérée par les syndicats et organisations patronales. “Il y a un appauvrissement des consommateurs, c'est vrai. Ça augmente chaque année, car l'indice d'augmentation des salaires n'évolue pas assez vite et les salaires sont bloqués”, nous confie Makalio Folituu, le président de l'association des consommateurs de Polynésie, Te Tia Ara. “Les gens ne savent pas comment réagir face à cette situation. Nous, on ne peut qu'étudier les dossiers sur le coût de la vie et rectifier certaines règles”, ajoute-t-il, un peu amer.
 

La répartition des salaires équivalent temps plein en novembre 2023, quand le Smig brut mensuel était fixé à 169 160 francs. Source : CPS - ISPF
La répartition des salaires équivalent temps plein en novembre 2023, quand le Smig brut mensuel était fixé à 169 160 francs. Source : CPS - ISPF
Cette évolution est d'ailleurs fustigée depuis longtemps par les centrales syndicales, qui demandent des revalorisations salariales et l’indexation de la totalité des rémunérations. Comme Patrick Galenon, le leader de la CSTP-FO, premier syndicat de Polynésie, qui a exprimé, peu avant la rencontre du 1er mai avec le gouvernement, son souhait de voir les salaires de tous augmenter. “Si les prix ne baissent pas, qu'est-ce que le travailleur peut demander ? Que son salaire augmente proportionnellement à l'inflation. Soit 6-7%, c'est notre estimation.”
 
Le chiffon rouge du pouvoir d'achat
 
D'autant que la Tavini, lors de la campagne présidentielle de 2023 était conscient de l'enjeu et du ras-le-bol de la population, en ne cessant alors d'agiter le chiffon rouge de la baisse du pouvoir d'achat. Au point que celui-ci devienne l'un de ses fers de lance, faisant monter le vote contestataire en leur faveur. Cependant, force est de constater qu'après un an aux manettes de l'exécutif, le gouvernement Brotherson n'a pas tenu tous ses engagements de campagne, profitant malgré tout de la stagnation de l'inflation mondiale, qui ne pouvait tout simplement pas continuer l'escalade (8,5% d'inflation en 2022 contre 0,8% en 2023, selon les données ISPF). Les seules actions à mettre à leur crédit sont la suppression de la TVA sociale en août dernier et la prolongation de la subvention au Fonds de régulation des prix des hydrocarbures (FRPH), qui permet le maintien des coûts des carburants et de l'électricité.
 
A noter également que cette baisse du pouvoir d'achat de la classe moyenne a un impact sur l'économie globale. “Si la consommation des ménages a bien résisté en 2022 et 2023, elle s'est tassée en ce début d'année”, constate Nadine Jourdan. Une conjoncture qui continue de creuser les inégalités sur le territoire, la Polynésie ne disposant pas de véritable système de redistribution des richesses performant. La CST (contribution de solidarité) étant un impôt à géométrie variable, qui ne tient pas vraiment compte de la réalité du niveau de vie des familles.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Vendredi 24 Mai 2024 à 07:00 | Lu 5639 fois