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“Elles ont retrouvé leur dignité”


Tahiti, le 1er mai 2025 – L’atelier couture de l’accueil Te Vai-ete permet à certains “oiseaux de la rue”, le temps d’un moment, d’oublier leurs conditions de vie et de tuer le temps. Mais plus encore, la vente de leurs produits leur permet de ne pas “mendier ni voler. Et surtout, on gagne notre argent à la sueur de notre front”, confient les participantes. Ce dernières ont “retrouvé leur dignité et redeviennent des êtres humains”.
 
À l’accueil Te Vai-ete à Mama’o, outre le restaurant L’Éphémère qui rencontre un fort succès auprès du public, existe également un atelier couture, où plusieurs “oiseaux de la rue” se sont inscrits. Cet atelier reçoit des dons, comme des fils ou des tissus. “Les gens sont très généreux, et avec ce qu’on nous a donné, et que les personnes auraient pu jeter, on peut toujours faire quelque chose de neuf. Ici, on transforme tout, on ne jette rien”, explique Shérita Tsong qui anime cet atelier et qui a tout appris avec sa maman Nina, aujourd’hui décédée et qui lui a fait promettre de transmettre son savoir.

“On gagne notre argent à la sueur de notre front”

Tepua fait partie des personnes qui se sont inscrites à cet atelier depuis qu’il existe. Il se situait alors au niveau du presbytère à Papeete. “Le père Christophe m’a donné un coin pour que je couse.” Tepua explique que ce qu’elle aime dans la couture, c’est de “travailler le tissu et voir ce qu’on peut faire avec, car quand tu rassembles des tissus, cela devient un produit. En fait, j’aime faire de la création”. Et comme “la patience, ce n’est pas mon fort”, confie Tepua, elle ne participe pas à l’atelier crochet car pour elle, “lorsque je commence un travail, il faut que cela devienne un produit aujourd’hui même !”
 
Lors du déjeuner de mardi, Namoeata s’était installée àune petite table pour exposer les produits fabriqués à l’atelier. “Cela va faire bientôt deux mois que je me suis s’inscrite à l’atelier couture et crochet”, dit-elle. Au début, “c’était surtout pour passer le temps, au lieu de rester dehors”. Namoeata explique que c’est grâce à une amie qu’elle a intégré l’atelier couture. “Cela nous laisse le temps aussi de rester ici à Te Vai-ete, quand on sort à 15 heures, cela nous laisse peu de temps et ensuite on dort.”

“Une agence de voyage nous a commandé cent pochettes”

Shérita Tsong anime bénévolement l’atelier couture, depuis son ouverture en 2018. Les ateliers avaient d’ailleurs été arrêtés quelques années et ont réouverts il y a un an. Et à l’époque, il y avait aussi un atelier pâtisserie et déco. “J’y ai vu des jeunes femmes qui avaient du talent en graphisme”, se souvient-elle.
 
Shérita Tsong apprécie “la bonne ambiance” qui y règne et c’est aussi l’occasion de faire passer des “valeurs” comme le “respect, l’intégrité et l’honnêteté”.
 
Il y a plusieurs semaines, elle a été surprise qu’Alexandrine Wan, directrice de l’agence de voyage Nani Travels, lui commande cent pochettes de voyage. Shérita Tsong raconte que c’est au cours d’un déjeuner à L’Éphémère, qu’Alexandrine Wan a découvert l’atelier couture et a immédiatement été séduite. “Comme elle est dans l’écotourisme (…), elle a voulu faire participer les personnes de la rue à son projet (…). Et le fait de voir ces personnes de la rue apprendre un métier, cela l’a complètement séduite et elle voudrait aussi, dans le futur, faire visiter cet atelier aux touristes, comme elle le fait avec les agriculteurs par exemple.” Pour Shérita Tsong, cette commande est “l’aboutissement de plusieurs années d’effort et de persuasion, car il fallait faire comprendre que ces gens peuvent arriver à quelque chose si on leur donne un coup de pouce et si on les motive, tout est possible”.

“On ne veut pas faire de jugement et de différenciation sur nos partenaires”

“On travaille beaucoup avec des personnes qui ont des histoires à raconter, des personnes qui ont quelque chose à partager et qu’on ne met pas assez en avant”, assure Alexandrine Wan. La jeune femme ajoute que dans son entreprise, le maître-mot est la bienveillance. “Elles ont peut-être eu des histoires difficiles et on ne veut pas faire de jugement et de différenciation sur nos partenaires.” Aujourd’hui, ces femmes sont devenues, pour Alexandrine Wan, “nos partenaires, des personnes de l’équipe qui contribuent au rayonnement de la Polynésie”.
 
