Tahiti Infos

Le 'aparima, le 'ōte'a, le pā'ō'ā et le hivināu, les jurys nous disent tout


Le 'aparima, le 'ōte'a, le pā'ō'ā et le hivināu, les jurys nous disent tout
PAPEETE, le 1er juillet 2018 - 19 groupes de danse concourront cette année au Heiva i Tahiti, dont neuf en Hura Ava Tau (Amateurs) et 10 en Hura Tau (Professionnels). Mais que sait-on exactement des danses qui sont exécutées sur la scène de To'atā ? Nous sommes allés à la rencontre des membres du jury en danse pour y voir un peu plus clair.

La danse est apparue dans cette grande manifestation culturelle, bien après les chants. Aujourd'hui, cette discipline attire les foules dans les gradins. Tout le monde se déplace pour apprécier les prestations de chaque groupe.

Pour cette nouvelle édition du Heiva i Tahiti, on note 19 groupes de danse inscrits, dont neuf en Hura Ava Tau (Amateurs) et dix en Hura Tau (Professionnels). Chacun tentera de présenter le plus beau spectacle afin de séduire avant tout le jury.

Mais que sait-on exactement de ces spectacles ? Pour y voir un peu plus clair, nous sommes allés à la rencontre des membres du jury en danse. Et cette année, ils sont quatre à juger le travail de chaque groupe : Moanaura Teheiura (président du jury), Makau Foster, Vaihere Pohue et Jean-Marie Biret. Si les autres membres du jury peuvent donner leurs appréciations sur la beauté du spectacle ou la compréhension du thème, ils ne peuvent pas, cependant, juger les aspects techniques. Cette tâche revient aux membres spécialisés dans le domaine.

60 DANSEURS MINIMUM

Pour monter un spectacle pour le Heiva i Tahiti, les groupes de danse, en général, se préparent six mois à l'avance. Chaque chef de troupe définit un thème avant de composer les musiques et les chorégraphies du spectacle. Ensuite, il faut penser aux tenues que les danseurs porteront et il faut, bien évidemment, trouver les éléments qui composeront la troupe.

Les filles, en général, ne sont pas difficiles à trouver. Par contre, pour les garçons, les chefs de groupe ont un peu plus de difficulté. Dans le règlement, chaque troupe doit être composée d'au moins 60 danseurs jusqu'à 200 maximums, "pour permettre une meilleure organisation sur la scène", explique Vaihere Pohue, jury en danse. Si le quota minimal n'est pas atteint, la sentence sera double : "Ils seront, non seulement, pénalisés au niveau de la notation, mais au niveau de la subvention également, puisque la subvention est proportionnelle au nombre de danseurs", poursuit Vaihere Pohue.


QUATRE TYPES DE DANSE

Pour participer au Heiva i Tahiti, quatre types de danse sont imposés : "Il y a le 'aparima, le 'ōte'a, le hivināu et le pā'ō'ā. Les 'ōte'a vahine et tāne ne sont pas obligatoires", précise Jean-Marie Biret, jury en danse.

Qu'est-ce-que le 'aparima ?
"Le 'aparima sert à mimer le texte pour le faire comprendre au public. C'est l'histoire qui est mimée à travers la gestuelle et qui est racontée à travers des paroles", raconte Vaihere Pohue. "Il y a aussi le 'aparima vava, où il n'y a que des percussions et ça me rappelle beaucoup les danses que j'ai vues aux Samoa, lorsque j'ai participé au festival des arts. Il y a quelques groupes qui le feront cette année. C'est une danse qui ne se faisait presque plus je crois. Cette année, il y a trois groupes, je crois, c'est très intéressant et très beau", rajoute Jean-Marie Biret.

Que représente le 'ōte'a ?
"Le 'ōte'a est plus dynamique", assure Jean-Marie Biret. "C'est une danse traditionnelle rythmée par des percussions, notamment le tō'ere, que l'on dit d'origine raroto'a et qui est venu s'intégrer dans notre culture. On parle beaucoup aussi du pahu tūpa'i qu'on essaye de remettre en valeur notamment au Hura Tapairu ou dans certains spectacles. Je sais que Coco Hotahota était un fervent défenseur du pahu tūpa'i. On utilise le tari parau, beaucoup d'instruments que l'on appelle des tambours. On peut utiliser d'autres instruments encore…", décrit Vaihere Pohue.

Et la spécialiste de rajouter : "Les 'ōte'a peuvent aussi mimer une histoire, mais elle est muette. Parfois, il peut y avoir des cris, et s'il y a des paroles qui sont prononcées, on parlera plutôt de pāta'uta'u."

