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Essais nucléaires : “L'État ne peut plus se dérober !”


Le rapport de la commission d'enquête est clair : " L'État savait !"
Le rapport de la commission d'enquête est clair : " L'État savait !"
Tahiti, le 2 juillet 2025 - Ce mercredi, la commission d'enquête parlementaire relative aux essais nucléaires en Polynésie a présenté son rapport aux élus locaux, ainsi qu'aux associations. Et si le document s'attaque aux nouveaux éléments déclassifiés, ainsi qu'à certaines incohérences persistantes de l'État, celui-ci se veut, aussi et surtout, être une force de proposition pour les différents travaux à venir.
 
Ce mercredi, à la présidence de la Polynésie française, la députée Mereana Reid-Arbelot a restitué les travaux de la commission d'enquête parlementaire relative aux essais nucléaires en Polynésie française. Un rapport dense, de 700 pages, qui a nécessité 48 auditions pour 123 personnes entendues depuis le mois de janvier. Parmi elles, des représentants d'associations de victimes, des chercheurs, des responsables politiques et de l'administration, à l'échelle nationale et polynésienne par souci d'équilibre. Un travail longuement félicité par les divers intervenants, dont l'association 193 : “La restitution de la commission d'enquête était attendue et nous la saluons ! Nous félicitons les travaux qui ont été menés, notamment compte tenu du délai qui était relativement court. Il s'agit quand même d'un document dense de 700 pages ! Maintenant, nous attendons la suite, c'est-à-dire la proposition de loi. Mais pour l'heure, nous remercions sincèrement cette commission d'enquête parce qu'on s'y retrouve, notamment concernant la demande de pardon que l'on réclame et qui figure dans notre statut, mais aussi par rapport à la demande du retrait du seuil dosimétrique d'1 millisievert”, explique Léna Nordman, vice-présidente de l'association.
 
Une force de proposition
 
Car si le rapport fustige en effet une certaine posture adoptée par l'État depuis la fin de ces essais, celui-ci s'évertue aussi et surtout à être une force de proposition quant aux différents travaux à venir. Concrètement, le document soulève plusieurs problématiques auxquelles il soumet plusieurs recommandations, à l'exemple notamment de l'accès aux soins. Et à ce titre, la commission d'enquête exhorte l'État de “permettre et garantir l'accès uniforme de tous les vétérans du CEP au suivi médical post-professionnel indépendamment de leur lieu de résidence” et de “garantir cet accès à l'ensemble des anciens travailleurs du CEA-CEP et de ses sous-traitants, ainsi qu'aux membres des familles de ces vétérans et de ces anciens travailleurs”.
 
Autre mesure proposée par ce rapport, la suppression pure et simple du seuil de 1 millisievert censé justifier la nature radio-induite de certains cancers des ayants droit. En effet, selon la commission d'enquête, “ce seuil ne permet pas de déterminer le lien ou l'absence de lien entre les maladies radio-induites et les essais nucléaires réalisés en Polynésie française”. D'où la demande également de la commission d'enquête de réaliser une étude épidémiologique pointilleuse, dans des conditions définies par la Commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires (CCSCEN) : “Aucune réelle étude épidémiologique n'a été faite jusqu'à ce jour”, regrette Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d'enquête parlementaire. “Trois études Sepia ont été faites sur les travailleurs hexagonaux qui ont officié sur les sites, mais ça n'a jamais concerné les Polynésiens. Pour nous, c'est une aberration”, a-t-elle rappelé. Et toujours sur la même problématique, le rapport recommande que la CCSCEN “étudie et propose, dans les plus brefs délais, une liste révisée des pathologies potentiellement radio-induites, notamment les cancers du pancréas et du pharynx, le cancer précoce de la prostate ainsi que certaines maladies du muscle cardiaque, demandée par les associations de victimes”.  
 
Mettre fin au culte du secret
 
La députée Mereana Reid-Arbelot l'assure : “Les temps ont quand même changé. Entre 2005 – époque de la première commission d'enquête de l'assemblée de la Polynésie française – et maintenant, il s'est passé 20 ans. À l'époque, les institutions nationales n'ont pas voulu répondre, alors qu'aujourd'hui, nous avons quand même trouvé une certaine coopération, une certaine libération de la parole. Je pense qu'il leur fallait du temps. Les auditions de la seconde commission étaient plus libérées.” Un enthousiasme justifié par la déclassification de certains dossiers, et parmi les plus sensibles, à l'exemple de l'anecdote de Mangareva où les militaires se seraient administrés du Lugol pour se protéger des infections de la thyroïde, sans le proposer à la population locale afin d'éviter un potentiel mouvement de panique.  
 
Un effort de la part de l'État français qui n'a, en revanche, pas su convaincre le président de la Polynésie française, Moetai Brotherson, qui demeure sur ses gardes : “Aujourd'hui, ses effets sur l'environnement et la santé sont reconnus, pas encore assez, mais je crois qu'il n'y a plus de débat sur le fait que ces essais ne se sont pas déroulés de la manière dont on nous l'a racontée”, a-t-il souligné dans son discours. “Quand on observe ce qui se passe dans le monde, surtout ces derniers mois, on voit les tentations de certains à recourir à plus d'armement, à plus de nucléaire. On se dit alors que les leçons de l'histoire n'ont pas forcément été retenues. Et sur ce dossier du nucléaire en Polynésie, il y a encore des questions qui sont en suspens. Certains ont trouvé des débuts ou des réponses complètes, au travers notamment de la déclassification de certaines archives. Reste à se poser les questions suivantes : Quelles archives ont-été déclassifiées ? Quelles sont celles qui ne l'ont pas été ? Lesquelles l'ont été mais partiellement ? (...) Je crois qu'il y a une partie des réponses aux questions que l'on se pose qui s'est vitrifiée et qui ne nous sera malheureusement jamais accessible. Il faudra faire avec les informations dont on pourra disposer et continuer de travailler pour que le maximum d'informations soit disponible aux chercheurs, aux associations, aux politiques, pour que l'on puisse aborder le présent et surtout le futur de manière sereine.”
 

Un rapport de 700 pages a été remis à chacune des institutions du Pays afin qu'ils puissent le consulter et décider en connaissance de cause.
Un rapport de 700 pages a été remis à chacune des institutions du Pays afin qu'ils puissent le consulter et décider en connaissance de cause.

Rédigé par Wendy Cowan le Mercredi 2 Juillet 2025 à 18:49 | Lu 2070 fois