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“Je n’ai rien à me reprocher”, clame le prévenu mis en cause pour agression sexuelle


Tahiti, le 6 mai 2025 - Ce mardi, un homme était jugé en correctionnel pour agression sexuelle imposée à un mineur de moins de 15 ans. Les faits remontent à 2006, ils ont eu lieu à Moorea. Mais il a fallu près de 20 ans pour que la parole se libère puis que l’instruction se fasse. Le prévenu a été condamné à 5 ans d’emprisonnement assortis de quatre ans de sursis probatoire.
 
C’est une famille soudée et émue qui a pris place mardi matin au tribunal. Résidant en métropole, trois filles et leurs parents avaient fait le déplacement pour témoigner. À la barre, leurs mots ont été posés et audibles, mais entrecoupés de silences pesés et de larmes visiblement sincères.
 
En 2006, l’année des faits, la famille vivait à Moorea. Les filles étaient alors âgées de six ans, huit ans et onze ans. Les parents, en mars, s’étaient envolés pour le Japon, laissant leurs enfants à des adultes de confiance dont le prévenu jugé ce mardi en correctionnelle pour agression sexuelle imposée à un mineur de moins de 15 ans. “C’était un homme qui était venu plusieurs fois en week-end à la maison”, a justifié le père. “Ce sont souvent des personnes insoupçonnables qui sont responsables de ce genre de faits”, a commenté le président.
 
Au retour de voyage, le prévenu aurait été au-devant du père pour faire un point sur les jours passés en insistant sur le fait que l’aînée n’avait pas été à la hauteur, ne s’était pas bien occupés de ses deux sœurs. Le père dira plus tard, “avant même que je ne n’entre en contact avec mes filles, elles avaient été dénigrées”. Pour la procureure, le prévenu a “fermé la porte aux dénonciations des enfants”, il leur a “cousu la bouche”.
 
“Je ne suis pas un pédophile”
 
Le prévenu s’est avancé, le président a rappelé les faits. En résumé, en l’absence des parents, l’homme aurait caressé, pénétré digitalement, léché le sexe des jeunes filles. Chacune ayant subi des agressions différentes. L’aînée aurait même quitté la maison une demi-journée pour se réfugier dans une forêt voisine. Une décision qui ne lui ressemblait pas.
 
Le prévenu : “Je ne comprends pas”, “J’ai tout analysé, je n’ai rien trouvé, je ne suis pas un détraqué, pas un pédophile, pas quelqu’un de déviant”. Le président : “Mais les jeunes filles ont décrit des choses très précises, circonstanciées. Elles n’en ont pas rajouté et ne se sont pas contredites”. Le prévenu : “Mais je n’ai rien fait ! Je n’ai que ma parole. Les scènes n’ont jamais eu lieu.”
 
La famille a déménagé au Canada, où l’une des jeunes filles a évoqué l’agression qu’elle avait subie à son père de manière anodine, un jour, en voiture. “Il ne m’a pas crue”, a-t-elle rapporté à la barre. Elle a écrit une lettre, des mois après. Plus tard, en 2016, une autre des filles, encouragée par son premier petit ami à qui elle s’était livrée, a appelé l’une de ses sœurs. La parole petit à petit s’est libérée. La sororie a verbalisé les faits et pris conscience des maux qu’elles vivaient chacune de leur côté sans jamais les avoir dévoilés. Bousculés, les parents ont découvert l’affaire lors d’une réunion de famille organisée à cette intention. “On y a cru tout de suite”, ont-ils assuré. “Ils ont été d’un grand soutien”, ont affirmé les trois filles. “Tout cela ne ressemble pas à de la machination”, a noté le président. “Elles ont eu tout le temps d’y penser”, a répondu le prévenu.
 
