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Emplois fictifs : des "artifices" pour servir la cause du Tahoeraa Huiraatira ?


Emplois fictifs : des "artifices" pour servir la cause du Tahoeraa Huiraatira ?
Le tribunal s’est intéressé, lundi matin 5 novembre, aux contrats cabinets de la présidence mis à la disposition de personnes morales : radio Maohi et les syndicats CSIP et A Tia i Mua. Des contrats qui avaient été dénoncés par le jugement de première instance, en octobre 2011 comme des artifices" employés par Gaston Flosse pour utiliser des fonds publics afin de servir sa cause et celle de son parti politique, le Tahoera’a Huiuraatira.

Dans l’après-midi le tribunal a instruit à l’audience le volet Assemblée de Polynésie de cette affaire.

La cour d’appel s’est intéressée le matin au cas de Radio Maohi, une station où tous les permanents étaient des contrats présidence. Une radio communale, porte voix du Taoheraa Huiraatira, hébergée dans les locaux de la mairie de Pirae dont le maire de l'époque, Gaston Flosse, était aussi président du gouvernement de la Polynésie française.

A l’audience le cas a également été instruit, des syndicalistes Pico Yan Tu et Cyril Le Gayic, et de l’ancien syndicaliste aujourd’hui maire de Papara, Bruno Sandras, tous trois détachés par le Territoire et condamnés en première instance pour recel de détournement de fonds publics.

La justice reproche à Gaston Flosse, de 1996 à 2004, d'avoir mis en place un vaste réseau d'emplois fictifs, à l'époque où il présidait la Polynésie française.
Pendant plus de dix ans, la présidence et l'assemblée avaient rémunéré en contrats-cabinet des personnes qui ne travaillaient pas pour ces institutions. Au total, 42 prévenus sont appelés à comparaître dans ce procès en appel de l’affaire dite des emplois fictifs

Pour l'accusation, Gaston Flosse avait monté "un système clientéliste et de propagande", tandis que les avocats du sénateur dénoncent un "procès politique".

Les réquisitions sont prononcées ce mardi par l’avocat général.


Emplois fictifs : des "artifices" pour servir la cause du Tahoeraa Huiraatira ?
Bruno Sandras : "j’ai travaillé"

Bruno Sandras a été condamné en première instance à trois mois de prison avec sursis et 2.5 millions Fcfp d’amende pour le délit de recel de détournement de fonds publics.
Il a été chargé de mission à temps partiel par arrêté de la Présidence de septembre 1998 à mars 2000, pour travailler sur la réforme du code du travail, et avait bénéficié à ce titre d’une rémunération brute de 200.000 Fcfp s’ajoutant à son traitement (420.000 Fcfp/mois) de fonctionnaire détaché de l’administration pour assurer la direction du syndicat A Tia i Mua.
Aucune preuve écrite du travail effectué dans le cadre de cette mission à temps partiel n’a été mise en évidence lors de l’instruction.

Tahiti infos : Vous avez déclaré être convaincu que l’action syndicale que vous avez menée à la tête de A Tia i Mua avait servi l’intérêt de la paix sociale, sous-entendant que l’emploi n’était pas fictif mais au contraire utile à la collectivité.

Bruno Sandras : Oui, je l’ai déclaré même si cette affaire a été placée dans un cadre purement politique. En ce qui me concerne, les faits remontent à 1995 alors que j’étais syndicaliste. L’instruction a commencé en 2005, au moment où j’étais entré en politique. Je pense que ma proximité de l’époque avec Gaston Flosse a fait que j’ai été englobé dans ce qu’on a pu appeler les emplois fictifs.
Tout cela s’est passé dans des circonstances très particulières. Je ne pense pas avoir bénéficié d’un emploi fictif : j’ai travaillé. C’était un emploi à temps partiel, en plus de mon activité syndicale. J’y ai vu à l’époque une proposition honnête, une reconnaissance de mon travail dans le domaine syndical. C’est pour cela que j’ai accepté.


Tahiti infos : Vous annoncez que votre action a contribué à la paix sociale, pensez-vous que c’est à l’aune de l’achat des leaders syndicaux que l’on garanti la paix sociale ?

Bruno Sandras : Je vous laisse la paternité de ces propos. Je n’ai pas été acheté. On m’a demandé de faire un travail, par rapport à des qualités qui m’étaient propres. Mon cas est différent de celui de M. Le Gayic et de M. Yan Tu, qui ont eu un contrat cabinet puis ont été mis à disposition du syndicat. Moi, j’ai été mis à disposition depuis 1991.
Le président m’a demandé de remplir une mission particulière, dans un contexte particulier, en 1998. Il n’y avait pas beaucoup de juristes dans les organisations syndicales à l’époque. J’ai beaucoup réfléchi avant d’accepter. Et je ne regrette pas. (…)
En toute objectivité on doit bien reconnaître que depuis 1996 il n’y a plus eu de grave mouvement social.


Tahiti infos : En tant que juriste, tous ces montages contractuels ne vous ont-ils pas interpellés ?

Bruno Sandras : En ce qui me concerne non. Le président m’a employé à temps partiel pour une mission bien précise. J’y ai travaillé et je considère aujourd’hui que la peine à laquelle j’ai été condamné et pour laquelle j’ai fait appel est bien lourde, compte tenu du travail que j’ai réalisé.

Emplois fictifs : des "artifices" pour servir la cause du Tahoeraa Huiraatira ?
Me Boussier : "ces contrats n’ont servi à rien, sauf peut-être à enrichir ceux qui en ont été les bénéficiaires"

Ralph Boussier, avocat de la partie civile, défend les intérêts du Pays et de l’Assemblée de Polynésie française.