Et d’ailleurs, Alexandrine Wan et son frère Jérémy ont été très étonnés que Tepua les reconnaisse. Elle explique en effet que leur maman, aujourd’hui décédée, était bénévole à l’accueil de jour, de Vaininiore il y a une dizaine d’années. “Elle a reconnu notre gentillesse, mais elle nous a aussi reconnus physiquement car notre maman a aidé le père Christophe. Nos chemins se sont déjà croisés et on continue l’histoire ensemble. C’est un beau moment.” Elle explique que l’agence Nani Travels est “une ode à ses valeurs, à sa vision de la vie”.   
 

Tepua “Cela nous évite aussi d’aller mendier et voler”

“Elles ont retrouvé leur dignité”
“Lorsque je cousais, je vendais ensuite les produits que je confectionnais à l’arche de Noël et l’argent, c’était pour nous. Et cela nous évite d’aller mendier et voler. Et surtout, on gagne notre argent à la sueur de notre front pour acheter à manger (…). Je sais tout coudre, mais je préfère l’ameublement, comme ça, si un jour j’ai une maison, je saurai habiller ma propre maison avec mon potentiel (…). J’encourage tous ceux qui sont dans la rue à s’inscrire dans les activités proposées par Padre, il faut juste un peu de courage, rien que ça (…). On a de bons profs, après ils sont obligés aussi d’être bien pour que cela avance. Nous tous, on est une grande famille.”


 

Namoeata “J’ai appris à faire des chemins de table, des paniers à pain”

“J’apprécie beaucoup la couture ainsi que le crochet, mais plus la couture. Le lundi et le jeudi, je suis à l’atelier crochet, et le mardi, à la couture. Cela nous prend quand même du temps car c’est très minutieux, surtout que je ne connaissais rien à la couture. C’est grâce aux amies qui sont dans cet atelier que j’ai avancé car elles sont là aussi à m’aider. Quand j’ai des difficultés concernant des points ou pour rattraper une couture, elles sont là aussi. Depuis que j’ai intégré l’atelier couture, j’ai appris à faire des chemins de table, des paniers à pain. Mais honnêtement pour les chemins de table, je n’ai pas pu les terminer et c’est une amie qui les a finis !”

 

Shérita Tsong “Elles ont retrouvé leur dignité et redeviennent des êtres humains”

“Tout est reversé à ces personnes en grande précarité et elles ont vu qu’elles devenaient les actrices de ces ateliers. Non seulement elles ont retrouvé leur dignité, mais en plus, elles redeviennent des êtres humains tout simplement, elles sont reconsidérées comme tels. Et cela change tout, elles ne sont plus juste des gens assis sur un trottoir et qui attendent qu’on leur donne deux, trois pièces. Elles existent, et je pense que c’est cela aussi qui les a motivées à vouloir continuer. Et avec cette agence de voyage, c’est concret et c’est encore plus fabuleux car cela aboutit vraiment à quelque chose (…). Et le fait de mieux les connaître, cela permet de mieux les aider, mieux les soutenir. Et puis elles se confient plus facilement, cela veut dire qu’avec le temps, on a réussi à gagner leur confiance. C’est bien car on leur redonne le sourire et surtout de l’espoir.”

 

Alexandrine Wan Directrice de l’agence de voyage Nani Travels “Chaque personne a une histoire à raconter”

“Trop souvent, on les voit comme un poids pour la société, on les voit d’une façon négative. Chaque personne a une histoire à raconter et qui doit être partagée, qu’elle soit positive ou négative. On a tous à apprendre de chacun et chacune. Même si on se dit qu’il ne faut pas que les touristes les voient, ce n’est pas joli. Mais c’est la Polynésie, c’est la réalité. On n’est pas là pour la cacher ou pour mettre des étoiles dans les yeux. On est là pour partager notre identité, partager notre culture. C’est en partageant cette réalité qu’on va avancer. On est très heureux de travailler avec ces femmes qui ont tout à nous apprendre. C’est une énorme gifle qu’on a eue de se dire que je suis là et je me plains de petites choses de la vie alors que ces femmes sont motivées, comme celle qui vient de Faa’a sous la pluie pour venir travailler. Ces gens ne sont pas fainéants, non, ils ont une histoire et on est là pour les soutenir. J’espère que cette initiative va motiver d’autres entreprises à avoir une démarche inclusive et durable.”

 

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun le Vendredi 2 Mai 2025 à 04:30 | Lu 3133 fois