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John Mairai, chevalier du reo tahiti


John Mairai - Crédit : CAPF
John Mairai - Crédit : CAPF
TAHITI, le 20 octobre 2021 - Décoré de la médaille de chevalier dans l’Ordre des arts et des lettres en juin, John Tapu Mairai poursuit sa route au Conservatoire artistique de Polynésie française et à la télévision. Il annonce l’ouverture d’une classe de reo tahiti et… une exposition. Peintre, John Tapu Mairai veut combler le vide laissé par son infidélité à cet art qu’il affectionne pourtant depuis longtemps.

La nouveauté c’est l’ouverture d’une classe de reo tahiti au conservatoire”, décrit John Tapu Mairai. Elle démarrera en novembre, s’adressera aux “gens qui ont déjà des notions et qui veulent s’améliorer” et durera 15 semaines. Les cours seront donnés à bon rythme à raison de 3 heures par semaine afin que cela soit plus “percutant” et “rentable” pour les élèves. Sans cela, ils oublient d’un cours à l’autre. Ce cours, “costaud”, s’appuiera sur une méthode de diction. L’oral primera. Les participants progresseront à coup sûr, à condition qu’ils travaillent et qu’ils ne se contentent pas d’écouter leur professeur.

John Tapu Mairai est un incontournable du monde artistique et culturel polynésien. Il a reçu à l’issue du Gala du conservatoire en juin dernier, la médaille de chevalier dans l’Ordre des arts et des lettres. Laquelle lui a été remise par le haut-commissaire Dominique Sorain. Ce même mois de juin, il a été élu à l’Académie tahitienne.

Grand érudit, défenseur de la langue tahitienne, il participe à la diffusion de sa culture. Homme de théâtre, acteur, metteur en scène, orateur, auteur, enseignant, il manie les langues et les arts. Ce que le public sait moins, c’est que John Tapu Mairai a été également capitaine de grand cabotage et qu’il peint en toute discrétion des toiles à la “Pollock”. Comme l’artiste américain, il fait de l’expressionnisme abstrait “mais en moins bien que lui, tout de même”.

Vie aux Tuamotu

Les ancêtres de John Tapu Mairai sont des Tuamotu. Lui est né à Papeete en 1945. “Et puis j’ai été adopté par un Tahitien qui vivait aux Tuamotu.” Un homme qui parlait sa langue, excellent orateur. Jusqu’à l’âge de 7 ans il a grandi à Mataiva, immergé dans la langue et la culture. Il est “descendu” à Tahiti pour aller à l’école où il a appris le français. Il étudiait au lycée Gauguin. Cette langue qu’il considère aujourd’hui comme une “seconde langue maternelle” est restée difficile jusqu’à ses 15 ans. “Jusqu’à un déclic que j’ai eu grâce à un professeur. Il m’a fait aimer, de manière impromptue, Baudelaire. Je trouvais les textes du poète très beaux, même si je ne comprenais pas tout.”

Après le lycée, il a passé deux années aux États-Unis où il a étudié les beaux-arts. Son père, pasteur dans une église sœur des Mormons avait la possibilité comme d’autres de son église d’envoyer ses enfants dans une université américaine. John Tapu Mairai a été placé dans la filière business administration. “J’y suis resté quelques jours seulement car je ne comprenais rien, je ne parlais pas encore anglais.” Le conseiller de l’établissement lui a proposé de choisir une matière dans laquelle il se sentais à l’aise pour pouvoir se concentrer sur l’apprentissage de la langue. Il peignait avant d’arriver et a donc choisi les beaux-arts. “Je peignais comme un Polynésien, les cocotiers, la mer, le lagon, les vahine.