Qu'est-ce que le pā'ō'ā ? "Le pā'ō'ā, c'est la retranscription de scènes de la vie quotidienne, où on peut mimer la pêche, la fabrication du tapa…", souligne Vaihere Pohue. "Dans le pā'ō'ā, il y a une forme arrondie, fermée ou pas, avec deux cercles, un orateur au milieu qui dit l'histoire, et il y a un orchestre et les danseurs répondent", renchérit Jean-Marie Biret.

"Dans les thèmes, il y a souvent une histoire de séduction, et les actes phares de la danse se font dans le pā'ō'ā. Ça pose problème pour les groupes qui ne parlent pas d'amour, parce qu'ils sont obligés de faire le pā'ō'ā", poursuit-il. "Maintenant, il y a des puristes qui disent que c'est la femme qui doit inviter l'homme. Or dans le règlement, on n'a pas forcément imposé cela. Certaines personnes nous ont dit que selon leur thème, parfois, deux hommes devaient se lever dans leur pā'ō'ā, pas forcément pour s'inviter, mais pour mimer une scène de guerre", rajoute Vaihere Pohue.

Et enfin, que représente le hivināu ? "On dit que le terme vient de "heave now" des navigateurs qui tournaient autour du cabestan pour monter l'ancre", se rappelle Jean-Marie Biret. "Après le pā'ō'ā (ou avant, ce qui est très rare), le groupe se lève et les demi-cercles se ferment. Auparavant, il y avait un cercle de femmes et un cercle d'hommes, et chacun tournait dans un sens différent. Le cri qu'on entend souvent habituellement dans un hivināu est "'ahiri'a ha'a ha'a…". Cette danse s'exécute debout contrairement au pā'ō'ā", indique Vaihere Pohue.


RESPECTER LE RÈGLEMENT

Pour parfaire leurs prestations, les groupes doivent avant tout présenter un spectacle de qualité, les chorégraphies, les musiques et les tenues doivent être en accord avec le thème que chacun aura choisi de développer sur scène. Ils ont au minimum "45 minutes sans les quatre concours facultatifs (meilleurs danseurs, meilleures danseuses, orchestre imposé et orchestre création)", pour présenter leur spectacle. "On estime que 50 minutes est un bon chiffre pour la durée d'un spectacle, pour éviter d'être en deçà des 45 minutes, selon la rapidité de l'orchestration. Il ne faut pas courir le risque", assure Vaihere Pohue.

Comme chaque année, le jury veillera à ce que le règlement soit appliqué à la lettre, mais le cœur apportera aussi ce petit plus qui pourra faire la différence. Il est bon aussi de rappeler que le meilleur dans la catégorie Hura Ava Tau concourra l'an prochain avec les groupes professionnels de la catégorie Hura Tau.

Que le meilleur gagne et que vive le Heiva i Tahiti 2018 !


Concours des meilleurs danseurs et danseuses

Ce concours de danse est facultatif, mais la plupart des groupes présentent toujours des candidats au titre de meilleurs danseurs et danseuses.

Un concours qui allie la perfection, la beauté et la force des mouvements.

Makau Foster nous en dit plus :

"Ce concours est mis en place pour valoriser notre culture à travers les pas, les sens, les gestes, les mouvements de la danse… On voit mieux tout cela quand c'est une personne qui exécute.

Je regarde premièrement, la beauté, parce que lorsque le garçon et la fille arrivent, et qu'ils sont beaux, élégants, gracieux, eh bien, tu tombes à genoux. Tu peux ensuite être surpris par la force de leur danse, au travers notamment de leur pā'oti ou de leur fa'arapu, la beauté du corps, la souplesse, l'endurance, la coordination du corps… Tout est physique, ils doivent se coordonner avec leurs corps, mais aussi avec la musique. On regarde beaucoup cette coordination, cette symbiose qui se met en place entre les musiciens et les danseurs, mais aussi comment le danseur ou la danseuse se coordonne avec son corps. S'ils sont bien coordonnés avec la force dans les jambes, eh bien, ça se voit, ils sont bien dans les temps, bien rythmés, c'est vraiment léger, et tu as l'impression qu'ils planent.

Le thème leur demande de faire certaines choses qui font la différence. Ils doivent apporter quelque chose de magnifique par rapport à leurs thèmes. Par exemple, quand les danseuses sont bien posées, avec les pieds bien plats, les talons au sol, elles sont fléchies et qu'elles envoient les pistons, pour moi ce sont les genoux, et qu'elles lâchent bien le bassin, eh bien, le résultat est magnifique. C'est pour cela qu'on entend après le public crier, parce qu'il est envoûté par tout ça. C'est tellement difficile de le faire et quand c'est bien exécuté, ça se voit. Il faut que ce soit bien fait, avec les cinq pas obligatoires, sinon, tu es disqualifié.
"

Les cinq pas obligatoires sont, pour les filles : le varu, le tā'iri tamau, le fa'arapu, le rūrū et le nu'u tīfene. Pour les garçons : le pā'oti, le 'ōu'a 'ōfati, le taparuru, le nu'u tīfene et le tu'e.


