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Le coût de la vie sauvé par la téléphonie


Tahiti, le 27 décembre 2021 - Après de multiples contentieux et des mois d’attente pour obtenir leurs licences, les opérateurs concurrents de Vini ont réussi à arriver sur le marché de la téléphonie mobile et de l’Internet. Une concurrence qui tire les prix du secteur vers le bas. Mais cette baisse contribue plus globalement à contenir l’indice général des prix, dont la stagnation relative peut donc apparaître en trompe-l'œil.
 
Lors du vote des lois fiscales jeudi dernier, le président de la Polynésie Édouard Fritch avait évoqué devant les représentants de l’assemblée de la Polynésie (APF) les bienfaits de la concurrence qui “demeure le meilleur rempart contre les abus et les effets d’aubaine”. Un principe qui, au-delà de la rhétorique, mérite cependant quelques efforts d’application difficilement perceptibles. La définition d’une politique de la concurrence suppose en effet de la part du gouvernement et de l'assemblée de mettre en place des règles favorisant l’implantation de nouveaux acteurs économiques pour que les effets de la compétition puissent permettre aux consommateurs d’avoir le choix entre des opérateurs proposant des prix compétitifs.
 
Une volonté de mise en place de la concurrence pas vraiment visible dans le secteur des télécoms où les concurrents de Vini ont dû batailler des mois voire des années pour pouvoir avoir le droit d’aller sur le ring et proposer une offre alternative à l’opérateur historique. Une insistance, soutenue par les tribunaux, qui a significativement tiré les prix vers le bas et contribué à contenir l’indice général des prix qui aurait, sans la guerre dans le secteur des télécommunications, flambé.
 
Concurrence freinée depuis une décennie par les pouvoirs publics
 
L’arrivée des nouveaux opérateurs dans le secteur des télécoms ne s’est pas faite sans quelques réticences des pouvoirs publics qui ont notamment trainé à accorder des autorisations d’exploitation et à mettre en œuvre des règles équitables entre les opérateurs. En 2010, la loi Anti-Digicel qui plafonnait le capital pouvant être détenu par des sociétés étrangères dans un société de téléphonie avait été déclarée illégale par le Conseil d’État. De quoi refroidir les investisseurs étrangers mais pas les locaux qui ont cependant dû également passer par les juridictions administratives pour obtenir gain de cause. En juin 2018, le tribunal administratif de Papeete a ainsi sèchement sanctionné le Pays pour sa passivité et sa faible volonté d’ouvrir le marché aux opérateurs concurrents de Vini. Après avoir reçu une demande d’agrément de la part de Viti pour devenir opérateur de téléphonie mobile et une de Vodafone pour devenir fournisseur d’accès à Internet, le Pays n’avait jamais répondu. Un silence du conseil des ministres qui avait permis à l’opérateur historique de ne pas subir la concurrence pendant plusieurs mois, mais pas vraiment du goût des magistrats. Dans l’une de ces décisions, les juges rappelaient que “le devoir qui incombe à la Polynésie française, qui est le régulateur concurrentiel du marché en cause, (…) de veiller au développement d’une concurrence effective et loyale entraine une obligation de mettre en œuvre une régulation concurrentielle y compris “asymétrique”, afin d’ouvrir le marché à la concurrence”. Un devoir pas vraiment respecté à la lettre. Trois ans plus tard, les deux opérateurs attaquaient de nouveau le Pays qui, par solution de facilité, avait choisi de reconduire les tarifs d’interconnexion d’Onati (ex-Vini) sans étude économique sur les coûts réellement supportés de l’opérateur. Là encore, le tribunal a sanctionné début décembre l’inaction du gouvernement.
 
Le juge administratif a ainsi été amené après de longs mois de procédure à ordonner au Pays de prendre les décisions favorisant enfin une concurrence largement favorable aux consommateurs après des années de monopole.
 
