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Le Cesec défavorable mais divisé sur la protection du vivant et le renforcement des sanctions


 
Tahiti, le 15 juillet 2025 – Les débats ont été riches et intenses, ce mardi matin, au Conseil économique, social, environnemental et culturel autour d'une proposition de loi du Pays faite par une vingtaine d'élus du Tavini à l'assemblée. Un texte qui vient modifier le code de l'environnement pour instaurer la protection du vivant en Polynésie et renforcer substantiellement les sanctions pénales. Si tous ont salué la démarche, l'avis défavorable l'a finalement emporté, ce texte comportant de nombreuses lacunes et méritant d'être retravaillé et affiné avec davantage de concertation.

 
Il aura fallu plus de deux heures aux représentants de la société civile avant de passer au vote, ce mardi matin, après des échanges intenses où les avis divergeaient. Les représentants du Cesec étaient saisis pour donner leur avis sur une proposition de loi du Pays initiée par l'élue du Tavini Teremuura Kohumoetini-Rurua et co-signée par une vingtaine de ses collègues de la majorité. Un texte qui vient modifier le code de l'environnement en instaurant une protection générale du vivant en Polynésie française et en renforçant les sanctions pénales.
 
La démarche a été saluée par l'ensemble de la représentation civile qui a loué “l'ambition” et le “courage” de ces représentants de Tarahoi qui souhaitent ainsi œuvrer pour une meilleure protection de l'environnement. Mais si l'initiative part d'un bon sentiment, elle est loin d'avoir fait l'unanimité avec une page comportant pas moins de 12 observations et recommandations. C'est d'ailleurs ce qui a fait pencher la balance de la commission “Développement et égalité des territoires” vers un projet d'avis défavorable, alors même que la majorité s'était, au départ, prononcée en faveur de ce texte.
 
Un texte “maladroit” et “mal compris”
 
Un texte qui vise notamment à créer des écosystèmes d'intérêt patrimonial dits “Rahu Ora” et qui prévoit la notion “d'écocide” qui serait punie de dix ans de prison et 536 millions de francs d'amende en cas de destruction de cet espace. Des sanctions renforcées donc, pour provoquer un électrochoc et réveiller les consciences. C'est du moins la volonté affichée par les auteurs de cette proposition de loi. Mais pour Jean-François Benhamza, “la solution passe par l'éducation”. “Ça devient quoi l'environnement ? C'est l'Inquisition”, s'est-il ainsi emporté, préconisant de “capitaliser sur l'intelligence humaine” – ce qui a provoqué des rires dans la salle – plutôt que de “jeter tout le monde en prison”. Dans leur avis, les conseillers estiment que ce renforcement des sanctions doit être “mieux éclairé” pour évaluer leur pertinence, d'autant que celles qui sont déjà prévues aujourd'hui “restent encore souvent inapplicables”.
 
“Dix ans et 500 millions, ce n'est pas cher payé quand tu as pollué des milliers de personnes”, a rétorqué Marotea Vitrac, rapporteur de l'avis défavorable proposé, mais en faveur de ce texte qu'il estime peut-être “maladroit” et “mal compris”, tout en ayant au moins le mérite d'exister et de poser “un cadre global”. Un sentiment partagé par d'autres conseillers du Cesec comme Makalio Folituu, Marguerite Lai, Maiana Bambridge, Félix Fong ou encore Avaiki Teuiau notamment.
 
Manque de concertation et fragilité juridique
 
Mais pour Teiki Porlier, “il ne s'agit pas de réinventer la roue” mais d'utiliser à bon escient les outils existants, et ce texte vient finalement rajouter un “enchevêtrement de règles” au mille-feuille administratif déjà compliqué à appliquer. “Si le code de l'environnement commence à dicter le code de l'aménagement, où on va”, s'est-il ainsi inquiété. En cause, la particularité de cette proposition de loi qui vise à interdire toute construction sur une partie du littoral (dans la limite de 50 mètres) dès lors que la commune ne dispose pas de plan général d'aménagement (PGA).
 
D'autant que les communes n'ont pas été consultées par les auteurs du texte, ce qu'a vivement regretté Lucie Tiffenat qui n'a pas mâché ses mots pour dénoncer un texte qui porte atteinte aux libertés individuelles des Polynésiens. Elle a aussi pointé du doigt la fragilité juridique de cette proposition de loi expliquant que “les services administratifs du Pays, la Diren en l'occurrence qui est le bras armé du gouvernement en matière d'environnement, sont contre”. Or, “on met des obligations en place alors qu'ils disent eux-mêmes qu'ils ne pourront pas les mettre en place”.
 
Pour ses collègues syndicalistes Patrick Galenon et Atonia Teriinohorai, qui ont également voté pour l'avis défavorable, il manque surtout un volet crucial dans ce texte, à savoir “la pollution par le nucléaire”, tandis que pour Marotea Vitrac, si le sujet n'est effectivement pas directement évoqué, la notion “d'écocide le définit clairement”.
 
Avis défavorable ou pas, ce texte doit maintenant passer par la sanction de l'assemblée. Reste à savoir s'il sera amendé d'ici là pour prendre en compte les recommandations du Cesec.

Les recommandations du Cesec

  • Réaliser une large consultation préalable concernant la proposition de loi du Pays, de l'ensemble des parties prenantes et des publics concernés
  • Accompagner tout nouveau dispositif règlementaire de mesures de sensibilisation, de communication et d'éducation, qui doivent être mises au cœur de la politique de protection de l'environnement
  • Réaliser une étude d'impact des dispositions proposées permettant d'identifier les effets positifs attendus, mais aussi les conséquences pour l'ensemble des parties prenantes et la société. Certaines dispositions proposées ne sont pas applicables dans les atolls de Polynésie française
  • Faire le bilan des infractions relatives aux atteintes à l'environnement afin d'identifier la nature des faits commis, les lieux des infractions, leur fréquence, leur gravité et leurs évolutions au cours de ces dernières années
  • Justifier le renforcement des sanctions pénales sur la base du bilan des infractions passées
  • Mettre en place des procédures administratives de sanction plus directes et efficaces, permettant d'assurer une réponse rapide et dissuasive aux infractions environnementales
  • Rationaliser, mutualiser et surtout développer les moyens mobilisés (humains, matériels et financiers) de l'État, du Pays et des communes pour exercer leur mission de surveillance dans de meilleures conditions et faire respecter la règlementation
  • Poursuivre et renforcer le dialogue entre l'État et les collectivités sur des problématiques communes
  • Travailler sur des programmes communs et d'actions concertées en associant les communes éloignées
  • Soutenir et favoriser la participation et l'implication des associations et de la société civile en matière de surveillance et de sensibilisation
  • Accompagner et faciliter la mise en œuvre des dispositions relatives aux gardes natures, gardes particuliers et gardes champêtres
  • Prévoir des zones terrestres éducatives à l'image des aires marines éducatives

Rédigé par Stéphanie Delorme le Mardi 15 Juillet 2025 à 15:34 | Lu 2258 fois