Une exposition de peinture avant 2023

En trois mois, il maîtrisait l’anglais tandis que sa peinture évoluait. “Plus j’avançais et plus je synthétisais, j’allais vers l’abstraction.” L’un de ses amis, découvrant son travail, l’a invité à voir une exposition en cours, non loin. Il s’agissait de celle de Jackson Pollock. “Je suis resté une heure, scotché devant un tableau sans pouvoir bouger, incapable de parler”, se rappelle -t-il. Il a été touché par l’expressionisme abstrait de l’Américain. Il le reste aujourd’hui encore, même s’il n’a pas développé cette activité. “Cela reste un grand trou dans ma vie.” Mais il entend bien le combler sous peu, au plus tôt l’année prochaine, au plus tard en 2023. Il promet une exposition. Les toiles, rarement colorées, sont sombres, tragiques. “C’est que je ne suis pas un rigolo tout le temps.”

De la mer au théâtre

À son retour en Polynésie, il s’est engagé dans la marine marchande et a obtenu en 1982 le diplôme de capitaine au grand cabotage. Il s’est inscrit dans la grande tradition maritime des Polynésiens. Il a répondu à l’appel de Henri Hiro après plusieurs mois de navigation, quittant à regret son poste à bord. L’ambiance au sein de la société de navigation n’était plus tenable.

Il a donc intégré à cette époque l’Office territorial d’action culturelle (Otac), la future Maison de la culture de Tahiti. En 1988, il est devenu chef du Département recherche et création. Il a fondé Teata Maruao - le théâtre de l’aube, a produit plusieurs pièces devenant l’un des pionniers du théâtre en langue tahitienne. Il a écrit, joué, mis en scène, adapté différents textes, introduisant le théâtre classique dans la culture polynésienne. Il a traduit Macbeth de Shakespeare en tahitien (Maro Putoto, en 1989), signé des comédies comme Punu (le Faussaire en 1983), adapté le Bourgeois gentilhomme (Tane Te Panu, 1992). Il a également écrit des pièces de théâtre sur des thèmes dérivés de l'histoire tahitienne. Dans la pièce “Opuhara”, il traite de la bataille entre la société polynésienne traditionnelle et les nouveaux magistrats soutenus par des missionnaires européens au début des années 1800.

Il a été plus tard journaliste sportif, chroniqueur du Heiva pour le journal Les Nouvelles, rédacteur en chef du journal du gouvernement entre 1999 et 2004. Un poste en or “car j’avais 24 pages à moi, j’écrivais ce que je voulais !” Depuis il travaille pour lui, “je suis patenté”, dit-il.

John Tapu Mairai été plusieurs fois lauréats, reconnu comme meilleur auteur pour les différents groupes et troupes de danses traditionnelles pour lesquels il a écrit de remarquables histoires.

Il enseigne la culture générale et le ‘Orero au Conservatoire artistique de Polynésie française depuis 2004, “cette enveloppe poétique pour faire passer des messages”. Il anime deux émissions sur TNTV : Faatiamai (un rendez-vous hebdomadaire d’histoires, de contes et de légendes. Accessible à tous, l'émission est en langue tahitienne sous-titrée en français) et Parau Tahiti (une émission qui donne des clés pour apprendre le reo tahiti).

Il tient à transmettre son savoir et encourage les Polynésiens à retrouver leur langue. Il ne lésine pas sur les efforts, et sur tous les fronts “même si je suis attristé par la situation”. Selon lui, deux générations au moins ne parlent pas le tahitien. Il admet observer un regain d’intérêt pour la culture, “mais cela se fait encore et toujours à travers la langue française. C’est comme si je voulais apprendre la culture britannique par l’intermédiaire du français !

En attendant son exposition, il aimerait reprendre sa plume. “J’ai l’intention de refaire du théâtre.” Trente ans plus tard, il veut reprendre sa comédie en quatre actes intitulée Eita ia, le refus. La situation a changé, il aimerait en parler. Comme tant d’autres choses. L’auteur-professeur n’a pas dit son dernier mot.


Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 20 Octobre 2021 à 18:31 | Lu 1871 fois