Tahiti infos : Par rapport aux arguments de la défense, on ne constate pas beaucoup de nouveauté, dans ce procès en appel des emplois fictifs, par rapport à ce qui avait été soutenu en première instance.

Ralph Boussier : Effectivement, l’audience avait été très complète en première instance. Elle s’était déroulée en cinq semaines. Là, on est sur un jugement qui fait 200 pages. Ce jugement a balayé l’ensemble des arguments. Et on constate qu’il n’y a aucun élément nouveau qui est fourni par la défense. Les évidences sont là : on s’aperçoit bien que les deniers publics de la Polynésie ont été utilisés soit à des fins politiques, soit à des fins syndicales ou a des fins de communication. (…) Il y a un mécanisme utilisé, dissimulant la réalité de l’utilisation des deniers publics, tout ça sous le couvert d’un habillage juridique.

Tahiti infos : Dans le volet syndical de cette affaire, Bruno Sandras, ancien secrétaire général de A Tia I Mua, a annoncé à la barre que son action de leader syndical avait contribué au maintien de la paix sociale, dans la période trouble de la fin des années 90, en Polynésie française. Que doit-on comprendre ?

Ralph Boussier : Vous m’inquiétez beaucoup. Parce que j’ai entendu la même chose que vous et je suis assez d’accord avec vous. Ca veut dire que cette paix sociale on pouvait l’acheter et que les syndicats était dans la main du président du gouvernement qui, en concluant ces contrats là, a pu s’assurer une paix sociale pendant de nombreuses années. Mais en réalité, ces contrats n’ont duré qu’un temps et après, rien de notable ne s’est produit sous le ciel polynésien. Cela veut dire que ces contrats n’ont servi à rien, sauf peut-être à enrichir ceux qui en ont été les bénéficiaires.

Emplois fictifs : des "artifices" pour servir la cause du Tahoeraa Huiraatira ?
Jean-Marie Yan Tu : "J’ai l’amour du syndicalisme"

Quelques questions au secrétaire général de A Tia i Mua, qui a pris la direction du syndicat en 2000 en remplacement de Bruno Sandras.

Tahiti infos : Dans ce dossier, il vous est notamment reproché d’avoir pu être influencé par votre statut d’employé de la présidence, en contrat avec le cabinet de Gaston Flosse, dans le cadre de votre mission syndicale.

Jean-Marie Yan Tu : Je n’ai jamais fait allégeance au Tahoeraa Huiraatira, ni a aucun président de ce pays, dans le cadre de mon action syndicale. J’ai toujours fait mon travail de syndicaliste et il en sera ainsi jusqu’à ce que je prenne ma retraite dans deux ans.
Je ne me suis pas enrichi. La preuve, aujourd’hui je suis rémunéré au smig au titre de ma fonction de secrétaire général d’une représentation syndicale (A Tia I Mua, ndlr). Ce n’est pas pour l’argent que je fais cela. J’ai l’amour du syndicalisme. Ca fait trente ans que je fais cela. Ce n’est pas l’argent qui me motive.


Que pensez-vous de ce montage contractuel, aujourd’hui : employé sous contrat cabinet par la présidence et mis à la disposition d’un syndicat ?

Jean-Marie Yan Tu : Vous savez, j’ai été mis à disposition par le Territoire de 1997 à 2004 et après par le Pays. Aujourd’hui encore je suis fonctionnaire du Pays. Je ne fais pas de politique. A l’époque c’est Gaston Flosse qui était président du gouvernement ; mais ce n’est pas parce qu’il était président et que j’étais son employé que je devais faire tout ce qu’il me demandait. Je suis syndicaliste. J’ai déposé des préavis de grève, y-compris dans les communes où le Tahoeraa était majoritaire. Je félicite beaucoup M. Flosse, parce qu’il ne m’a jamais rien demandé. S’il m’avait demandé d’agir dans l’intérêt de son parti, j’aurais dit non.
Je ne fais pas de politique politicienne. Je mène une action syndicale.


Ce soupçon de collusion avec le pouvoir, vous le dénoncez ?

Jean-Marie Yan Tu : Je ne sais pas ce qu’on me reproche. Je suis toujours fonctionnaire détaché, mis à disposition du syndicat. Aujourd’hui, c’est Oscar Temaru qui est en place, c’est mon patron. Il ne m’a jamais demandé de faire quoi que ce soit contre tel ou tel et d’être à ses côté pour faire sa politique.

Un mot sur l’affaire les inquiétudes judicaires de Cyril Le Gayic, mis en examen notamment pour des faits supposés de détournement de fonds des caisses de son syndicat, la CSIP. Qu’est-ce que ça vous évoque ?

Jean-Marie Yan Tu : Vous savez, je suis tombé des nues lorsque j’ai appris ça. Avec Cyril on se croise souvent, au CESC, dans les réunions tripartites avec les employeurs… Je n’ai jamais entendu parler de cette affaire. Et même lorsqu’il a été mis en examen l’année dernière je n’étais pas au courant. Là j’entends parler de détournement de fonds dans son syndicat. Je n’ai rien à dire. Tout ce que je peux dire c’est que concernant A Tia i Mua, les cotisations sont payées par virement bancaire. Les paiements en espèces sont pris en compte par le trésorier. Pour les dépenses, les chèques nécessitent une double signature, trésorier et secrétaire général. (…) Nos comptes sont certifiés en fin d’année par un expert comptable et publiés dans notre journal.
En tant que syndicaliste, cette affaire nous fait réfléchir. Cyril est un ami, je le soutien. Laissons l’enquête se faire.


Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 5 Novembre 2012 à 15:54 | Lu 2004 fois