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La goutte touche 25% de la population pour des raisons génétiques


Crédit photo : Greg Boissy.
Crédit photo : Greg Boissy.
Tahiti, le 20 avril 2023 – Le docteur Tristan Pascart a présenté mercredi soir au CHPF les résultats de son étude sur une maladie très répandue en Polynésie, la goutte. Il a notamment révélé que contrairement aux croyances populaires, cette maladie serait due à des mauvaises prédispositions génétiques des peuples du Pacifique et non à une mauvaise alimentation. Au fenua, un quart de la population est atteint de la goutte.
 
En Polynésie et plus globalement chez les populations indigènes du Pacifique, la goutte est une maladie bien plus répandue qu'en métropole ou dans le reste du monde. Pour comprendre les causes de cette très forte prévalence au fenua, une étude sur les facteurs génétiques, environnementaux et sanitaires a été menée en 2021 à travers les différents archipels de Polynésie. Mercredi soir dans l'amphithéâtre du CHPF, le docteur du Groupement des hôpitaux de l'Institut catholique de Lille ayant piloté ce projet, Tristan Pascart, a animé une conférence pour présenter les résultats de son travail. Cette étude a été conduite en collaboration avec le laboratoire américain Variant Bio et la Direction de la santé.
 
Pour rappel, la goutte est une maladie chronique liée à l'augmentation du taux d'acide urique (appelé hyper-uricémie) dans l'organisme. Cet acide, au-dessus d'une certaine concentration, se cristallise et se dépose un peu partout sur les articulations. Ce sont ces cristaux qui vont ainsi provoquer des crises inflammatoires et des gonflements extrêmement douloureux pour les malades.
 
Pour cette étude, un panel de 2 000 foyers polynésiens a été tiré au hasard, à Tahiti, Raiatea, Rangiroa, Nuku Hiva, Mangareva et Rurutu. “On est allé taper à leurs portes, avec mon équipe d'infirmiers, pour leur poser des questions indiscrètes sur leur poids, leur taille. On leur a demandé s'ils avaient la goutte ou non, s'ils avaient des cas de goutte dans leur famille. Mais également s'ils souffraient de problèmes cardio-vasculaires, articulaires... A la fin, on leur a également prélevé un échantillon de sang”, a expliqué le docteur Pascart lors de la présentation de son étude mercredi soir, “au final, on a pu avoir des résultats pondérés et ajustés sur l'ensemble de la Polynésie avec l'échantillon de personnes étudiées”.
 
La génétique avant tout
 
Les résultats de cette étude ont démontré des résultats inquiétants. “C'est un record mondial malheureux” a d'ailleurs commenté Tristan Pascart, puisqu'un quart de la population polynésienne est affecté par la goutte, ce qui représente un homme sur trois et une femme sur sept, “ce sont des chiffres trente fois supérieurs à la métropole. La situation des femmes est la plus impressionnante, car normalement le ratio par rapport aux hommes est de 1/8. Il y a vraiment une surreprésentation de la maladie chez les femmes”. De plus, 71% de la population aurait un taux d'acide urique dans le sang trop élevé, ce qui est la première cause de développement et de l'apparition de la goutte. La moitié des participants ont également déclaré avoir un parent au premier degré atteint de goutte.
 
Si depuis longtemps, on a associé les causes de cette maladie, aussi appelée maladie des rois, à une mauvaise alimentation, elles seraient en fait associées à la génétique. “Le nom goutte est très connoté, car on croit que c'est un problème lié à une mauvaise alimentation ou à surconsommation d'alcool. Alors que non, on sait maintenant que c'est lié à la génétique. Et en Polynésie, elle est pire qu'ailleurs, car il y a des mutations génétiques présentes chez les peuples du Pacifique. Celles-ci font qu'ils retiennent plus que la normale l'acide urique et se retrouvent donc avec des surcharges importantes. On a également mis le doigt sur un gène, à peine connu jusqu'ici, qui serait impliqué dans la régulation des inflammations et qui serait impliqué dans les réactions aux cristaux d'acide urique. En Polynésie, il y a une sur-activation de ce gène, c’est-à-dire que le système immunitaire est donc très réactif à cette maladie”, a détaillé le docteur. Pour lui, il faudrait vraiment en finir avec la mauvaise image de la goutte, d'autant plus que l'alimentation aurait un poids cent fois moins important que la génétique, même si elle n'est pas à négliger non plus, “l'objectif c'est vraiment de changer les mentalités, y compris chez les médecins”. De plus, l'étude révèle également que la goutte est très souvent associée au diabète puisque 50% des “goutteuses” et 19% des “goutteux” sont diabétiques.
 
Un traitement simple et efficace
 
Si on sait désormais que la maladie est liée à la génétique, comment peut-on faire pour améliorer les soins pour les malades. “La prise en charge est vraiment très simple et codifiée”, a expliqué Tristan Pascart, “elle se base sur deux grands principes, contrôler l'inflammation lors des crises et dissoudre les stocks de cristaux accumulés dans les tissus. Plus on baisse l'uricémie, plus on dissout les cristaux et dès lors il n'y a plus de risque de crise”. Pour cela, un médicament-phare : l'allopurinol. “Le problème avec ce traitement, c'est qu'il y a une grosse crainte au niveau des allergies dont les réactions sont très graves et sévères. C'est pour ça qu'il est peu utilisé, seulement 34% des malades sont traités avec ce médicament. Et même quand il est utilisé, il est trop peu dosé pour atteindre une bonne dose d'uricémie. Heureusement, on a découvert pendant l'étude que l'haplotype HLAB58 qui est susceptible de provoquer cette réaction est absent chez les Polynésiens. Donc l'allopurinol doit être en première ligne pour soigner les malades. En plus c'est un traitement peu coûteux, c'est 250 Fcfp par mois” a-t-il également précisé. À noter que le traitement doit se prendre à vie et que lors de l'apparition de crise, le docteur Pascart recommande la prise de colchicine pour endiguer l'inflammation. Actuellement, moins de 5% des participants à l'étude souffrant de la goutte reçoivent un traitement à une dose appropriée. A la suite de cette étude, des campagnes de sensibilisation à l'intention des prestataires de soins et du grand public sont déjà en cours d'instauration. Toujours grâce aux résultats obtenus par le docteur Pascart et son équipe, des chercheurs sont en train de déterminer si de nouveaux traitements peuvent être mis au point, ou non, à partir des variantes génétiques des Polynésiens.
 

Le docteur Tristan Pascart qui a mené cette étude sur la goutte en Polynésie. Crédit photo : Thibault Segalard.
Le docteur Tristan Pascart qui a mené cette étude sur la goutte en Polynésie. Crédit photo : Thibault Segalard.

Rédigé par Thibault Segalard le Jeudi 20 Avril 2023 à 17:36 | Lu 3225 fois