Prix divisés par deux en quatre ans
 
Entre lenteur administrative et contentieux, la concurrence a donc fini par s’installer, allégeant le porte-monnaie des consommateurs polynésiens. Depuis environ quatre ans, avec l’intensification de la concurrence, les prix des abonnements mais également des équipements ont en effet nettement baissé contribuant grandement à maîtriser l’inflation.
 
Ainsi, au sein de l’indice des prix, les deux composants que sont les abonnements aux services de téléphonie et d’accès à Internet ainsi que les achats d’équipements de téléphonie ont fortement chuté contribuant à compenser des hausses dans certains autres secteurs dont les produits alimentaires. Ainsi, selon les données de l’ISPF, depuis décembre 2017, le prix des abonnements a quasiment été divisé par deux, en baisse en effet de -44,2%. Pour la seule année 2021, la baisse constatée est déjà de -15,8% alors que les promotions de décembre n’ont pas encore été prises en compte dans le calcul de l’Institut. En 2020, le sous-indice sur les abonnements avait déjà baissé de -14,4% sur l’année.
 
Pour ce qui est des achats de téléphones, les chiffres de l’ISPF évoquent une baisse des prix de -23,8% depuis décembre 2017 avec notamment -13% en 2020 et -4,8% depuis le début de l’année 2021. La dynamique concurrentielle, péniblement installée, a ainsi offert du pouvoir d’achat aux consommateurs qui ont parallèlement dû supporter des hausses de prix dans des secteurs très concentrés où la concurrence a du mal à opérer. Depuis 2017, les produits alimentaires ont grimpé de +6,2% malgré l’essor continu de la grande distribution censé favoriser les économies d’échelle. Les boissons alcoolisées et le tabac ainsi que les factures d’eau, de gaz et d’électricité ont connu une hausse quasi-identique respectivement de +6,4% et de +6,1%. L’utilisation d’un véhicule personnel est également plus coûteux avec une augmentation de +8,9% en quatre ans, de même que les services de Café-hôtellerie-restauration avec une hausse +13,6%.
 
L’année dernière, l’indice général des prix avait baissé de -0,9% et le sous-composant Communications représentait déjà à lui seul -0,6%. Le secteur des télécoms tire donc l’indice des prix vers le bas depuis plusieurs années malgré la résistance du Pays. Le constat devrait être identique en 2021. Alors que l’indice général des prix a augmenté de +1,8% depuis janvier principalement du fait de la hausse des produits alimentaires (+4,3%) et des carburants (+16,3%), le sous-composant Communication a, par sa baisse de -14,9%, permis de masquer une flambée presque générale des prix.
 
Rigidité à la baisse des prix
 
Cette évolution à la baisse des prix a cependant ces limites, là encore posées par les pouvoirs publics. Le gouvernement souhaite en effet que chaque opérateur développe ses propres infrastructures quitte à ce que, sur un atoll, trois antennes identiques soient positionnées l’une à côté de l’autre. Une position qui tend à écarter toutes possibilités de mutualisation des moyens qui permettraient de répartir les coûts fixes entre les opérateurs et répercuter la baisse des charges sur le consommateur final. Le code des postes et des télécommunications métropolitain pose en effet à plusieurs reprises le principe d’une “utilisation partagée” des infrastructures, principe mis en œuvre par l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP). Une notion d’“utilisation partagée” pas vraiment dans la tradition polynésienne. A rebours des prescriptions des autorités de régulation sectorielle ou concurrentielle, la Polynésie française ne l’a pas reprise dans le code local et impose que chaque opérateur dispose de ses propres antennes en complément de celles de l’opérateur historique déjà présentes et financées sur fonds publics. Les opérateurs devront donc continuer à déployer ses infrastructures et faire supporter les coûts sur le consommateur final. La trajectoire à la baisse des prix devrait donc s’atténuer.
 


Rédigé par Sébastien Petit le Lundi 27 Décembre 2021 à 19:04 | Lu 5226 fois