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Civen : Les associations de victimes restent critiques


Auguste Uebe-Carlson, président de 193, Yannick Lowgreen, président de l’association Tamarii Moruroa, et Philippe Neuffer, avocat de l’association Moruroa e tatou.
Auguste Uebe-Carlson, président de 193, Yannick Lowgreen, président de l’association Tamarii Moruroa, et Philippe Neuffer, avocat de l’association Moruroa e tatou.
Tahiti, le 24 février 2021 - Décisions arbitraires, inapplicabilité du critère du 1 mSv, taux de refus encore supérieur à 50%, ambigüité des données statistiques : Les associations de victimes restent critiques, malgré un rapport d’activité 2020 du Civen qui confirme la nette amélioration des indemnisations versées aux victimes polynésiennes des essais nucléaires français, depuis trois ans.
 
"C’est du flan. Les chiffres, on leur fait dire ce que l’on veut", réagit mercredi Philippe Neuffer, l’avocat de l’association Moruroa e tatou de défense des anciens travailleurs du nucléaire, à la lecture des chiffres du dernier rapport d’activité du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen), publié par Tahiti Infos. Avec 144 indemnisations versées l’année dernière à des personnes dont la qualité de victime des essais nucléaires est reconnue, et 81% des 506 décisions favorables à une réparation prononcées par le Civen au cours des trois dernières années pour 5,7 milliards de Fcfp d’indemnisations versées, l’activité de l’autorité administrative indépendante est indiscutablement améliorée.
​Rappelons qu'entre 2010 et 2017, seuls 2% des demandes d’indemnisation avaient trouvé grâce aux yeux du Civen, dont à peine 11 pour des victimes polynésiennes.

>> Lire aussi : 144 victimes du nucléaire indemnisées en 2020

Mais dans la dualité entre le Civen et les associations de victimes, le différend semble irrémédiable. "La réalité, c’est que toujours moins de 50% des demandes sont indemnisées, c’est-à-dire que plus de la moitié des dossiers sont rejetés. Et ces chiffres ne font pas la démonstration d’une volonté ferme d’indemniser" constate Philippe Neuffer, pour qui c’est encore trop souvent devant la justice administrative que les plaignants finissent par obtenir gain de cause après des années de procédure.
Un argument du verre à moitié vide que rejoint le père Auguste Uebe-Carlson. Selon le président de l’association 193, les 49% de décisions favorables à l’indemnisation par le Civen, depuis 2018, tiennent autant à de la communication qu’à "l’arbitraire" : "Qu’est ce qui justifie que, pour deux demandes présentées par des malades qui ont résidé durant la même période sur la même île, l’une soit acceptée et l’autre rejetée ? Comment expliquer qu’immédiatement à la suite de grands événements, début 2019, après l’adoption de l’amendement Tetuanui, ou un peu plus tard en novembre lors du passage à Tahiti d’Alain Christnacht, comme par hasard, à chaque fois, une vingtaine de dossiers ont reçu une décision favorable du Civen, sans la moindre audition, sans aucune justification ?"
 
"Ils peuvent manipuler les choses à leur guise"
 
"Il est désormais très improbable que la demande d’une personne dont la maladie a été causée par les rayonnements dus aux essais nucléaires soit rejetée avec le critère du 1 mSv [millisievert, ndlr] et l’approche personnalisée avec laquelle le Civen le met en œuvre", défend Alain Christnacht, le président du Civen, en préambule du rapport d’activité 2020. Mais pour le père Auguste, l’amélioration des chiffres de l’indemnisation n’a rien à voir avec une méthodologie d’examen des dossiers qui serait plus favorable. Il estime en effet que l’application stricto sensu du critère du 1 mSv dans l’examen des demandes ne peut conduire qu’au rejet de la plupart des dossiers, compte tenu de l’absence de mesures dosimétriques suffisantes et "capables de dire avec précision les doses auxquelles ont été exposés les plaignants. Mais il faut que le système fonctionne, parce qu’il y a une loi d’indemnisation…"
Depuis 2018, l’association 193 a transmis 199 dossiers de demande d’indemnisation au Civen, dont 28 en 2020. Pour l’instant, 74 ont reçu une décision favorable, 43 défavorable et 62 sont encore en attente d’audition.
 
Même l’association Tamarii Moruroa, traditionnellement moins critique à l’égard du système d’indemnisation que ses deux homologues, reste sur une forme de réserve et met largement en doute l’objectivité des décisions prises par le Civen. Si Yannick Lowgreen constate une "nette amélioration" dans les indemnisations, le président de Tamarii Moruroa y voit surtout un "effet mécanique. Il y a tout simplement beaucoup plus de dossiers déposés." Quant à la nouvelle méthodologie appliquée depuis 2018 avec le critère du 1 mSv, il estime que ce seuil d’exposition n’est "pas applicable en réalité", compte tenu de l’absence d’étude sur les effets des faibles doses d’exposition aux rayonnements ionisants. Selon lui, l’amélioration depuis 2018 sur le front des indemnisations n'est pas le fait d'un système amélioré, mais des coudées franches dont bénéficie le Civen : "C’est une autorité administrative indépendante : Ils peuvent manipuler les choses à leur guise."

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mercredi 24 Février 2021 à 16:36 | Lu 1321 fois