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Le député Tuaiva visé par une enquête préliminaire dans l'affaire Team Lead


Jean-Paul Tuaiva, le 28 février 2014 durant la campagne pour les élections municipales à Punaauia
Jean-Paul Tuaiva, le 28 février 2014 durant la campagne pour les élections municipales à Punaauia
PAPEETE, 29 mars 2015 - Une enquête préliminaire confiée à la gendarmerie est ouverte par le parquet de Papeete et vise Jean-Paul Tuaiva dans l’affaire Team Lead.

Les limiers de la section de recherches s’intéressent à l’utilisation faite de "plusieurs dizaines de millions" de subventions tirées en 2013 et 2014 sur la réserve parlementaire par le député polynésien.

Le parquet de Papeete confirme avoir ordonné l’ouverture d’une enquête préliminaire suite à des soupçons d’abus de confiance et de détournement de fonds publics par personne investie d’un mandat électif public, dans l’affaire Team Lead. L’action d’investigation menée par la gendarmerie vise le député Tahoera’a Huira’atira Jean-Paul Tuaiva. L’enquête est conduite à charge et à décharge ; mais il est utile de préciser d’emblée que tout suspect est présumé innocent jusqu’à sa condamnation définitive.
Dans le cadre cette investigation, depuis le début du mois, des perquisitions ont été effectuées au siège de l’association Team Lead, que préside Heirani Tavaearii à Punaauia. Des documents et des sommes d’argent ont été saisis.

Les gendarmes de la section de recherches tentent d'établir comment ont été dépensés 21,5 millions Fcfp de subventions tirées sur la réserve parlementaire en faveur de cette association de Punaauia par l’élu de la 3e circonscription de la Polynésie française. Près de 12 millions Fcfp auraient pu être dépensés de manière irrégulière en 2014.

Créée en mars 2010, l’association Team Lead a pour objet de réaliser des échanges culturels, encourager l’insertion sociale, organiser des événements à caractère sportif, œuvrer dans le cadre de la promotion d’intérêts touristiques, culturels et artistiques. Team Lead a reçu une subvention parlementaire de 11 millions Fcfp en 2013, officiellement pour le financement de journées de formation et l’achat de matériels. 10,5 millions Fcfp lui ont été accordés via la réserve parlementaire, toujours par le député Tuaiva, en 2014.
Or une brève enquête de voisinage menée par des journalistes de la rédaction de Polynésie 1ère avait révélé le 13 février dernier le caractère "fantôme" de cette association, depuis au moins deux ans.

Des témoignages de jeunes de Punaauia avaient même confirmé aux journalistes de la chaîne que "l'association existe peut-être toujours au Journal Officiel, mais il n'y a plus aucune activité". Jusqu’à la présidente du comité de Futsal de Punaauia, Chantal Teikiavaitoua, partenaire jusqu'en 2011 avec Team Lead, qui affirmait que dans cette association "il n'y a plus de président, plus de bureau, plus rien", aujourd’hui.

Possible demande de levée de l'immunité parlementaire

Ces affirmations étonnantes ont interpellé le parquet de Papeete. L’ouverture d’une enquête préliminaire a été ordonnée mi-février. Et ce, même si à l'époque Heirani Tavaearii certifiait encore de son côté que l'association était toujours active, que les subventions avaient été utilisées pour financer des actions de formation "pour un montant de 20 millions". Il assurait alors : "Ça s’est mis en place en 2013-2014, parce que le projet a démarré en 2013 et s’est terminé l’année dernière. Ça a servi à mettre en place des formations pour la jeunesse (…). Certainement, beaucoup diront que c’est trop – ce que je comprends – mais…".

Après la diffusion de ce reportage télévisé, Jean-Paul Tuaiva s’était immédiatement indigné dans un Tweet envoyé depuis Paris, le 13 février, promettant un "bilan détaillé des actions" de Team Lead dès le 16, à son retour en Polynésie. Le document n’a toujours pas été publié à ce jour.

"Il s’agit d’argent public. On s’intéresse à des dizaines de millions versées à des associations et on veut savoir si ces sommes ont bien été utilisées pour les dépenses qu’elles devaient financer", commente José Thorel, le procureur de la République de Papeete. L’enquête pourrait d'ailleurs s'intéresser à la comptabilité de toutes les associations allocataires d'une subvention "Tuaiva" tirée sur réserve parlementaire.

En ce qui concerne Team Lead, les investigations de la section de recherches ont donc dans un premier temps tenté de vérifier la destination effective des subventions versées. Les enquêteurs auraient déjà mis en évidence plusieurs anomalies comptables, outre les livres de comptes extrêmement sommaires de l'association.

Une première subvention a été versée en 2013 par le député Tuaiva, sur réserve parlementaire. Mais pour 2014, comment ne pas s’interroger sur ce qui a pu motiver le député de la 3e circonscription polynésienne à renouveler l’octroi d’une copieuse subvention de 88000 euros (10,5 millions Fcfp) en faveur d’une association sans aucune activité notoire ? D'autant que Heirani Tavaearii était colistier de Jean-Paul Tuaiva aux dernières élections municipales : les deux hommes se connaissent ; l’enquête s’attachera à déterminer jusqu’à quel point.

"Compte tenu de l'enquête en cours je ne tiens pas à m'exprimer", note dans un courriel laconique le député Tuaiva en réponse aux questions que nous lui avons adressées à Paris. En revanche l’élu déclare qu’il se prêtera volontiers à une audition libre, dès son retour en Polynésie française.

Car, en fonction de ce que vont révéler les investigations en cours, le parquet de Papeete n’exclut pas de faire une demande de levée de l’immunité parlementaire du député polynésien.

Comment sont attribuées les subventions sur réserve parlementaire ?

En 2014, le député Tuaiva a prélevé 16 millions Fcfp (134 330 euros) sur le fonds de la réserve parlementaire afin d’apporter une aide financière à six associations polynésiennes. Parmi elles, l’association Team Lead de Punaauia a été destinataire de 65% de cette aide (10,5 millions Fcfp).
Le mode d’attribution de la réserve parlementaire a été modifié en 2012. A l’Assemblée, chaque député peut disposer de 130000 euros. Les élus doivent transmettre une demande au moyen d’une fiche qu’ils remplissent et dans laquelle ils indiquent à quelles associations ils souhaitent donner des subventions et le montant des projets choisis. Le document est pris en compte au moment du vote du budget, en septembre-octobre. Les élus informent ensuite les organismes destinataires de ce qu'ils peuvent leur distribuer. Une demande officielle de financement doit être adressée auprès du ministère de l'intérieur, qui est chargé de verser l'argent. La subvention est débloquée en début d’année. Dans cette procédure, les parlementaires ne touchent à aucun moment à l’argent destiné à la subvention, ils se contentent de donner une autorisation au ministère qui le verse en leur nom.
Depuis 2012 le ministère de l'intérieur rend public le détail de la réserve attribuée, ce qui a permis de lever le voile sur ce système jusque là opaque de financement.


Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Dimanche 29 Mars 2015 à 17:40 | Lu 3959 fois