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Henri Hiro, feu la lumière


Henri Hiro, feu la lumière
Tahiti, le 9 mars 2020 – Un des grands phares de la culture tahitienne s’éteignait il y a trente ans. Henri Hiro, artiste et “héros polynésien”, poète et dramaturge, cinéaste et libre penseur, a laissé un vide dans le cœur de ceux qui l’ont côtoyé ou simplement connu. Après trois décennies, sa flamme brûle encore.

Le 10 mars 1990, il y a trente ans jour pour jour, le fenua perdait un de ses grands hommes et le monde culturel entamait son deuil dont il peine encore à sortir. Henri Hiro, ce "héros polynésien", considéré comme le "pionnier de la poésie et du théâtre polynésien" a rejoint Rohotu No'ano'a (l’équivalent du paradis, ndlr), depuis Huahine, après s'être battu contre la maladie. Cet “homme complet”, qui a insufflé le renouveau culturel et qui s'est investi toute sa vie pour la sauvegarde de la culture et de l’identité polynésienne,  a laissé un riche héritage aux jeunes générations, à travers ses œuvres cinématographiques, poétiques, et plusieurs écrits.

Henri Hiro avait suivi des études de théologie en métropole avant de revenir licencié au fenua en 1972. Deux ans plus tard, avait pris les rênes de Te Fare Tauhiti Nui, puis du département recherche et création de l'Office territorial d'action culturelle (Otac). Il a été le “fer de lance” du renouveau culturel au fenua et de la reconnaissance de son patrimoine. “Cet homme d’exception, au destin peu ordinaire, a influencé les esprits de nombre d’acteurs culturels polynésiens et les inspire encore aujourd’hui”. Henri Hiro était également engagé dans la protection de l'environnement et contre les essais nucléaires, n’hésitant pas à lancer aux représentants du gouvernement français cette désormais célèbre sentence : “Si tu étais venu chez nous, nous t'aurions accueilli à bras ouverts. Mais tu es venu ici chez toi, et on ne sait comment t'accueillir chez toi.”
 
Ce soir, le conservatoire célèbre les trente ans de la disparition de Henri Hiro. L'occasion de voir ou revoir quelques-unes de ses œuvres. Cette commémoration a aussi été l'occasion de rencontrer sa famille, Do Carlson et leurs enfants, jusque-là restée discrète, pour tenter savoir comme était le héros dans l’intimité.

Do Carlson, sa compagne : “Tout ce que Henri écrivait, il le vivait”

Henri Hiro nous a quittés il y a trente ans. Que vous inspire cette commémoration ?

“Les générations d'aujourd'hui ne connaissent pas vraiment son engagement, ses discours, sa parole. Si cette commémoration peut amener un espoir, un changement dans la mentalité, dans la façon de voir les choses, alors c'est une bonne chose (…). On est noyé dans une société de surconsommation. Les gens sont perdus, on ne pense qu'à vivre, gagner de l'argent, survivre et on n'a pas une vision sereine. On remet très difficilement les choses en question, on est embarqué dans un flot qui nous mène loin de ce qu'on était et ce qu'on devrait être”.
 
Qu'est-ce qui vous a attiré chez Henri Hiro ?

“C'est cette puissance, ce magnétisme qu'il dégageait et surtout cette force convaincante, c'était vraiment subjuguant. Et le fait qu'il t'intéresse tout de suite par ses idées, il ne va pas te parler d'un petit truc banal. Il était là pour faire des choses pour le nunaa, pour le Pays et n'attendait rien en retour. Il a donné sans vouloir récupérer quoi que ce soit d'un point de vue individuel.”
 
Comment se comportait-il avec ses enfants ?

“C’était un papa un petit peu sévère vis-à-vis de ses enfants. Il voulait les imprégner de leur culture, il  ne leur parlait qu’en tahitien, il était assez strict par rapport à la langue. On ne va pas prêcher les bonnes paroles et ne pas les mettre en pratique. Il était profondément convaincu que la langue est LE vecteur de valeurs. Il voulait que ses enfants parlent tahitien. Il ne leur donnait que du maa Tahiti, c’était un petit peu difficile pour les gosses à trois ans de manger du “fafaru”.”

Et avec vous ?

“En tant que mari il était cool (…). C'est sûr qu'il était très pris dans ses convictions, dans ses engagements et donc d'être à ses côtés, je trouvais ça très chouette. On partageait un certain nombre de choses, les mêmes points de vue. Il avait un caractère assez affirmé. Par exemple quand il était fâché avec un ami, c’était dur pour moi de le refaire rentrer dans la famille jusqu’à ce que lui-même change d’avis.”

