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Foot et droits TV: vers la fin du mirage Mediapro?


Paris, France | AFP | jeudi 15/10/2020 - La fragilité du modèle de Mediapro a rattrapé le groupe sino-espagnol, diffuseur principal de la Ligue 1 lancé dans un bras de fer avec le football français pour renégocier ses droits TV. 

Une situation qui sème le doute sur son implantation durable en France.

La Ligue de football professionnel (LFP) paie sans doute aujourd'hui de n'avoir pas écouté les nombreuses voix qui avaient dès mai 2018 pointé les dangers que pouvaient représenter ce deal record de plus de 800 millions d'euros par an pour la Ligue 1, soulignant l'impossibilité de rentabiliser un tel investissement. 

Il suffit de réécouter les propos visionnaires du patron de Canal+ Maxime Saada, au lendemain de l'appel d'offres perdu par sa chaîne, diffuseur historique de la L1 pendant 34 ans.

"C'était impossible pour nous de miser ces sommes et je crois que c'est impossible pour un quelconque acteur de miser ces sommes", avait-il résumé sur Europe 1. "Pour les rentabiliser, il faudrait à peu près 7 millions d'abonnés à 15 euros par mois (...). Je ne vois pas comment un acteur peut rentabiliser ça." 

Des propos qui prennent un sens particulièrement aigu aujourd'hui.

"Ils ont parié. Ils ont perdu"

Selon Le Canard Enchaîné, le groupe sino-espagnol, dont l'offre basique s'élève à 25 euros par mois, n'aurait attiré que 278.000 abonnés après deux mois de compétition. "Un chiffre très en deçà de ce qu'ils avaient certainement prévu", estime une source proche du dossier. La faute, sans doute, au contexte Covid, et à ces stades quasi-vides. Mais pas que. 

Il suffit de se pencher sur le cas de BeIn sports: avec un abonnement à 15 euros par mois, le groupe qatarien a mis 7 ans pour parvenir à glaner un peu plus de 3 millions d'abonnés en France, pour une perte sèche de 1,4 milliards d'euros selon Libération.

"Mediapro, leur modèle initial, c'était d'acheter les droits très cher et de les revendre avec une plus-value, en spéculant sur une hausse en France du marché et de la concurrence. Ils ont parié, ils ont perdu", résume Pierre Maes, consultant, et auteur du livre "Business des droits TV du foot".

Dès le début aussi, certains avaient émis des doutes sur la solidité financière du groupe détenu à près de 53% par un fonds d'investissement chinois, Orient Hontai Capital. 

Juste avant d'obtenir les droits de la L1, le consortium, faute de garanties financières, s'était fait écarter de la course aux droits TV en Italie. La LFP s'était d'ailleurs accommodée d'une absence de garantie financière en se contentant d'une caution solidaire de son actionnaire principal. Un choix qui semble aujourd'hui bien trop audacieux.

Fin avril, l'agence de notation financière Moody's a dégradé la note de la holding propriétaire du groupe, Joye Media, à B3 contre B1 auparavant, ce qui correspond à un "haut risque" de non remboursement ou de retard dans les remboursements de crédits.

"Catastrophe industrielle" 

"Il y a un problème de liquidité. On sous-estime l'importance du fait que le modèle économique initial n'était pas jouable", estime Arnaud Simon, ancien patron d'Eurosport France, consultant en stratégie digitale. "Ils se sont retrouvés obligés de lancer leur chaîne (Téléfoot) sur un modèle intenable et cela se termine en catastrophe industrielle." 

Et l'image internationale de Mediapro pourrait être durablement entachée: "Quel autre pays voire l'UEFA va accorder du crédit à un groupe qui fait ça? Aucun", analyse Virgile Caillet, délégué général de l'Union Sport et Cycles.

Autre conséquence: quel amateur de foot va se risquer dans les prochaines semaines ou dans les prochains mois à prendre un abonnement à Téléfoot vu l'incertitude générée par l'attitude du groupe sino-espagnol?

"Il n'y a que des perdants dans cette affaire, sauf le nouvel opérateur qui risque de récupérer les droits si le clash se poursuit", anticipe Virgile Caillet.

D'ailleurs, si son bras de fer avec la LFP tourne court, Mediapro devrait sans doute "se tourner vers les acheteurs de programme potentiels" pour tenter de revendre les droits, a déclaré à l'AFP une source proche du dossier, qui juge que pour l'instant, un diffuseur comme Canal+ "n'a pas intérêt à sortir du bois".

Selon cette source, le lot de Mediapro (8 matches de L1 par journée) n'intéresse pas Canal+ dans sa globalité, mais doit être découpé en prenant en compte l'importance de chaque affiche et les accords de licence déjà passés avec BeIn, qui avait revendu à Canal+ son lot de deux affiches de L1 par journée.

le Jeudi 15 Octobre 2020 à 14:10 | Lu 193 fois