Pour Rémy Canavesio, le risque d’une submersion temporaire mortelle sur les atolls des Tuamotu est “entier”.
Tahiti, le 19 août 2025 - Géographe spécialisé dans l'étude des cyclones, Rémy Canavesio mène depuis plus de dix ans des recherches dans les atolls de Polynésie. Ses travaux montrent que les cyclones du passé ont pu générer des vagues de plus de 15 mètres, bien supérieures à celles de 1983, considérées comme la référence. Or, des atolls restent vulnérables, faute d’abris adaptés. Pour le chercheur, le risque d’un drame humain demeure bien réel.
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
“Je suis géographe, enseignant-chercheur à l’université de La Rochelle, rattaché au CNRS. J’ai vécu une dizaine d’années en Polynésie, entre 2009 et 2019, et j’ai mené de nombreux travaux de terrain, notamment au Criobe à Moorea. Depuis, je n’ai jamais cessé de faire de la recherche sur le terrain polynésien pour étudier les cyclones et leurs impacts dans les atolls, en particulier aux Tuamotu.”
Pourquoi avoir choisi d’étudier ce risque en Polynésie ?
“Parce que c’est une menace largement sous-estimée. En Polynésie, les cyclones sont rares : cela donne l’illusion que le danger est faible. Mais sur un atoll, une submersion peut être dévastatrice. Historiquement, certaines îles ont perdu la moitié de leur population en une seule nuit. Or, l’urbanisme, les politiques publiques et même la mémoire collective ne sont pas préparés à affronter de tels événements.”
Les cyclones de 1983 servent encore de référence aux autorités. Est-ce pertinent ?
“Pas vraiment. En 1983, les Tuamotu ont connu plusieurs cyclones, dont Orama. Les houles avaient atteint environ 12 mètres et cette valeur est encore utilisée pour calibrer les plans de gestion des risques. Mais mes recherches montrent que par le passé, des cyclones ont généré des vagues bien plus hautes : 15 mètres et plus.
J’ai pu le démontrer en étudiant les énormes blocs de corail déplacés par ces vagues. Certains font la taille d’un camion et ont été projetés à plusieurs centaines de mètres à l’intérieur des terres. Or, de tels dépôts ne correspondent pas à 1983 mais à des événements plus anciens, au début du XXe siècle.”
Comment parvenez-vous à dater ces événements ?
“J’utilise une méthode développée il y a une dizaine d’années : le relevé et la datation de blocs coralliens. Avec des drones, je modélise en trois dimensions ces masses de plusieurs dizaines, parfois centaines de tonnes. Ensuite, je prélève des échantillons de corail, qui sont datés grâce à la méthode uranium-thorium. Cela permet de relier un bloc à un cyclone précis, parfois vieux de plus d’un siècle.”
Quelles conclusions tirez-vous de vos missions ?
“D’abord que les Tuamotu peuvent subir des houles de 15 à 16 mètres. Ensuite que ces phénomènes, bien que rares, ne sont pas impossibles demain. Le risque reste entier sur certaines îles. Si un tel cyclone frappait un atoll mal équipé, on pourrait avoir la moitié de la population tuée en 24 heures.”
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
“Je suis géographe, enseignant-chercheur à l’université de La Rochelle, rattaché au CNRS. J’ai vécu une dizaine d’années en Polynésie, entre 2009 et 2019, et j’ai mené de nombreux travaux de terrain, notamment au Criobe à Moorea. Depuis, je n’ai jamais cessé de faire de la recherche sur le terrain polynésien pour étudier les cyclones et leurs impacts dans les atolls, en particulier aux Tuamotu.”
Pourquoi avoir choisi d’étudier ce risque en Polynésie ?
“Parce que c’est une menace largement sous-estimée. En Polynésie, les cyclones sont rares : cela donne l’illusion que le danger est faible. Mais sur un atoll, une submersion peut être dévastatrice. Historiquement, certaines îles ont perdu la moitié de leur population en une seule nuit. Or, l’urbanisme, les politiques publiques et même la mémoire collective ne sont pas préparés à affronter de tels événements.”
Les cyclones de 1983 servent encore de référence aux autorités. Est-ce pertinent ?
