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Entre Moai pascuan et têtes Maori : itinéraires fluctuants pour pièces océaniennes

WELLINGTON, 12 avril 2010 (Flash d'Océanie) – Les voyages de pièces culturelles océaniennes, ces derniers jours, ont connu des hauts et des bas avec, d’un côté, un refus des habitants de l’île de Pâques de laisser un de leurs « Moai » être exposé en plein Paris et, de l’autre, la remise en route d’un dossier de restitution de la France à la Nouvelle-Zélande d’ancienne tête Maori momifiées.
En fin de semaine dernière, le gouvernement du Chili, pays de tutelle de l’île de Pâques (Rapa Nui), admettait un sérieux revers qui mettra probablement fin au projet de faire voyager, à des fins d’exposition du 26 avril au 9 mai, l’une des statues monumentales « Moai » de cette île, dans le jardin des Tuileries, en plein cœur de Paris.


Un « Toi Moko », tête momifiée Maori, hommage d’un clan à ses plus prestigieux guerriers
Un « Toi Moko », tête momifiée Maori, hommage d’un clan à ses plus prestigieux guerriers
Les Pascuans avaient été consultés le mois dernier à ce sujet et pas moins de 89 pour cent des personnes interrogées ont opposé leur refus à cette exposition parisienne d’un de leurs objets emblématiques qui était soutenue par deux fondations mécènes (l’italienne Mare Nostrum et la française Louis-Vuitton).
L’exposition de ce Moai de cinq mètres de haut et de treize tonnes était censée entrer dans le cadre d’un vaste projet de sensibilisation des populations européennes à l’importance de la préservation de l’environnement.
Le gouvernement chilien, dont les relations avec les Pascuans ont été particulièrement tendues depuis l’an dernier, avec en toile de fonds une volonté exprimée par les autorités locales de mettre un frein à un tourisme de masse et une immigration chilienne accusés de corrompre les valeurs culturelles, devrait rendre un arbitrage final sur le voyage du Moai dans les jours à venir.
Même si cette exposition devait constituer l’un des temps forts de l’actualité culturelle parisienne de cette saison, les observateurs estiment que le gouvernement de Santiago n’ira probablement pas à l’encontre de la volonté exprimée par Rapa Nui.

Les têtes Maori espèrent un voyage dans l’autre sens

Entre-temps, à Paris, ces derniers jours, c’est un autre dossier concernant la culture océanienne qui semble avoir été remis à l’ordre du jour : la restitution à la Nouvelle-Zélande par des établissements français de têtes Maori indigènes momifiées.
Ce dossier avait déjà suscité une vive polémique ces trois dernières années, avec en fer de lance, du côté des partisans de cette restitution, la ville de Rouen et son Muséum d’Histoire Naturelle hébergeant un de ces objets.
En octobre 2007, une polémique s’était fait jour après que Christine Albanel, alors ministre de la culture, se soit opposée à l’intention exprimée par Rouen.
Fin juin 2009, le Sénat français s’était prononcé unanimement en faveur d’une motion proposant le retour et de fait la restitution de l’ensemble des têtes momifiées Maori, conservées jusqu’ici dans plusieurs musées de France, sur la base qu’il ne s’agissait non pas d’objets d’arts, mais de restes humains.
La mise aux voix de ce texte avait été précédée de la première intervention devant le Sénat du ministre français de la culture, Frédéric Mitterrand, tout juste nommé quelques jours auparavant.
La ville de Rouen s’apprêtait alors à renvoyer la tête d’un grand chef Maori, qu’elle détenait depuis 1875, au musée néo-zélandais Te Papa.
À l’époque, Christine Albanel s’inquiétait des effets potentiels de contrecoup de ce genre de décision, qui, selon elle, aurait pu entraîner des exigences similaires de restitution concernant les momies égyptiennes.
Le vote au Sénat devait toutefois depuis être confirmé par un vote à l’Assemblée Nationale du Parlement français.
Or, début avril 2010, Catherine Morin-Dessailly, Sénatrice de la Seine-Maritime et conseillère municipale de la ville de Rouen, a été auditionnée par Colette Le Moal, députée, rapporteur à l'Assemblée Nationale, concernant justement cette proposition de loi autorisant la restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande.
Les premières auditions ont eu lieu le 7 avril et devraient se poursuivre dans le cadre des débats d’ l’Assemblée Nationale, à partir du 29 avril, précisé la Sénatrice sur son site Internet.
« Si, après le vote au Senat, le texte est voté comme semble le souhaiter notre ministre de la Culture (…) il ne restera plus qu’a envisager le rapatriement de l’ensemble des têtes maories que détiennent les musées en France dont celle du muséum de Rouen. Après des années d’attente, elles seront enfin inhumées dans le respect des traditions du peuple maori qui a toujours lutté face aux menaces pesant sur sa survie identitaire et culturelle » ; précise la Sénatrice.