Une plainte a été déposé, une instruction a été ouverte. Le procès a eu lieu ce mardi au tribunal correctionnel de Papeete. “Nous savons qu’il ne changera rien à ce qui a été fait, nous n’attendons pas de cette procédure qu’elle nous reconstruise, mais nous ne voulons pas que cela se reproduise pour d’autres”, ont annoncé les filles précisant que le prévenu était professeur et qu’il était donc en contact avec des enfants.
 
Aujourd’hui, “je vais mieux, il n’y a plus d’impacts sur ma vie professionnelle, ni amicale, et l’impact sur ma vie amoureuse est moins fort”, a conclu l’une des filles. Suivie par plusieurs psychologues depuis 2019, sa sœur a expliqué que “au niveau de ma sexualité, ça va mieux, je somatise moins”. Mais, “j’ai toujours des troubles du comportement alimentaire, en particulier en période de stress”, elle souffre de boulimie et d’anorexie. La dernière a évoqué l’ouverture globale de la société au sujet des agressions sexuelles. “Sans cela je n’en aurais peut-être pas parlé. Je m’étais promis d’emporter ce secret dans ma tombe.” Alors qu’elle envisage d’être maman, elle reste traumatisée. “Dès que je vois un enfant sur une plage, dans un parc, je pense à ça.”
 
“Vous êtes responsables de vos actes”
 
Les expertises de psychiatre et psychologue ont relevé chez les filles “une bonne compréhension”, “pas de tendance à la dramatisation”, “pas de recherche de séduction ou d’affabulation”. Elles ont mentionné une “insécurité affective”. Les expertises du prévenu montrent qu’il n’a “pas d’anomalie mentale ou psychique”, mais “une tendance à la pédophilie”, ses responsabilités pénales ne sont pas atténuées. “Vous êtes responsables de vos actes”, a insisté le président. “Je n’ai rien à me reprocher !” a clamé le prévenu.
 
Pour l’avocate des victimes, ce procès “n’efface rien” tandis que pour leurs parents “le poids de la culpabilité n’a pas éclaté après que les faits ont été dénoncés”. Dans sa plaidoirie, elle a insisté sur la constance des déclarations de ses clientes, sur leur courage. Elle a balayé l’ensemble des hypothèses du prévenu pour qui la dénonciation est un moyen de se reconstruire et de se positionner au sein de la famille, de reconquérir l’amour paternel.
 
La procureure a rejoint les observations de l’avocate. “Vous avez suffisamment d’éléments qui prouvent la culpabilité : nous sommes face à un cas d’agression sexuelle aggravée”. S’il n’y a pas, dans cette affaire, de preuves physiologiques puisque les faits remontent à trop longtemps, “les traces psychologiques sont là”, et “elles ont été objectivées par des professionnels experts en leur domaine”. Elle a requis quatre ans d’emprisonnement dont 3 assortis d’un sursis probatoire, une interdiction de revoir les victimes, une obligation de soin et une interdiction définitive d’exercer une activité auprès de mineurs.
 
“Les victimes sont toujours excessives”
 
L’avocat de la défense a, pour sa part, cherché à semer le doute. “Il n’y a rien”, a-t-il répété. “Si on appliquait le droit, mon client devrait bénéficier du doute, car nous n’avons la preuve de rien. Cette accusation est un peu branlante. N’oublions pas les grands principes de la justice. Ce dossier n’a rien sur lequel fonder une culpabilité.” Les conclusions des experts, selon lui, n’ont qu’une valeur “restreinte” alors que “les victimes sont toujours excessives”. Il a tenté d’évacuer “les biais humains” et mis en garde contre “la sensibilité de chacun conduisant à l’empathie”. Le prévenu “n’a rien fait” et “dans le dossier vous trouverez une succession d’incohérences”.
 
Le tribunal, finalement, a condamné le prévenu à cinq ans d’emprisonnement dont quatre assorties de sursis probatoire, obligation de soin, interdiction d’exercer de manière professionnelle ou associative auprès des enfants et obligation de s’inscrire au fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes.

Rédigé par Delphine Barrais le Mardi 6 Mai 2025 à 19:32 | Lu 2397 fois