LA PAROLE À

Jean-Marie Biret
Jury en danse


"Respect à tout ce pays, où tout le monde se met au travail depuis six mois"

"Par moment, j'ai été très ému de voir tous ces gens au travail. Quand tu participes au Heiva avec ton groupe, eh bien, tu t'occupes de celui-ci et tu fais tout pour l'amener sur scène correctement. C'est du boulot, c'est de la recherche, ce sont des nuits blanches, c'est un travail énorme. Et là, je suis de l'autre côté de la barrière, et j'ai le plaisir de rencontrer les artistes et d'aller sur leur terrain de répétition. Je suis touché de voir que dans notre pays, il y ait tellement de personnes qui se donnent tant de mal. Respect à tout ce pays, où tout le monde se met au travail depuis six mois, pour venir nous présenter quelque chose de beau et quelque chose en quoi il croit. Les visites du jury dans les groupes ont été mises en place pour les encourager et pour qu'il y ait de la proximité aussi avec le jury, c'est important. Dans les districts, on est accueilli comme avant, ce sont les ta'ata tahiti avec des buffets et des discours. Ça m'a touché parce que c'est ce que je voyais à la télévision, lors des Tiurai, avec les offrandes qui étaient faites au gouverneur, je trouve ça beau. C'est un signe de respect. En ville, je n'ai pas vu ça. J'ai envie de leur dire : "Mea mā, nō hea mai 'outou ?" (rires) parce que c'est tellement chaleureux. Et c'est l'exemple que peuvent donner les chefs de groupe à la jeunesse pour leur dire : "C'est ça nos mœurs et c'est comme ça qu'on fait chez nous." Et je crois que les jeunes sont curieux et ils ont envie de s'approprier un élément supplémentaire de leur identité et de leur manière d'être."


Vaihere Pohue
Jury en danse

"Il faut qu'il y ait un lien entre les chorégraphies, les figures et le thème"


"À la place de l'expression, "occupation de l'espace", désormais, on évoque l'idée de l'organisation de l'espace, parce qu'il ne s'agit pas forcément pour un groupe d'occuper toute la scène. Peut-être que le thème veut qu'une moitié seulement soit mise en avant, ou qu'on soit en formation triangulaire pour signifier l'avant d'une pirogue… Et forcément, on n'aura pas tous les danseurs répartis de l'avant vers l'arrière. Le groupe doit organiser son espace. On va voir, derrière cette façon de ranger les danseurs, les alignements également. Donc, il faut qu'il y ait une maîtrise de l'espace, et si derrière, il y a un sens. Il faut qu'il y ait un lien entre les chorégraphies, les figures et le thème. On note aussi la gestuelle, nous regardons si les gestes sont précis, maitrisés - pas forcément tout le temps, amples - parce que le thème veut, peut-être, que l'on soit recroquevillé sur soi-même. On va noter aussi la concordance entre la gestuelle et le thème, la concordance du rythme et de la danse. Il ne faut pas que nous ayons l'impression que le groupe est en contretemps avec la musique. Par exemple, si la musique est sur un rythme rapide, on va s'attendre à ce que les danseurs suivent ce rythme. Même si on peut se permettre de ne pas le faire. Mais, il ne faut pas que ce soit constant dans le spectacle, parce qu'on aura vraiment l'impression qu'il n'y a pas de liens entre les pas exécutés (lents) et cette musique qui est très rapide. Il faut qu'il y ait une harmonie, et c'est cette harmonie que l'on valorise. On note aussi l'orchestre, est-ce que tout le monde participe ? Cette année, ce critère a bien été expliqué aux groupes, et ce n'est pas évident pour tous de le suivre, parce que les orchestres se préparent et ils ont leur façon de fonctionner. On écoute aussi si les mélodies suivent bien le thème du groupe. On note aussi les costumes, et la beauté du spectacle, c'est un critère subjectif et final dans la fiche de notation, et je dis souvent que c'est là, où le cœur parle."



Makau Foster
Jury en danse

"Il faut parfaire, jusqu'à ce que la musique rentre dans la peau"


"Quand tu es en solo, tu as le poids de tout le monde sur ton dos, et ça peut apporter de l'angoisse, et tu peux perdre tes moyens. Et si la préparation n'a pas été faite de façon féroce, ils peuvent s'égarer. Mon conseil aux meilleurs danseurs et danseuses est de travailler tous les jours, il faut parfaire, jusqu'à ce que la musique rentre dans la peau. Il faut connaitre par cœur la musique ainsi que l'histoire de son thème pour bien l'exprimer sur scène".



le Dimanche 1 Juillet 2018 à 18:39 | Lu 2384 fois