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Damas Teuira à la barre pour prises illégales d’intérêt et détournement de fonds


Tahiti, le 28 mai 2025 - C’est un procès peu ordinaire qui s’est tenu mardi après-midi au tribunal correctionnel de Papeete. Onze prévenus, dont Damas Teuira, à qui il était reproché des prises illégales d’intérêt et détournement de fonds, quatre avocats mais aussi de nombreux proches, familles et amis étaient présents à l’audience qui a duré près de cinq heures. Le délibéré sera rendu le 10 juin.
 
Confusion, doutes, scepticisme, silences pesés, rires, larmes... Rien n’a manqué, mardi après-midi, au tribunal correctionnel de Papeete. Une affaire de prises illégales d’intérêt et détournement de fonds a été jugée avec, en arrière-plan, un “combat politique” selon les avocats.
 
Cette affaire a démarré à Mahina, sous la mandature du tāvana Damas Teuira, en 2019. Cette année-là, la commune, jumelée avec la ville maorie de Gisbrone depuis le début des années 2000, a souhaité envoyer une délégation au Tuia 250. L’événement d’envergure, organisé entre octobre et décembre 2019, a marqué l’arrivée de Cook et de Tupaia en Nouvelle-Zélande en 1769. Pour concrétiser le déplacement, une association a été créée. Baptisée Aratea, elle avait pour mission de faire rayonner Mahina en particulier et la Polynésie en général en portant des activités culturelles. Il est à noter que cette association existe toujours et participe toujours au développement de Mahina.
 
Votée à l’unanimité, sauf un
 
L’association a demandé une participation financière à ses membres de 27 000 francs pour preuve de leur engagement et sollicité une subvention à la commune. Dans la précipitation, le tāvana a fait voter une délibération pour payer directement les frais de déplacement de la délégation qui devait se rendre en Nouvelle-Zélande. Ces frais s’élevaient à 4,3 millions de francs pour une soixantaine de personnes : artistes, jeunes de quartiers ainsi que quelques élus. “Ce qui nous préoccupait, pris par le temps, c’était de payer les billets d’avion. Je me suis basé sur des observations autour de moi qui me disaient que c’était faisable dans la mesure où cette dépense avait un intérêt général”, a raconté Damas Teuira à la barre, mardi. La délibération a été votée à l’unanimité sauf une personne.
 
Les prévenus interrogés un à un à l’audience ont tous affirmé avoir voté en toute bonne foi, sans imaginer d’éventuelles conséquences. Jérôme Charbonnier, directeur général des services à Mahina au moment des faits, a tenu à s’exprimer. Il a fait valoir une expérience de 30 ans au service des communes de Polynésie dans le secteur financier et juridique. “Vous avez demandé si tout cela était légal”, a-t-il commenté à l’attention du tribunal. “C’est très technique et personne ne pouvait savoir.” Il dit avoir lui-même obtenu deux réponses différentes du haut-commissariat. “Le recours à la délibération n’était pas illégal”, a-t-il soutenu.
 
Mais une plainte a été déposée le 15 janvier 2020 par Patrice Jamet. “Plainte qui a été déposée par des personnes favorables à la délibération”, a fait remarquer au passage Damas Teuira à la barre. L’un des prévenus a d’ailleurs exprimé des regrets le jour de l’audience. “On a engagé une procédure pour contrer la délibération, mais aujourd’hui, je suis désolé de ça.” Une enquête a été lancée et onze personnes ont donc été mises en cause : des élus, conseillers municipaux, adjoints au maire, membre de l’association… La mairie de Mahina ne s’est pas constituée partie civile.
 
Un défaut de raisonnement
 
Après les questions du tribunal, la procureure a pris la parole qualifiant l’instruction “d’extrêmement enrichissante”. “Sommes-nous bien face à des prises illégales d’intérêt et détournement de fonds publics ?” Ce qui ressort de l’enquête, c’est “la temporalité”, “tout s’est joué un peu dans la précipitation” avec cette nécessité de “faire rayonner la culture polynésienne” sachant que le Pays, qui avait un temps annoncé une participation financière, s’était désisté.
 
Le vote de la délibération, selon la procureure, ne doit pas s’entendre en termes de “défaut d’attention”, mais de “défaut de raisonnement”. Elle n’a pas requis l’inéligibilité. “Cela ne me semble pas opportun”, surtout, cette peine exposerait les personnes présentes à “des conséquences trop importantes”. En effet, ces conséquences ne sont pas seulement politiques, l’inéligibilité entraîne également une interdiction d’exercer dans la fonction publique.
 
La procureure a requis en revanche le paiement d’un million de francs (dont 500 000 assortis d’un sursis) contre Damas Teuira, 500 000 francs (dont 250 000 assortis d’un sursis) contre sa femme (vice-présidente de l’association lors des faits) et le président de l’association de l’époque et 200 000 francs (dont 100 000 assortis d’un sursis) contre les autres prévenus.
 
“Est-ce que quelqu’un se sent lésé aujourd’hui ?”
 
Les avocats ont plaidé la relaxe. Eux ont vu défiler à la barre des femmes et des hommes “investis” dans les missions qui étaient et qui restent les leurs.
 
L’affaire a été déclenchée par une plainte “mesquine” et “dérisoire” d’un rival politiquequi n’a même pas la dignité de se présenter devant vous”.
 
Est-ce que quelqu’un se sent lésé aujourd’hui ? Quel est le préjudice ?”, a interrogé l’une d’entre eux. “La matérialité des faits est un peu légère, il y a une absence totale d’intentionnalité et, les fonds publics n’ont pas été détournés, ils ont servi à l’achat des billets d’avion !
 
“J’ai toujours du respect pour cet homme”
 
L’audience s’est terminée à 20 h 30, mardi soir, sur les mots de Damas Teuira. Cette affaire “nous a vraiment beaucoup affectés”, a-t-il expliqué avec dignité. Gagné par l’émotion, il a insisté après plusieurs secondes de silence : “Je n’ai aucune animosité particulière envers Patrice Jamet, j’ai toujours du respect pour cet homme”.
 
Pour finir, le tāvana a tenu à partager quelques considérations à propos de la fonction de maire qu’il qualifie de “sacerdoce”, en raison du dévouement qu’elle exige. “En l’acceptant, tu engages ta personne, ta famille, tu donnes sans compter.” Damas Teuira, en guise d’illustration, a indiqué avoir passé avec son équipe une soirée de plus, la veille, au conseil municipal. Les travaux ont duré jusqu’à 23 heures. Et puis, en devenant tāvana, “tu entres dans la catégorie des personnalités. Alors tu offres ton flanc à tout le monde.” Damas Teuira reste droit dans la tempête, les yeux rivés sur l’avenir de sa commune. “Il y a encore tant à faire.”
 
Le délibéré sera rendu le 10 juin à 8 heures.
 

Rédigé par Delphine Barrais le Jeudi 29 Mai 2025 à 15:07 | Lu 962 fois