Tahiti Infos

« Les Māori sont à un moment charnière pour leur avenir »


PAPEETE, le 8 mars 2015. Quelle place les Māori ont-ils sur la scène politique néo-zélandaise ? Quelles sont leurs principales revendications ? Comment la discrimination positive tend à diminuer les inégalités ? Natacha Gagné, professeure à l'université Laval à Québec, répondra mardi soir à l'UPF à ces questions dans le cadre d'une conférence organisée par le laboratoire Sociétés traditionnelles et contemporaines en Océanie.


Quelle est aujourd'hui la représentation politique des Māori en Nouvelle-Zélande ?
Les Māori ont réussi à se regrouper au sein d'un parti à partir de 2004 qui s’appelle le Parti māori (Māori Party). On était dans un contexte particulier où il y avait une grande unité chez les Māori puisque l’État néo-zélandais voulait faire de l’estran et des fonds marins une propriété de la Couronne, ce qui en ferait des terres du domaine public. Cinq candidats māori ont été élus en 2005. En 2008, lors des élections générales, le Parti māori a fait une coalition avec le Parti national. Il fait partie du gouvernement depuis ce moment.

Sans ce problème lié à l’estran et aux fonds marins, le parti Māori aurait-il pu se créer ?
Ce contexte a favorisé la création du Parti māori. Faire partie du gouvernement leur a permis de négocier certaines choses avec le Parti national, de modifier leur opinion sur certains dossiers. Ils ont notamment négocié qu'on revoie la loi sur l’estran et les fonds marins qui avait finalement été adoptée en novembre 2004.
Ils ont aussi réussi à mettre en place un programme social pour les familles axé notamment sur des valeurs māori. Ils ont aussi fait en sorte que la Nouvelle-Zélande apporte son appui à la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones en 2010.

Quel constat peut-on faire sur la représentation politique actuelle des Māori ?
Il y a encore des progrès à faire, mais il faut savoir qu'on est dans une colonie de peuplement britannique. C'est très différent d'ici où les Polynésiens représentent plus de 80% de la population et où ils contrôlent l'assemblée territoriale. En Nouvelle-Zélande, il y a sept sièges Māori sur 121.
Il y a pourtant des députés māori qui occupent des sièges non réservés, ce qui fait qu’ils représentent environ 20 % des députés à la Chambre des représentants depuis la dernière élection générale de septembre 2014. Leur nombre est en hausse : ils sont en fait passés de 21 à 26 aux dernières élections, ce qui est bon étant donné que les Māori représentent environ 15 % de la population néo-zélandaise.

Quelle est la principale revendication aujourd'hui des Māori ?
Les Māori demandent à participer à la politique municipale. Historiquement, les Māori sont très mal représentés dans les conseils municipaux. Ils demandent à ce qu'il y ait des sièges māori réservés dans les conseils municipaux. Depuis 2010, au conseil municipal de la nouvelle ville fusionnée d’Auckland, qui représente environ plus 1/4 de la population néo-zélandaise, un comité consultatif māori a été créé, mais pas de sièges réservés. C'est tout de même un développement important. La scène urbaine est importante pour les Māori car 85 % d'entre eux habitent en milieu urbain.


La représentation des Māori peut-elle évoluer encore ?
Les Māori sont à un moment charnière pour leur avenir. On est en pleine période de révision constitutionnelle, car la Nouvelle-Zélande n'a pas de constitution écrite.

Comment le traité de Waitangi a-t-il joué un rôle dans la place des Māori dans la société néo-zélandaise ?
La reconnaissance du traité de Waitangi en 1975, 135 ans après sa signature, a été interprétée par certains comme le moment où la décolonisation a débuté.
Dans les années 1970, il y a eu beaucoup d'occupation de terres et de marches. À force de pression, le gouvernement a cédé et a reconnu à nouveau le traité de Waitangi qui avait été violé peu après sa signature. Il avait d’ailleurs été considéré comme nul et non advenu en 1877 par un juge de la Cour suprême de la Nouvelle-Zélande.
Le tribunal de Waitangi, mandaté pour recevoir les plaintes relatives au non-respect du traité, a également été créé en 1975.

1975 a aussi été le moment de mettre en place des mesures de discrimination positive en faveur des Māori à travers la nouvelle politique de biculturalisme. Cette politique visait notamment à faire en sorte que les Māori soient représentés dans les institutions publiques, les écoles et les universités en fonction de leur poids démographique dans la population néo-zélandaise.

Sans cette discrimination positive, la représentation des Māori ne pourrait pas avoir lieu ?
Concrètement, les Māori souffrent malheureusement encore des pires statistiques socio-économiques (maladie, chômage, pauvreté). Elles sont encore plus mauvaises que celles des immigrants comme les insulaires du Pacifique.
Il y a encore des préjugés racistes qui sont à l’œuvre qui disent que les Māori sont des gens plus pratiques, concrets, des sportifs... On ne les dirige pas vers les mathématiques et les disciplines scientifiques. Ils ne sont pas favorisés dès le départ. C'est pour ça que la discrimination positive essaie de pallier cela.

Ces mauvaises statistiques signifient-elles que c'est un échec de la représentation politique des Māori ?
Pas du tout. Il y a quand même eu beaucoup d’améliorations depuis les années 1960. On parlait d’une « Dying race », d’une « race » qui allait mourir et on disait que la langue était agonisante. Aujourd’hui, on voit des entreprises qui sont extrêmement performantes même plus que des entreprises non māori en matière de pêche, de radio… La langue aussi a été revitalisée.
Le tribunal de Waitangi a permis des accords en compensation très importants. Les sommes ont été réinvesties dans toutes sortes de projets et d'entreprises et ceux-ci ont fructifié.
Propos recueillis par MT


Pratique

"Contestation de l’ordre politique dans les anciennes colonies de peuplement : regard sur les scènes politiques néo-zélandaises"
Mardi 10 mars, à 17 heures, à l'Université de Polynésie française, à Outumaoro, à Punaauia (Amphi A3).




Rédigé par Mélanie Thomas le Vendredi 6 Mars 2015 à 19:11 | Lu 1667 fois