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Le CRIOBE alerte sur l'acidification de l'océan qui met nos coraux en danger


PAPEETE, le 24 octobre 2019 - Le CRIOBE de Moorea héberge ce vendredi 25 octobre une table ronde sur la thématique de l’Acidification des océans et son impact sur les récifs polynésiens. L'occasion de parler avec le docteur Laetitia Hédouin, spécialiste des coraux, des premières trouvailles de son étude Acid Reefs. C'est un grand projet scientifique qui étudie depuis 2017 la réponse de nos coraux à ce changement majeur.

Une table ronde sur la thématique de l’Acidification des océans se tiendra au CRIOBE à Moorea le vendredi 25 octobre. "Alors que les récifs coralliens de la Polynésie française connaissent une nouvelle période de blanchissement et que les scientifiques indiquent que l’acidification de l’océan pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les récifs coralliens, que faudrait il faire au niveau de la Polynésie française sachant que l’altération des récifs aura un impact sur les populations et les générations futures, si l’on n’agit pas rapidement et de manière décisive ?"

Ce sera aussi l'occasion de parler des recherches en cours à Moorea sur l'acidification de l'océan, dans le cadre du projet Acid Reefs. Nous avons pu interroger la responsable de ce projet ce jeudi, à la veille de la conférence.

Dr Laetitia Hédouin, chargée de recherches au CNRS, coordinatrice du projet Acid Reefs du CRIOBE

"Avec l'acidification, les coraux vont avoir du mal à grandir et seront plus fragiles"

Qu'est-ce que le projet Acid Reefs ?

Le but est d'étudier la réponse des récifs coralliens à l'acidification des océans. On étudie des organismes clés du récif comme les coraux, les algues et les poissons, et leurs interactions. Nous avons commencé par recueillir des données pour déterminer comment l'acidification des océans va affecter l'écosystème corallien naturel. Nous avons aussi lancé certaines expériences en laboratoire qui montrent que l'acidification va réduire la calcification des coraux et que les coraux déjà fragilisées par les épisodes de blanchissement vont avoir de plus en plus de mal à calcifier (NDLR : construire leur squelette). Ce qu'il se passe c'est que l'acidification modifie la chimie des carbonates de l'océan. En pratique, le corail a plus de mal à trouver dans l'eau les ions nécessaires pour fabriquer son squelette calcaire. Pire, le corail créé un squelette calcaire, qui peut être dissout par le pH qui devient plus acide. C'est comme si, pendant que tu essayes de construire ta maison, tu as du mal à trouver les briques nécessaires à la construction, mais qu'en plus quelqu’un dissout les briques que tu assembles.

Quel sera l'impact sur les habitants de la Polynésie ?
L'acidification des océans va affecter les écosystèmes côtiers et donc les communautés qui en dépendent. A Moorea, on sait que le récif atténue de 70 à 80 % de la force des vagues. Avec l'acidification, les coraux vont avoir du mal à grandir et seront plus fragiles, donc l’énergie des vagues pourraient plus facilement rentrer dans les lagons et accélérer l’érosion du littoral. Au final ça va affecter la protection de la barrière récifale et donc impacter les communautés humaines. Un dernier volet de l'étude Acid Reefs sera d'essayer de déterminer comment on peut limiter les dégâts. Ce qu'on peut essayer de faire en termes d'adaptation et de protection, pour être prêt lorsque l'acidification aura vraiment un impact fort. On travaille sur des scénarios à 2100, mais il faut savoir que ça a déjà commencé. Le pH de l'océan a déjà diminué de 0.1 par rapport au début de l’ère industrielle (NDLR : quand il était à 8.1), et les modèles prédisent que ça va s’empirer et qu’il pourrait diminuer à 7.6 en 2100. Mais comme on le perçoit comme un problème lointain, on ne sent pas spécialement l'urgence de s'en occuper… Sauf que quand ça va devenir sérieux, les écosystèmes seront déjà très dégradés et seront encore plus affectés. Donc il faut dès aujourd'hui s'intéresser à la protection de nos écosystèmes et diminuer la pression que l'on exerce dessus. 2100 c'est dans à la fois dans longtemps, mais pas que tant que cela, car nos enfants le vivront.