“Pas vraiment. En 1983, les Tuamotu ont connu plusieurs cyclones, dont Orama. Les houles avaient atteint environ 12 mètres et cette valeur est encore utilisée pour calibrer les plans de gestion des risques. Mais mes recherches montrent que par le passé, des cyclones ont généré des vagues bien plus hautes : 15 mètres et plus.
J’ai pu le démontrer en étudiant les énormes blocs de corail déplacés par ces vagues. Certains font la taille d’un camion et ont été projetés à plusieurs centaines de mètres à l’intérieur des terres. Or, de tels dépôts ne correspondent pas à 1983 mais à des événements plus anciens, au début du XXe siècle.”
Comment parvenez-vous à dater ces événements ?
“J’utilise une méthode développée il y a une dizaine d’années : le relevé et la datation de blocs coralliens. Avec des drones, je modélise en trois dimensions ces masses de plusieurs dizaines, parfois centaines de tonnes. Ensuite, je prélève des échantillons de corail, qui sont datés grâce à la méthode uranium-thorium. Cela permet de relier un bloc à un cyclone précis, parfois vieux de plus d’un siècle.”
Quelles conclusions tirez-vous de vos missions ?
“D’abord que les Tuamotu peuvent subir des houles de 15 à 16 mètres. Ensuite que ces phénomènes, bien que rares, ne sont pas impossibles demain. Le risque reste entier sur certaines îles. Si un tel cyclone frappait un atoll mal équipé, on pourrait avoir la moitié de la population tuée en 24 heures.”
Les abris actuels sont-ils suffisants ?
“Ils sont indispensables, mais parfois mal situés. À Makemo par exemple, l’abri a été construit sur la partie la plus haute de l’atoll, mais aussi la plus exposée aux vagues. Or, mes travaux montrent que des blocs de 200 m³ ont pu être projetés dans cette zone. En cas de cyclone majeur, un tel abri pourrait être balayé. Il vaut mieux les implanter près du lagon, là où les courants sont plus faibles.”
Avez-vous déjà alerté les autorités ?
“Oui, j’ai eu des échanges avec les services du Pays et les communes lorsque je vivais ici. Mais à l’époque, je n’avais pas encore la masse de données dont je dispose aujourd’hui. Désormais, je peux confirmer que certaines îles doivent être évacuées si un cyclone génère des houles de plus de 15 mètres. J’aimerais reprendre contact avec les institutions pour partager ces résultats.”
Ce type de cyclone est-il appelé à devenir plus fréquent ?
“Ils se reproduiront tôt ou tard, c’est certain. Grâce à l’analyse des blocs coralliens, je peux retracer ces événements sur 5 000 ans et commencer à voir si les cyclones extrêmes sont plus fréquents aujourd’hui qu’avant. En revanche, je ne peux pas encore dire à quelle fréquence exacte ils surviennent : il faudrait élargir encore l’échantillon.”
Concrètement, que risque-t-on aux Tuamotu ?
“Quand un cyclone de grande intensité frappe un atoll, il est impossible de s’échapper : ni bateau ni avion ne peuvent sortir. Si l’île n’a pas d’abri, ou si l’abri est mal placé, la population est livrée à elle-même. C’est ce qui s’est produit en 1997 lors du cyclone Martin à Maupihaa : sur dix habitants, neuf sont morts. Et ça reste, à mon avis, quelque chose qui est malheureusement toujours possible. Avec une probabilité extrêmement faible, bien entendu.”
Faut-il alarmer la population ?
“Il ne s’agit pas de faire peur mais d’informer. Neuf habitants de ces atolls sur dix passeront leur vie sans jamais connaître un tel cyclone. Mais il reste une chance sur dix. Or, ignorer le risque ne le fera pas disparaître. Au contraire : mieux vaut le préparer, en adaptant les abris, en gardant la mémoire des événements passés et en intégrant cette réalité dans les politiques publiques.”
“Ils sont indispensables, mais parfois mal situés. À Makemo par exemple, l’abri a été construit sur la partie la plus haute de l’atoll, mais aussi la plus exposée aux vagues. Or, mes travaux montrent que des blocs de 200 m³ ont pu être projetés dans cette zone. En cas de cyclone majeur, un tel abri pourrait être balayé. Il vaut mieux les implanter près du lagon, là où les courants sont plus faibles.”
Avez-vous déjà alerté les autorités ?
