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Dans le Pacifique, l'USS Thach piste les trafiquants de drogue


Dans le Pacifique, l'USS Thach piste les trafiquants de drogue
A BORD DE L'USS THACH, 26 mars 2013 (AFP) - A près de 20 noeuds, la proue de la frégate USS Thach fend les eaux cobalt du Pacifique. Soudain l'alerte générale est donnée. Les tireurs prennent position sur le pont et une chaloupe pneumatique est jetée à la mer. La mission: contrôler un bateau soupçonné de transporter de la cocaïne.

L'USS Thach et ses 240 marins américains naviguent depuis huit jours sur une mer d'huile au large des côtes colombiennes dans le cadre de l'opération antidrogue Martillo, lancée en janvier 2012 par les Etats-Unis et d'autres pays d'Amérique centrale, où la lutte contre les cartels atteint un niveau de militarisation sans précédent.

Un officier au poste de commandement crache des ordres dans les haut-parleurs. Les hommes du lieutenant Eric Watkins, le chef des garde-côtes américains à bord, sont tendus. Radio sur le dos et pistolet 9 mm à la ceinture, eux seuls sont autorisés à inspecter les embarcations suspectes, souvent des bateaux de pêche, parfois des submersibles de fortune.

"On grimpe dans ces navires et on essaie de déterminer s'ils se livrent à de la contrebande en fouillant tous les recoins. On s'assure qu'il n'y a aucun compartiment dissimulé. C'est là qu'on trouve la drogue en général", explique le Lt. Watkins.

Alors quand l´alerte "phase 1" retentit dans les coursives, le navire est en moins de 30 mn sur le pied de guerre. "On est moins anxieux d'être éloigné de chez soi quand on sait que l'on fait quelque chose de positif pour protéger sa famille", lâche l'officier James Holm, qui vient de rempiler pour quatre ans dans la marine.

Un bateau suspect a été repéré dans les eaux internationales il y a quelques heures par des avions de reconnaissance. Avant l'arrivée de la frégate américaine, des paquets sont jetés par dessus bord. Eaux internationales obligent, il n'y a pas d'arrestation, mais environ 70 briques brunes d'un kilo de cocaïne sont saisies.

Pour les marins, le temps peut sembler long en mer. Lors des journées creuses, on fait des exercices de sauvetage, on repeint le bastingage et le pont, ou on teste l'armement léger. "C'est un des moments où on s'éclate le plus, en tirant", glisse l'un deux.

"Pour nous, il est logique d'avoir une forte présence aussi bas" dans la Pacifique afin de saisir la drogue à son départ avant qu'elle ne s'évanouisse sur des routes d'Amérique centrale, explique le capitaine de frégate de l'USS Thach, Hans Lynch, un grand blond aux épaules larges.

Martillo et les autres programmes d'assistance militaire aux pays d'Amérique centrale, principale voie de transit de la drogue vers le nord, représentent un des efforts les plus ambitieux de Washington contre les cartels depuis la seconde guerre mondiale.

Contingent de 200 Marines au Guatemala, bases avancées dans la jungle hondurienne, installation de radars, formations de forces locales: les Etats-Unis n'ont cesse de militariser la lutte antidrogue dans la région depuis une dizaine d'années.

Mais cette lutte, "un élément crucial pour la sécurité (des Etats-Unis) au 21e siècle", selon l'Etat major américain, risque d'être largement compromise par les réductions de budget envisagées par Barack Obama, ont averti la semaine dernière les généraux devant le Congrès.

De 2,7 milliards de dollars en 2001, le coût des opérations internationales et de soutien aux gouvernements dans le monde contre le trafic de drogue est passé à 5,7 milliards en 2012.

Selon le général John Kelly, chef du commandant sud des Etats-Unis, entre 150 et 200 tonnes de cocaïne ont été saisies en mer en 2012, soit environ 20% de la drogue à destination des villes américaines. Et pour chaque 200 tonnes saisies, ce sont 600 millions de dollars que Washington doit dépenser.

Avec les coupes budgétaires du Pentagone, "toute cette drogue atteindra les côtes américaines", a-t-il prévenu.

Car depuis 2006, les trafiquants, principalement mexicains, ont changé de méthode face à l'intensification des contrôles: 93% de la drogue d'Amérique du Sud fait escale dans cette région, où des pans entiers de territoire sont hors de contrôle des autorités locales, souvent fortement corrompues.

Les cartels "utilisent des pinasses de pêche et des embarcations ultra-rapides d'un ou deux moteurs capables de transporter jusqu'à une tonne de drogue, explique le Lt Watkins. Ils viennent de Colombie ou d'Equateur et passent par le littoral pour se rendre vers le nord".

En permanence, ce sont au moins quatre navires américains qui sillonnent le Pacifique et les Caraïbes, appuyés par six avions de reconnaissance.

Mike Vigil, ancien chef des opérations extérieures de la DEA, l'agence américaine antidrogue, voit malgré tout une "bonne tactique" dans les opérations style Martillo. Plus la drogue est interceptée tôt, plus les prises sont importantes, assure-t-il.

Mais pour certains experts, cette militarisation croissante a ses limites. "Vous ne pouvez pas seulement vous focaliser sur l'aspect militaire. S'il y a une chose que les Etats-Unis devraient avoir compris depuis 10 ans (...) c'est qu'il faut renforcer les institutions civiles chargées de faire appliquer les lois dans les pays de transit", insiste Mark Schneider, vice-président de groupe de réflexion International Crisis Group.

Et pour Adam Isacson, expert des questions sécuritaires en Amérique latine, la dernière fois que des militaires ont été chargés de questions d'ordre civil dans la région "les choses se sont très mal passées".

Selon le New York Times, Washington a dû mettre un terme à certaines de ses opérations au Honduras suite à deux incidents à l'été 2012 au cours desquels deux avions suspectés de transporter de la drogue qui avaient été repérés par des radars américains ont été abattus par des pilotes honduriens.

Quelques mois plus tôt, quatre personnes avaient été tuées dans une autre opération à laquelle participaient des agents de la DEA dans la jungle du Honduras. Leurs familles ont affirmé qu'elles étaient innocentes.

"Les militaires ne sont pas entraînés pour traiter avec des civils. Quand ils se retrouvent en contact, ils usent trop souvent de trop de force, poursuit Mark Schneider".

Rédigé par Par Mehdi LEBOUACHERA le Mardi 26 Mars 2013 à 06:16 | Lu 768 fois