Il était dans la vie comme dans le travail…

“Tout ce qu'Henri écrivait et disait, il le vivait, il le mettait en pratique. C'était un homme de la parole vraie. Il ne vivait pas pour la galerie mais c'était profondément ancré en lui. Quand on est parti à Huahine c'était pour être en famille, mais aussi pour montrer que ce mode de vie n'est pas une utopie. Ce qu'il disait était toujours dirigé pour le bien de son nunaa et non pour les classes privilégiées. Lorsqu'il menait des combats, ce n’était pas dans son propre intérêt. Il n'avait pas d'arrière-pensée de réussite quelconque. Quand il est mort il avait juste son pareu, son tricot, sa rame et sa tronçonneuse comme biens matériels. Chose que je trouve admirable. Car il n’avait pas d’ambition personnelle derrière ce qu’il faisait. A l'époque, la lutte anti-nucléaire était un combat très puissant qui demandait beaucoup de courage, de conviction. C’était pratiquement un pestiféré (…). Je suis contente qu’il ait ouvert cette porte.  Aujourd’hui les fruits sont là et la nouvelle génération poursuit ce combat-là (…). La vérité va arriver pas à pas. C’est quelque chose qui est ancré maintenant et les gens n'ont plus peur d'agir, et de dire les choses. Je pense qu'il a libéré certaines choses de ce côté là. Actuellement il n’y a pas d'autre Henri Hiro, cela ne veut pas dire qu'un jour ne se lèvera pas un autre Henri Hiro (…). Dans tous les peuples, un jour ou l’autre un héros fini par se lever”.

Hitihiti Temaramaatea a Hiro, sa petite dernière : “Sa disparition a laissé un très grand vide”

“Il m'appelait son flamboyant. Je ne l'ai pas connu très longtemps. J'avais six ans lorsqu'il est parti. Par contre (…) j'ai beaucoup de souvenirs (…). Je raconte souvent un de mes souvenirs préférés. On était dans notre ancienne maison, dans notre fare potee et il avait mis le disque de Halliday, la chanson qu'il avait écrite pour sa fille Laura. Je me souviens qu’il m'a prise dans ses bras. On a dansé, dansé dans tout le fare potee et on chantait (…). J’ai adoré ce moment et cela a été le moment le plus précieux.
Je pense que c'est l'absence d'un père qui me manque le plus. Sa disparition a laissé un très grand vide. On a eu du mal à s'en remettre. Avec ma mère on n'avait plus le guide. Cela a créé un énorme abysse au fond de chacun de nous. Après, on a plus ou moins réussi à se réparer, mais l'absence d'un père tel qu'il était a créé beaucoup de néant dans la famille”.

Hani Hiro, sa fille : “Il n'y a plus beaucoup qui ont cette force”

"Je le trouvais courageux car il était pratiquement tout seul (…). Cela n'existe plus les gens comme cela. Il n'y a plus beaucoup qui ont cette force. Mon papa me manque… j'ai toujours encore plein d'émotions quand on en parle”.

Claude Carlson, sa belle-soeur : “C'est lui qui a démocratisé le mot indépendance”

"Il vivait sa culture, son amour pour sa terre, pour sa culture, pour son Pays, son nunaa, ce n'est pas du cinéma. A cette époque, on s'habillait en pareu, on était pied nu avec un panier ni’au, ce n'était pas très bien vu, on avait plutôt une mauvaise réputation, on nous regardait de travers. (…). Henri je le vois surtout torse nu avec son pareu. Quand on allait au restaurant, il n'était pas toujours accepté. On lui demandait de s'habiller. Il leur répondait que le Tahitien est torse nu car il n'a rien à cacher, alors que le popaa sous sa chemise cachait son pistolet ou son arme. Il avait le cœur ouvert,  rien à cacher, il était entier. La jeunesse est perdue aujourd'hui et s'oriente vers des choses complètement superficielles, futiles et dangereuses même. Ils ont besoin de personnalités comme Henri Hiro à qui s'identifier. C'est lui qui a démocratisé le mot indépendance. A l'époque, on ne prononçait même pas ce mot car c'était carrément tabu. Je me souviens que quand il y avait le fare ahimaa, il passait de longues heures avec Oscar Temaru et Turo Raapoto à philosopher autour du feu. C'est sûr qu'il est assez irremplaçable, c'était un vrai leader, capable de faire avancer les idées. C'est ce qui manque aujourd'hui.”

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun le Lundi 9 Mars 2020 à 18:16 | Lu 3380 fois