Le Sénat, première étape franchie l’an dernier

Ces têtes de personnes tatouées et ensuite momifiées (connues en Nouvelle-Zélande sous le nom de « toi moko « ) sont reconnues dans la culture Maori comme un hommage posthume de la part d’une tribu ou d’un clan envers les plus prestigieux de leurs guerriers décédés.
« À l'origine pratique rituelle (…) la momification des têtes est devenue, sous l'effet de la curiosité macabre des voyageurs et des collectionneurs européens, l'objet d'un commerce particulièrement barbare (…) On ne construit pas une culture sur un trafic, sur un crime. On construit une culture sur le respect et l'échange, sur une véritable pratique de la mémoire », a notamment déclaré M. Mitterrand avant le vote des Sénateurs, le 30 juin 2009.
Si le processus parlementaire aboutit, toutes les têtes Maori (un peu plus d’une quinzaine de pièces, selon les estimations) se trouvant encore en France (détenues par les musées du Quai Branly à Paris, mais aussi des Musées et centres de recherche universitaire spécialisés dans l’art africain et océanien, à Nantes, La Rochelle, Rochefort, Dunkerque, Rouen, Lille, Marseille, Lyon Montpellier) devraient être restituées à terme aux autorités compétentes de Nouvelle-Zélande.

Les reliques océaniennes ont la bougeotte


Au début du mois, ce sont d’autres têtes, cette fois-ci aborigènes d’Australie, qui semblaient obtenir les faveurs du Prince William.
Ce dernier s’est en effet déclaré solidaire des clans aborigènes qui réclament la restitution des restes d’un chef aborigène, Pemulwuy qui, dirigeant d’un mouvement de résistance à la puissance coloniale britannique, avait été arrêté et décapité en 1802, sur ordre du gouverneur britannique de ce qui était alors une colonie pénitentiaire, Philip King.
Sa tête avait ensuite été emmenée à Londres, pour l’exemple.
Mais son emplacement exact semble voir été de plus en plus difficile à établir, au moins depuis le début du vingtième siècle
Lors de son récent voyage officiel en Australie, en janvier 2010, le Prince avait rencontré les tribus descendantes de ce chef, dans la banlieue de Redfern (Sydney), qui leur avaient présenté une pétition demandant le retour de ces reliques.
Cet engagement a été confirmé au début du mois par un courrier très officiel émanant de du Palais de Buckingham.
Le prince, par le truchement de son secrétaire particulier, déclare dans cette missive vouloir « faire tout ce qui est en son pouvoir pour enquêter sur les circonstances de la disparition du crâne de Pemulwuy », dont le surnom a été, de son vivant et depuis son exécution, le « Rainbow Warrior » (Guerrier Arc-en-Ciel).

Le retour du « Mana »

L’année dernière a été également riche en voyages d’œuvres océaniennes, dans tous les sens : mi-2009, aux États-Unis, le Seattle Art Museum a restitué une pierre cérémoniale rituelle aborigène, un « tjuringa », au National Museum d’Australie.
En Polynésie française, à peu près à la même période, la communauté culturelle et muséologique était aussi en émoi après le retour au « fenua » de dix statues d’idoles, des « Tiki », originaires des îles Gambier, et qui se trouvaient en France métropolitaine depuis presque cent cinquante ans.
Ce retour a été possible dans le cadre d’une exposition itinérante, baptisée « Mangareva » et organisée en partenariat avec le musée du Quai Branly, mais aussi les musées de Cahors, La Rochelle et du Vatican, qui ont tous prêté des pièces longtemps exilées.
Seuls le British Museum de Londres et le Metropolitan Museum of Art de New York n’ont pas consenti à se défaire momentanément de leurs Tikis polynésiens, ont précisé les organisateurs.
Ce retour en terre d’origine avait été marquée par une cérémonie coutumière solennelle, marquée par des danses traditionnelles, devant le site du Musée qui a ensuite abrité, jusqu’à fin septembre 2009, l’étape polynésienne de cette exposition.
À cette occasion, les spécialistes ont estimé que l’endroit avait retrouvé un « mana » (esprit sacré) du fait du retour de ces objets spirituels.

Rédigé par pad le Dimanche 11 Avril 2010 à 19:40 | Lu 1270 fois