Sur ces photos, on voit à gauche un polype de corail qui a grandi dans un environnement normal, et à droite un polype qui a grandi dans un environnement acide… Son squelette est fortement affecté. (Credit : Chloé Brahmi)
Sur ces photos, on voit à gauche un polype de corail qui a grandi dans un environnement normal, et à droite un polype qui a grandi dans un environnement acide… Son squelette est fortement affecté. (Credit : Chloé Brahmi)
Pourquoi ce projet implique-t-il des scientifiques avec tellement de spécialités différentes ?
Ce projet a été lancé en 2017, donc ça fait plus de deux ans qu'on travaille dessus. Il est financé par le ministère de la Transition écologique et par la Fondation de France. Beaucoup de monde est impliqué dans le projet, les équipes viennent de six pays différents et sont très multidisciplinaires. On va étudier à la fois les coraux, les poissons, les algues, leurs interactions… Mais aussi on s’interroge à comment impliquer la société civile, et comment nos sociétés peuvent s'adapter à ce problème là.

Pourquoi organiser cette table ronde publique ?
Cette table ronde est ouverte à une grande diversité de gens. Des chercheurs, des gestionnaires des espaces marins, des représentants de la mairie, des services de gestion de la pêche mais aussi les associations, la société civile, le grand public… L'idée est d'avoir un échange. De notre côté nous voulons faire un point sur ce que les gens connaissent de l'acidification des océans. En échange nous voulons leur fournir les informations de base sur ce problème, bien cadrer les enjeux par rapport à la Polynésie et l'île de Moorea, et voir ensemble ce que l'on peut faire pour prendre en compte cette menace dans la gestion future de nos récifs coralliens et dans les actions que l'on peut prendre. On peut agir à tous les niveaux, que ce soit individuel ou politique, pour protéger ces récifs.

L'acidification de l'océan touche le monde entier, on pourra le résoudre depuis Moorea ?
C'est un problème global, mais le contexte local est toujours différent et on peut toujours agir au niveau d'un écosystème particulier. Mais il faut commencer par faire le lien entre les différents acteurs. Il y a beaucoup de recherches qui ont été faites à Moorea sur l'acidification de l'océan, mais le lien avec la société civile n'a pas forcément été fait. Donc on veut créer un réseau de gens pour communiquer les résultats de nos travaux, et on espère qu'il y aura une prise de conscience. On aimerait que la science qui a été faite serve à d'autres que juste la communauté scientifique. Les scientifiques du monde entier lisent nos publications, mais localement l'information ne circule pas forcément alors que c'est très important pour nous.
Discuter avec une diversité de personnes nous permet d’identifier les expériences scientifiques qui peuvent réellement « toucher » les gens. Par exemple un collègue qui étudiait les oursins a découvert que la plupart des gens n’étaient pas forcément concerné par la perte de calcification des oursins. Par contre lorsqu’il a élevé à pH plus acide des crevettes (mets favoris des suédois à Noël) et qu’il les a fait goûter aux habitants, et bien là, les locaux n'ont pas aimé le goût des crevettes élevées dans un environnement acide… Et ça, ça « touche » plus aux gens ! La question est donc, qu’est ce qui peut « toucher » et sensibiliser les gens au problème de l’acidification des océans à Moorea ?

L'expérience se finit en 2020, vous aurez tout ce qu'il vous faut ?
Finalement la fin sera repoussée d'un an, en 2021. Pour la suite, on aimerait ne plus étudier l'acidification seule. On sait qu'avec la hausse des températures et les changements climatiques, il y a beaucoup d'autres stress qui vont affecter les récifs. Donc on va se diriger vers des études sur ces stress multiples où on prendra en compte toutes les différentes perturbations de ces écosystèmes.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Jeudi 24 Octobre 2019 à 16:20 | Lu 6842 fois