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Lafarge en Syrie: l'ex-PDG Bruno Lafont risque à son tour une mise en examen


Paris, France | AFP | vendredi 08/12/2017 - L'état-major parisien de Lafarge pouvait-il ignorer le pacte conclu par sa filiale syrienne avec l'Etat islamique? L'ex-PDG Bruno Lafont et un autre dirigeant ont été présentés vendredi à la justice, au lendemain de la mise en examen de l'ex-directeur général Eric Olsen.

Bruno Lafont, PDG du cimentier Lafarge de 2007 à 2015, et Christian Herrault, ex-directeur général adjoint chargé de la Syrie, ont été conduits au tribunal de grande instance de Paris, a-t-on appris de source judiciaire.
Le parquet de Paris a requis leur mise en examen ainsi que le placement en détention provisoire de Bruno Lafont, et a demandé que Christian Herrault soit soumis à un contrôle judiciaire, a précisé cette source.
Les deux dirigeants avaient été placés en garde à vue mercredi dans les locaux du Service national de douane judiciaire (SNDJ) avec Eric Olsen.
Ce dernier, DRH puis directeur général adjoint du groupe français à l'époque des faits, avant de devenir directeur général après la fusion avec le Suisse Holcim en 2015, a été mis en examen jeudi pour "financement d'une entreprise terroriste" et "mise en danger de la vie d'autrui" et placé sous contrôle judiciaire. Il devra s'acquitter d'une caution de 200.000 euros, a indiqué à l'AFP une source proche du dossier.
L'affaire est hors norme: la filiale syrienne (Lafarge Cement Syria, LCS) du cimentier est mise en cause pour avoir pactisé avec l'EI entre novembre 2013 et septembre 2014 afin de maintenir son usine de Jalabiya (nord du pays) dans une zone de conflit tenue notamment par l'organisation jihadiste.
Elle lui a fait remettre, via un intermédiaire, plus de 500.000 dollars et lui a acheté des matières premières, dont du pétrole, en violation d'un embargo de l'Union européenne, selon un rapport rédigé à la demande de LafargeHolcim par le cabinet américain Baker McKenzie.
 

- Lafont "régulièrement informé"? -

 
Les enquêteurs tentent de déterminer si la direction à Paris était au courant de tels agissements.
Les contradictions entre les trois responsables sont nombreuses.
Christian Herrault, qui a reconnu début 2017 que le groupe avait été victime d'une "économie de racket", a assuré "avoir régulièrement informé Bruno Lafont" et que ce dernier "n'avait émis aucune objection à l'époque", d'après le rapport Baker McKenzie.
Selon ce document, l'ex-directeur adjoint opérationnel a aussi affirmé avoir adressé un courriel à M. Lafont en juillet 2014 pour l'informer que l'usine était à l'arrêt, le temps de trouver un accord "clair" avec l'EI.
Mais l'ex-PDG, entendu en janvier en audition libre par le SNDJ, a démenti avoir eu connaissance de tels faits. "Pour moi, les choses étaient sous contrôle", avait-il affirmé.
Il est aussi reproché à Lafarge de ne pas avoir assuré la sécurité de ses employés syriens, restés seuls sur place alors que la direction de l'usine avait quitté la Syrie et que les expatriés avaient été évacués.
Outre M. Olsen, trois cadres de Lafarge, dont deux ex-directeurs de l'usine, ont été mis en examen dans cette enquête menée au pas de charge par trois juges d'instruction. Placés sous contrôle judiciaire, "ils rejettent la responsabilité de la poursuite de l'activité de la cimenterie sur la maison-mère", d'après une source proche de l'enquête.
Quant à Eric Olsen, il a affirmé en garde à vue, puis devant les juges jeudi, "n'avoir cessé d'alerter les dirigeants opérationnels, notamment M. Herrault, sur la situation dans l'usine, relevant qu'il n'avait pas le pouvoir de la fermer", d'après cette source. Il a démenti avoir eu connaissance de tout versement litigieux. 
"Mon client va former un recours contre sa mise en examen et ne souhaite qu'une chose: que toute la lumière soit faite sur cette affaire le plus vite possible", a déclaré à l'AFP son avocat, Pierre Cornut-Gentille.
Des organisations non gouvernementales, dont Sherpa, partie civile dans ce dossier, souhaitent aussi que les investigations fassent la lumière sur ce que savaient les autorités françaises de l'époque sur les activités de Lafarge en Syrie.


le Vendredi 8 Décembre 2017 à 05:27 | Lu 327 fois