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Le tahitien s’écrit au présent


Le séminaire “La création lexicale en reo tahiti” a attiré ce jeudi une cinquantaine de chercheurs, linguistes, institutions publiques, enseignants, acteurs culturels et représentants de toutes les confessions religieuses. ©DM
Le séminaire “La création lexicale en reo tahiti” a attiré ce jeudi une cinquantaine de chercheurs, linguistes, institutions publiques, enseignants, acteurs culturels et représentants de toutes les confessions religieuses. ©DM
Tahiti, le 18 septembre 2025 - Face aux réalités du monde moderne, la langue tahitienne doit sans cesse créer de nouveaux mots. Chercheurs, traducteurs et institutions se sont rassemblés ce jeudi pour imaginer, ensemble, le vocabulaire de demain et notamment des termes inédits pour le numérique. Le séminaire de création lexicale a misé sur la force collective pour garder le reo tahiti bien vivant.
 
Le reo tahiti est une langue vivante : elle se transforme au rythme de la société, comme l’a montré la pandémie de Covid-19. Quand le virus a surgi, il n’existait aucun mot tahitien pour le nommer. “J’étais prêt à passer à l’antenne et il fallait trouver un mot”, raconte l’universitaire et journaliste télé Étienne Raapoto. En entendant l’expression d’un ancien, il a forgé sur-le-champ “tōvī”, rapidement validé par l’Académie. Cet épisode résume l’enjeu du séminaire “La création lexicale en reo tahiti”, tenu ce jeudi 18 septembre à l'Université de la Polynésie française. 
 
L’événement était organisé par l’Académie tahitienne – Fare Vāna’a et la Maison des sciences de l’homme du Pacifique, avec le soutien de l’Université de la Polynésie française. Traducteurs, linguistes, institutions publiques, enseignants, acteurs culturels et représentants de toutes les confessions religieuses ont répondu à l’invitation d’Emmanuel Nauta, président de l’Académie, pour “mutualiser les efforts” en matière de néologie (création de mots).
 
Inventer les nouveaux mots en reo 
 
Si, pour lui, “la langue nous rassemble, la langue fait de nous un peuple”, “il ne nous est pas possible, à nous seuls académiciens du Fare Vāna’a, de tirer la charrette de notre reo”. Les initiatives individuelles foisonnent, mais “ces dynamismes ne sont pas mis en synergie, et c’est bien dommage”. L’objectif du séminaire était donc clair : travailler ensemble pour que la création de mots nouveaux serve la vitalité du tahitien.
 
Après l’accueil matinal, la linguiste Mirose Paia a cadré le débat : “Comment naissent les mots ? Entre créativité et règles du langage.” Sont venus ensuite des partages d’expériences : des traducteurs ont expliqué leurs méthodes, de la consultation d’étymologies polynésiennes à l’intuition linguistique. Le temps fort de la matinée fut l’atelier de néologie collaborative. En petits groupes, participants et experts ont tenté de créer des termes pour des notions contemporaines – “numérique”, “influenceur”, “drone”, “harceler” –, un exercice qui illustre la volonté d’innover collectivement.
 
Les discussions portaient également sur la création d’un comité de pilotage commun, chargé de formaliser une méthodologie de création lexicale et de soumettre les nouveaux mots à l’Académie pour validation.
 
Au-delà du programme, le séminaire a réaffirmé les principes qui guident la néologie tahitienne : privilégier les ressources internes du reo, éviter l’emprunt systématique au français, créer des mots simples, compréhensibles et s’inspirer, si besoin, des autres langues polynésiennes avant de “tahitianiser” un terme étranger. 
 
Une dynamique collective
 
En définitive, cette rencontre a souligné que la survie et l’épanouissement du reo tahiti reposent sur une créativité partagée. “Oui, la langue est vivante ! Elle évolue, se transforme, se réinvente au gré des besoins de la société”, a insisté Emmanuel Nauta. En croisant les savoirs et en coordonnant les pratiques, les participants ont posé les bases d’un réseau de contributeurs capable d’offrir, demain, des mots nouveaux à la pensée polynésienne sans renoncer à son identité.
 

“Le reo tahiti a perdu son rôle de langue familiale”, Emmanuel Nauta, président de l'Académie tahitienne

Qu’attendez-vous concrètement de ce séminaire pour l’avenir du reo tahiti ?
“L’objectif premier est de casser l’isolement dans lequel travaillent encore trop souvent les acteurs de la langue et de la culture. Jusqu’ici, tous avançaient chacun dans leur coin, ce qui entraînait des doublons et parfois la perte d’initiatives intéressantes. Ce séminaire nous permet de partager des expériences, de confronter nos trouvailles, mais aussi d’élaborer des méthodes communes. Lorsqu’un terme est débattu, il peut naître plusieurs propositions et ce brassage enrichit la langue. Nous espérons que cette dynamique perdure au-delà de la rencontre d’aujourd’hui, avec une mise en commun régulière de nos recherches afin de donner au reo tahiti les outils nécessaires pour rester vivant dans un monde moderne.”

Comment voyez-vous la place du reo tahiti chez le grand public aujourd’hui ?
“Elle est fragile, presque menacée. Il y a trente ans, dans les rues ou dans les écoles, on pouvait aborder un enfant en tahitien et recevoir une réponse fluide. Ce n’est plus le cas : beaucoup comprennent vaguement mais répondent en français, et d’autres ne saisissent même pas la question. Le français est devenu la langue du foyer et des échanges quotidiens, parfois même un français appauvri. Le reo tahiti reste présent dans les chants, les cérémonies ou les discours officiels, mais il a perdu son rôle de langue familiale. Pour inverser cette tendance, il faut aller bien au-delà des cours optionnels actuels. Je plaide pour des cursus d’immersion où le français serait langue d’appoint, comme à Hawaii. Là-bas, dans les années 1980, il ne restait qu’environ 2 000 locuteurs ; grâce à une action concertée entre associations, gouvernement et écoles, on compte aujourd’hui plusieurs centaines de milliers de locuteurs.” 

L’Académie cherche deux nouveaux membres. Quel profil recherchez-vous ?
“Nous ne cherchons pas forcément des universitaires ou des linguistes de carrière : ce qui compte avant tout, c’est la maîtrise du tahitien et l’envie de le faire rayonner. Il faut être capable de s’exprimer clairement et de bien écrire, ce qui suppose de connaître les règles parfois subtiles d’orthographe et d’accentuation. Mais nous restons ouverts : un agriculteur, un artisan, un enseignant ou un conteur passionné peut tout à fait devenir académicien s’il possède ce savoir et cette motivation. Nous avons déjà reçu plusieurs demandes de dossier, les candidats ont jusqu’au 7 novembre pour déposer leur candidature. Fin novembre, l’Académie se réunira en session plénière pour élire les deux nouveaux membres qui remplaceront un collègue décédé et une collègue empêchée.” 
 

Rédigé par Darianna Myszka le Jeudi 18 Septembre 2025 à 16:32 | Lu 2401 fois