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Le JT de France 2 taxe Tahiti de paradis fiscal

Le journal de 20 heures sur France 2 présenté par David Pujadas a exposé mardi soir (le 12 novembre) la fiscalité polynésienne comme très avantageuse par rapport au système français. La réalité est cependant beaucoup moins rose.


Pour évader ses téléspectateurs de la grisaille métropolitaine d’un hiver naissant et de la grogne sociale exacerbée de l’hexagone, France 2 a choisi depuis quelques semaines de faire dans ses journaux télévisés des reportages en Polynésie française. Il y a eu tout d’abord les atouts classiques de Tahiti et ses îles. Mais après les tortues, les baleines, la perle et les fonds marins, les reporters de France 2 (en fait un binôme de journalistes free lance venu de Nouvelle Calédonie) ont réalisé un sujet plus en lien avec l’actualité nationale.

Quand en France l’évasion fiscale devient presque un mode de résistance pour certains, les attraits fiscaux de notre petit territoire du Pacifique baigné de soleil et d’eaux turquoises, peuvent faire à distance des envieux. Le reportage diffusé mardi soir sur France 2 s’est engouffré sans aucun recul ni réflexion (ni vérification) dans ces clichés éculés. Dès le lancement du sujet par David Pujadas, on plonge dans l’approximatif, la Polynésie y est présentée comme «un eldorado fiscal, une niche fiscale. Elle échappe complètement à la hausse des taxes» annonce le journaliste présentateur vedette. C’est sûr, en Polynésie française on ne subit pas les impôts métropolitains grâce à la pleine autonomie fiscale accordée au territoire par le statut de 2004. Donc ici, pas d’impôt sur la fortune et pas d’impôt sur le revenu au sens métropolitain du terme. Car la CST (contribution de solidarité territoriale) s’y apparente à la différence près que cet impôt est prélevé à la source et n’est calculé qu’à partir du revenu perçu par le salarié, sans prendre en compte un quotient familial comme c’est le cas en France. C’est évident aussi qu’à Paris (et a fortiori à Nouméa) personne n’a suivi l’augmentation conséquente, particulièrement pour les hauts salaires polynésiens, des taux de cette CST depuis le 1er octobre dernier. Le taux grimpe à 26% désormais pour les plus hauts salaires. Pas sûr, par exemple qu’un couple de salariés avec plus de trois enfants à charge n’ait pas intérêt de ce seul point de vue d’impôt sur les revenus à rester vivre en France.

La grande différence de la fiscalité entre celle Paris et celle de Papeete est que l’impôt métropolitain est massivement direct (et déclaratif) quand les taxes polynésiennes sont plus nettement indirectes. Le reportage télévisé occulte totalement le poids des taxes qui alourdissent le prix des achats de consommation ou sont prélevées sur le salaire. Aussi, avec un panier de la ménagère polynésien entre deux à trois fois plus cher que celui de la ménagère métropolitaine, les impôts peuvent apparaître moins pesants à Tahiti, mais il s’agit d’une illusion d’optique.

Plusieurs autres approximations et erreurs sont encore faites. Car oui, contrairement à ce qui est affirmé, il existe un impôt sur le capital, notamment immobilier (via la CST une fois encore avec un taux de 5%). Il existe également une plus-value pour les particuliers lors des cessions immobilières, même si les exonérations couvrent les biens jusqu’à 50 millions de Fcfp (420 000 euros). Par ailleurs, les droits d’enregistrement lors de ces cessions immobilières sont nettement plus chers qu’en France (9% pour un bien jusqu’à 15 millions de Fcfp (125 700 euros) et 11% au-delà, ce qui est plus du double des taux pratiqués en métropole. En revanche, les droits de succession sont effectivement extrêmement faibles en Polynésie : il n’y a rien à payer après un décès et une exonération persiste pour les cessions entre vifs jusqu’à 50 millions de Fcfp.

Enfin, la fiscalité qui pèse sur les entreprises polynésiennes est plutôt pesante. Les taxes pour les entreprises, via l’impôt sur les sociétés sont au moins aussi lourdes, voire plus que celles qui sont prélevées en France métropolitaine. Le taux de l’impôt sur les sociétés pèse de 25 à 35% sur le bénéfice imposable des entreprises. Ce taux a été abaissé récemment par la nouvelle majorité, il était de 30 à 40% précédemment. Il faut y ajouter, l’impôt sur les dividendes de 15% et pour les grosses entreprises au-delà de 50 millions de Fcfp de bénéfices, la contribution supplémentaire à l’impôt sur les sociétés. Bref, la Polynésie ce n’est pas le paradis fiscal espéré des investisseurs. «Dans ce reportage télévisé il y a pas mal d’affirmations exagérées, mais c’est aussi un bon coup de pub pour la Polynésie française», plaisantaient ce mercredi différents commentateurs. Le risque est toutefois que la publicité exposée soit mensongère.

Pour regarder le reportage diffusé sur France 2, CLIQUER ICI

Petit coup de pub entre amis

Le reportage diffusé sur France 2 s’attarde sur le cas de personnes qui ont quitté la métropole pour investir en Polynésie et payer moins d’impôts. On y suit notamment le parcours d’un homme d’affaires arrivé à Tahiti depuis trois ans, qui fait de la location saisonnière à Moorea et anime le blog Investir en Polynésie, où il divulgue notamment des conseils à de futurs expatriés fiscaux.
Il est aussi le créateur d’un magazine, Enjoy Tahiti, pour lequel l’ex banquière interrogée dans le reportage est recrutée comme commerciale d’espaces publicitaires. On y retrouve aussi un agent immobilier de Moorea également annonceur de ce magazine. Idem pour un propriétaire de restaurant de plage. Il s’en félicite d’ailleurs sur sa page Facebook : «Quelle est la société Polynésienne qui fait passer ses annonceurs (Moorea Beach café et l'agence des îles) au JT de 20H ???», est-il écrit sur le mur d’Enjoy Tahiti après la diffusion du reportage TV.
Bref, le reportage tourne en rond autour des mêmes personnes et des mêmes intérêts et l’équipe de journalistes n’a jamais cherché à vérifier les informations qui lui ont été délivrées. Dommage pour un journal télévisé de 20 heures d’une chaîne nationale dont on attend plus de sérieux.

Rédigé par Mireille Loubet le Jeudi 14 Novembre 2013 à 16:01 | Lu 17756 fois