Tahiti Infos

La galère des résidents de Hauone


Les habitants des hauteurs portent leurs courses à bout de bras ou sur le dos (Crédit : Anne-Charlotte Lehartel).
Les habitants des hauteurs portent leurs courses à bout de bras ou sur le dos (Crédit : Anne-Charlotte Lehartel).
Tahiti, le 23 septembre 2025 – Faire les courses, aller à l’école ou au travail, recevoir les services de secours, évacuer les déchets, suivre un traitement médical : sur les hauteurs de Hauone à Toahotu, “tout est compliqué”. La faute à une partie du chemin d’accès non carrossable sur fond de conflit foncier, obligeant une quinzaine de familles à monter et à descendre à pied par tous les temps. Face à la détresse des habitants qui s’éternise malgré des tentatives de conciliation, la commune de Taiarapu-Ouest envisage un nouveau tracé au départ d’un terrain municipal, mais le projet est freiné par des revendications foncières.  

 
“Tout est compliqué”. Pour la quinzaine de familles qui résident sur les hauteurs de Hauone, au PK 6,300 de Toahotu, le quotidien est entravé par une partie de la servitude privée impraticable en voiture ou en scooter. Cette situation, due à un différend foncier de longue date, transforme chaque trajet en épreuve à raison de 15 à 20 minutes de marche sur une pente abrupte et cabossée pour rejoindre leurs maisons ou la route principale.
 
À l’origine d’une pétition qui avait récolté une quarantaine de signatures il y a environ deux ans, Manua Tamati partage son désarroi : “Nous avons beaucoup de contraintes pour accéder à nos foyers, pour remonter nos courses et nos affaires ou pour aller au travail. Quand il pleut, ça me prend plus de temps, je me salis et je prends le risque de tomber et de me blesser. En cas d’urgence, les pompiers sont obligés de monter à pied, ou pire : c’est aux patients de descendre. Ce n’est pas normal !”

​“Je suis tombée plusieurs fois”


Dernièrement, Mélissa Garbutt, mère de deux enfants en bas-âge, a poussé “un coup de fiu” sur les réseaux sociaux. “Même enceinte, je faisais la montée. Le dernier jour, je suis descendue à pied pour aller accoucher au Taaone. Je suis tombée plusieurs fois en portant mon aîné. Les rendez-vous médicaux, ce n’est pas évident, mais maintenant c’est l’école tous les jours ! On a prévenu la maîtresse : si le temps est trop mauvais, on risque d’arriver en retard ou de ne pas emmener les enfants”, confie-t-elle, aussi inquiète pour l’avenir. “Mes beaux-parents ont la cinquantaine, donc comment on va faire dans 10 ou 20 ans ?”
 
Tous évitent les sorties nocturnes : exit la spontanéité des dîners à la roulotte ou des invitations en soirée. Les foyers sont raccordés au réseau électrique, mais pas au réseau d’eau. Plusieurs d’entre eux partagent donc un bassin, mais il serait régulièrement à sec. La collecte des ordures est impossible : si certains font l’effort de descendre leurs déchets, d’autres les brûlent ou les enterrent.
 
Certaines familles ont renoncé momentanément à leur habitation, comme Stéphanie Faaito, hébergée chez ses beaux-parents pour assurer une scolarité sereine à sa fille handicapée : “On ne rentre chez nous que le week-end et pendant les vacances. Ce n’est pas l’idéal, mais on n’a pas vraiment le choix.” Une décision douloureuse pour Maite Brothers, qui lutte contre le cancer depuis 2019. “Après ma tyroïde, tout a basculé avec mon cancer du sein qui s’est métastasé dans le cerveau. J’ai fait huit mois de chimiothérapie : j’étais épuisée et la remontée était vraiment difficile. En 2021, j’ai dû louer une maison à Taravao pour ma santé. Ce sont des frais supplémentaires ! Je me bats contre la maladie et pour cette route pour pouvoir rentrer chez moi. C’est un endroit paisible qui me manque”, explique-t-elle.


​La commune sollicitée


Auparavant, un droit de passage sur un autre chemin privé via Puunui offrait une alternative à la circulation des véhicules, mais des abus ont contraint les propriétaires à fermer l’accès. Côté Hauone, quelques vieux 4x4 subsistent pour faciliter la remontée entre les foyers et la portion de chemin non carrossable, tandis que la plupart des voitures restent stationnées en contrebas du quartier. “Tout ce qu’on demande, c’est de pouvoir monter en voiture et se garer chez nous, comme tout monde. On est ici parce qu’on n’a pas d’autre terre”, déplore Mélissa Garbutt. En 20 ans, Yasmina Punua a sollicité pas moins de quatre maires pour “faire en sorte que nos enfants puissent rentrer et sortir en sécurité”. Aujourd’hui, la résidente de 55 ans reconnaît avoir “perdu espoir”.
 
La municipalité de Taiarapu-Ouest a tenté de résoudre ce conflit privé à l’amiable, en vain. Une perspective de solution passerait par le tracé d’un nouveau chemin via un terrain communal, mais des revendications foncières freinent le projet. “L’affaire est en cours”, nous a-t-on indiqué du côté de la mairie, qui a pris l’attache d’une avocate pour faire avancer ce dossier juridiquement complexe dans l’optique d’aboutir à une déclaration d’utilité publique. Dans le meilleur des cas, une issue ne devrait pas être trouvée avant plusieurs mois, voire plusieurs années. 

Rédigé par Anne-Charlotte Lehartel le Mardi 23 Septembre 2025 à 17:52 | Lu 3870 fois