“Oui, j’ai eu des échanges avec les services du Pays et les communes lorsque je vivais ici. Mais à l’époque, je n’avais pas encore la masse de données dont je dispose aujourd’hui. Désormais, je peux confirmer que certaines îles doivent être évacuées si un cyclone génère des houles de plus de 15 mètres. J’aimerais reprendre contact avec les institutions pour partager ces résultats.”
Ce type de cyclone est-il appelé à devenir plus fréquent ?
“Ils se reproduiront tôt ou tard, c’est certain. Grâce à l’analyse des blocs coralliens, je peux retracer ces événements sur 5 000 ans et commencer à voir si les cyclones extrêmes sont plus fréquents aujourd’hui qu’avant. En revanche, je ne peux pas encore dire à quelle fréquence exacte ils surviennent : il faudrait élargir encore l’échantillon.”
Concrètement, que risque-t-on aux Tuamotu ?
“Quand un cyclone de grande intensité frappe un atoll, il est impossible de s’échapper : ni bateau ni avion ne peuvent sortir. Si l’île n’a pas d’abri, ou si l’abri est mal placé, la population est livrée à elle-même. C’est ce qui s’est produit en 1997 lors du cyclone Martin à Maupihaa : sur dix habitants, neuf sont morts. Et ça reste, à mon avis, quelque chose qui est malheureusement toujours possible. Avec une probabilité extrêmement faible, bien entendu.”
Faut-il alarmer la population ?
“Il ne s’agit pas de faire peur mais d’informer. Neuf habitants de ces atolls sur dix passeront leur vie sans jamais connaître un tel cyclone. Mais il reste une chance sur dix. Or, ignorer le risque ne le fera pas disparaître. Au contraire : mieux vaut le préparer, en adaptant les abris, en gardant la mémoire des événements passés et en intégrant cette réalité dans les politiques publiques.”
Insolite : un chercheur en kayak sur les motu
Pour étudier les blocs de corail déplacés par les cyclones, Rémy Canavesio n’hésite pas à recourir à des moyens inattendus : le kayak. “J’ai consacré une partie de mes vacances en Polynésie pour réaliser deux missions scientifiques. La première, je l’ai faite en juillet en compagnie de mes deux enfants qui ont 7 et 9 ans. On est parti de Katiu, on a fait une quarantaine de kilomètres de kayak, on a dormi sur un motu superbe en camping en totale autonomie et je suis allé étudier des blocs sur la côte est”, raconte-t-il.
Quelques semaines plus tard, il remet ça, seul cette fois, à Rangiroa : “J’avais d’autres blocs à voir à l’est de l’atoll, mais c’était très cher en bateau. La manière la moins coûteuse, c’était encore de le faire en kayak. Je suis parti de Tiputa, j’ai mis trois jours pour atteindre l’extrémité est, avec un vent défavorable. Le retour, je l’ai fait en une seule journée, aidé d’une voile.”
Un aller-retour d’une centaine de kilomètres, ponctué de nuits en hamac “parce que c’est la méthode la plus simple”, glisse le chercheur, pour qui la science rime aussi avec aventure.
Pour étudier les blocs de corail déplacés par les cyclones, Rémy Canavesio n’hésite pas à recourir à des moyens inattendus : le kayak. “J’ai consacré une partie de mes vacances en Polynésie pour réaliser deux missions scientifiques. La première, je l’ai faite en juillet en compagnie de mes deux enfants qui ont 7 et 9 ans. On est parti de Katiu, on a fait une quarantaine de kilomètres de kayak, on a dormi sur un motu superbe en camping en totale autonomie et je suis allé étudier des blocs sur la côte est”, raconte-t-il.
Quelques semaines plus tard, il remet ça, seul cette fois, à Rangiroa : “J’avais d’autres blocs à voir à l’est de l’atoll, mais c’était très cher en bateau. La manière la moins coûteuse, c’était encore de le faire en kayak. Je suis parti de Tiputa, j’ai mis trois jours pour atteindre l’extrémité est, avec un vent défavorable. Le retour, je l’ai fait en une seule journée, aidé d’une voile.”
Un aller-retour d’une centaine de kilomètres, ponctué de nuits en hamac “parce que c’est la méthode la plus simple”, glisse le chercheur, pour qui la science rime aussi avec aventure.





































