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Fin des liaisons aériennes : le tourisme en berne à Ua Pou


Marquises, le 3 juin 2020 - C’est à un double défi que se trouve aujourd’hui confrontée l’île de Ua Pou, aux Iles Marquises, à l’heure où elle subit une fois de plus une interruption des liaisons aériennes commerciales effectuées par la compagnie Air Tahiti, elle-même en difficulté à cause de la crise sanitaire du Covid-19.
 
"J'ai pensé arrêter" confie Dany, propriétaire et gérant de la Pension Hakamoui Plage, qui accueille depuis 2012, dans ses quatre bungalows, des clients venant principalement de métropole, des Etats-Unis, du Brésil et du Japon. "Surtout quand j’ai vu ce que la crise a fait, même à de grands hôtels, comme à Moorea. Mais j’essaie de maintenir le tout pour mon fils, qui est encore jeune. Les derniers séjours datent de fin janvier et tous ont commencé à annuler leur voyage en février, quand la crise du Covid a pris de l’ampleur dans le monde", explique-t-il calmement.
Et s’il y a eu une lueur d’espoir, à la réouverture des liaisons aériennes inter-îles, l’euphorie est vite retombée à l’annonce de l’arrêt de la ligne commerciale Tahiti-Ua-Pou.

IL Y A ENCORE DE L'ESPOIR

"Au moment de la réouverture des vols inter-îles, des clients locaux de Tahiti ont voulu faire une réservation. Je leur ai dit de bien s’assurer qu’il y ait des vols, car de mon côté, je ne peux rien leur garantir. Les agences de voyages avec qui je travaille à Tahiti n’ont pas encore annulé les séjours réservés depuis l’international à partir de septembre, donc il y a de l’espoir. Tout est une question d’espoir quand on décide de travailler dans le tourisme ici. Je n’ai eu droit à aucune aide du Territoire qu’ils promettaient pour tous les patentés, car ils ne me considéraient pas assez en détresse. Et pendant ce temps-là, on continue à rembourser les prêts et payer les taxes. Heureusement que je n’ai pas de salariés !".

 

Malgré tout, les week-ends de festivités lui amènent encore une clientèle locale. Comme pour la Pentecôte ou le week-end de la Fête des mères, où sa pension affiche complet pendant deux jours.

 

Du côté de la Pension Vehine, opérant depuis 1998 avec une capacité d’accueil de 12 personnes, le son de cloche est un peu différent. Snack et pizzeria tournent à plein régime grâce à une clientèle locale et aux contractuels : gendarmes mobiles, démarcheurs, et professionnels de santé viennent s'y restaurer tous les jours. Cette activité permet à Claire, la propriétaire de la pension, de payer ses salariés.

 

L’arrêt des avions la prive de la moitié de sa clientèle, et elle aussi doit rembourser aux clients l’intégralité de leur séjour en cas d’interruption de la ligne aérienne. Mais, affirme-t-elle, "ici, on a l’habitude et tout reprendra sans doute bientôt".

 

Il est possible de limiter la casse, comme chez Pukue’e, la plus ancienne pension de l’île, debout depuis 1995 et reprise en 2009 par Elisa et Jerôme. Face à ce problème récurent de liaison aérienne, ils demandent un acompte aux clients au moment de la réservation. "On s’est trouvés obligé de le faire et on a remarqué que les gens font alors un effort pour arriver [en bateau, ndlr], même si l’avion ne fonctionne pas. Sinon, on était sans cesse confronté à des annulations de dernière minute alors que les chambres sont faites et les excursions organisées".

 

Et aujourd’hui, c’est toute une affaire pour réorganiser l’agenda des réservations, car il faut trouver une date ultérieure à laquelle reporter les voyages qui ont été annulés avec la crise du Covid-19 et ensuite à cause de l’arrêt des avions. "Les agences de voyages avec lesquelles nous travaillons, et ça représente 60 % de nos séjours, ne fonctionnent qu’avec l’avion car elles n’ont pas d’assurance pour la traversée en bateau entre Nuku Hiva et Ua-Pou. Et puis, il n’y a que trois ATR par semaine qui font Tahiti - Nuku-Hiva, donc c’est une difficulté en plus" explique Jérôme.


"ON A UN CREDIT A PAYER"

"On n’a jamais pensé à arrêter, car on a un crédit à payer" s’exclame Elisa, qui a repris la pension autrefois gérée par ses parents et uniquement réservée aux touristes. Les temps changent et la population de l’île fréquente aussi l’établissement à présent.
 
Ce qui explique leur nouvelle acquisition d’une roulotte. "Ma mère m’a fortement conseillé de la prendre au moment du Festival [Des Arts des Iles Marquises, en décembre 2019, ndlr] à l’époque où j’hésitais, et heureusement que je l’ai écoutée, aujourd’hui, ça sauve nos emplois".  La pension emploie actuellement trois salariés en plus des deux propriétaires. La clientèle du fenua représente 40% de leurs réservations dont 10-12% les travailleurs tels que les conventionnés de la gendarmerie, les démarcheurs, le personnel de santé et techniciens d’EDT.
 
Elisa et Jérôme enregistrent des annulations jusqu’au mois d’octobre, et leurs derniers clients datent de mars. Ils ne perdent pas leur motivation cependant avec certains touristes locaux qui arrivent à la mi-juin.
 
Enfin, côté artisanat, l’impact de l’arrêt de la ligne aérienne commerciale n’en est pas moindre. Malgré le fait que beaucoup d’oeuvres partent à Tahiti par le biais du fret maritime, la moitié du volume des ventes de l’année a lieu sur l’île même, au centre culturel et artisanal de Hakahau. Selon Wildorf Tata, président du Comité des artisans de l’île, il y a un énorme manque à gagner quand les clients des pensions de famille sont aux abonnés absents. "Déjà que l’annulation du Salon des Marquises fin-mai, début-juin à cause du Covid-19 est un coup dur pour les membres de notre fédération et qu’on n’est pas sûr que celui de novembre sera maintenu… Tout ça est difficile" regrette-t-il.
 
Peut-être peut-on entrevoir une lueur d’espoir pour nos acteurs du tourisme à Ua Pou, maintenant que l’Aranui reprend du service en hôtellerie pour des visiteurs locaux, à partir du 18 juillet et que certains touristes parmi les plus déterminés sont prêts à braver la houle des Marquises pour arriver jusqu'à l'île depuis Nuku Hiva.
 
Le tourisme est une affaire de volonté de fer, de persévérance et de résilience sur cette île dont les pics bien reconnaissables figuraient autrefois sur les billets de 500 francs Pacifique.

Rédigé par Eve Delahaut le Mardi 2 Juin 2020 à 15:59 | Lu 2346 fois