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Désinscription contre décolonisation à l’ONU


Papeete, le 8 octobre 2019 – Pas moins de 28 intervenants polynésiens se sont succédé mardi devant la Quatrième commission des Nations Unies pour évoquer la situation de la Polynésie. D’un côté, le président Edouard Fritch a demandé de retirer le territoire de la liste des pays à décoloniser de l’ONU. De l’autre, le représentant indépendantiste Richard Tuheiava a au contraire demandé la mise en place d’un « programme de travail » pour la décolonisation en Polynésie.
 
La quatrième Commission en charge des questions de décolonisation de l’ONU a été le théâtre mardi à New-York d’un nouveau débat sur la situation institutionnelle de la Polynésie française. Depuis la réinscription de la Polynésie sur la liste des territoires non-autonomes de l’ONU en 2013, dont elle avait été retirée en 1958, les Nations Unies sont tenues d’examiner chaque année l’évolution de la situation au fenua. Ils entendent à cette occasion des représentants des camps autonomistes et indépendantistes, étant entendu que la France refuse de participer à ces discussions.
 
Mardi matin (heure de Tahiti), c’est le président Edouard Fritch qui a pris la parole le premier devant la Commission pour vanter une nouvelle fois la qualité des infrastructures, de la couverture maladie ou encore du système éducatif polynésien. Comme l’année dernière, il est largement revenu sur les résultats des élections territoriales de 2018 « sous le contrôle des représentants du Forum des îles du Pacifique ». « Notre victoire aux élections confirme la volonté du peuple polynésien de ne pas modifier le cadre institutionnel actuel », a lancé Edouard Fritch, selon qui « la dignité d’un peuple ne se construit pas seulement dans l’indépendance ».
 
Mais surtout, le président du Pays a conclut son intervention en demandant « solennellement » de retirer la Polynésie française de la liste des Pays à décoloniser : « Quel intérêt social, éducatif, culturel, y a-t-il pour mon peuple de rester inscrit sur la liste des pays à décoloniser ? Cela va-t-il créer plus d’emplois pour nos jeunes ? Cela va-t-il réduire la pauvreté pour certains d’entre nous ? Pour ma part, je n’y vois aucun intérêt. »
 
L’un des arguments d’Edouard Fritch étant d’en appeler aux Etats membres du Forum des îles du Pacifique, qui ont reconnu le caractère « autonome » de la Polynésie française lorsqu’ils ont accepté d’en faire un « full member » (membre à part entière) du Forum en 2017 : « Mon pays est membre du Forum des Iles du Pacifique et à ce titre, il est incohérent de dire, ici devant l’ONU, que mon pays est à décoloniser alors que vos Etats respectifs que vous représentez, me considèrent comme leur égal ».

« Un nombre inédit de pétitionnaires »

Côté autonomistes, trois interventions ont suivi celle du président du Pays. Le vice-président Teva Rohfritsch, la sénatrice Lana Tetuanui, mais aussi l’armateur Georges Moarii ont pris la parole tour à tour. « Les indépendantistes polynésiens vous font croire que les ressources sont pillées », a déclaré l’armateur pour qui, au contraire, la France « garantit la sécurité de la ZEE » et « accompagne les Polynésiens dans l’exploitation de leurs ressources ».
 
La parole a ensuite été donnée à une très grande délégation côté indépendantiste. Le président de la commission limitant les interventions à 4 minutes par intervenant en raison « du nombre inédit de pétitionnaires cette année ». Le nouveau président de l’Eglise protestante maohi, François Pihaatae a ouvert le bal en évoquant le « crime contre l’humanité » constitué par les essais nucléaire. L’expression avait été le fait marquant de l’intervention d’Oscar Temaru l’an dernier au sein de cette même commission. Puis, le représentant de la conférence des églises du Pacifique, James Bhagwan, a pris la parole, avant la représentante de l’Union chrétienne des jeunes gens de Polynésie, Tiaremaohi Tairua.
 
En l’absence d’Oscar Temaru, plusieurs membres ou proches du Tavini se sont ensuite relayés, se présentant la plupart du temps comme les représentants de leurs sociétés privées ou de leurs associations, plutôt que sous la seule bannière de leur parti. L’avocat Philippe Neuffer a pris la parole au nom de Moruroa e tatou, évoquant notamment le retrait de la notion de « risque négligeable » de la Loi Morin en 2017 et son remplacement en 2018 par une notion similaire « d’exposition négligeable » pour éviter à l’Etat d’indemniser les personnes atteintes par des maladies radio-induites en Polynésie.
 
La jeune Hinamoeura Cross de la « société des Saveurs du Vaima » est ensuite intervenue pour évoquer sa « leucémie diagnostiquée à 25 ans » et « figurant sur la liste des maladies radio-induites ». L’avocat parisien d’Oscar Temaru, Me David Koubbi, s’est également exprimé. Tout comme les élus Anthony Géros, Valentina Cross, Eliane Tevahitua, Cécile Mercier, ou encore Teumere Atger. Comme l’année dernière, Michel Villar est intervenu côté indépendantistes. Et après lui, Loïse Panie, Steve Chailloux, Stanley Cross, Vanina Crolas, Heimata Estall, Amaron Naia, Françoise Tama, Maryse Ollivier, Médéric Tehaamatai ou encore Allen Salmon ont témoigné contre le « colonialisme par consentement qui reste du colonialisme ».

Richard Tuheiava demande un « programme de travail »

« Si Maohi Nui n’avait pas été retiré de la liste des territoires non autonomes de l’ONU en 1958, les essais nucléaires n’auraient pas pu se tenir », a déclaré le député Tavini, Moetai Brotherson, avant-dernier pétitionnaire. L’élu qui a rappelé avoir récemment demandé au gouvernement français de « retirer les déchets nucléaires de Moruroa et de Polynésie », mais avoir « peu d’espoir » dans sa démarche.
 
Enfin, les interventions ont été conclues par le représentant Tavini Richard Tuheiava, le spécialiste des questions onusiennes au parti indépendantiste. Et ce dernier a demandé à la commission, en application des textes des Nations Unies, d’inclure dans sa prochaine résolution annuelle la mise en place d’un « programme de travail constructif pour Maohi Nui-Polynésie française ». Un programme qui devra être « achevé avant fin 2020 » pour mettre en œuvre des dispositifs propres aux territoires à décoloniser en Polynésie.
 
La quatrième commission rend habituellement sa résolution annuelle courant novembre. On saura quel sort elle a réservé aux demandes des différents intervenants.

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 8 Octobre 2019 à 15:33 | Lu 3934 fois