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Ce que l'on sait de l'affaire JPK


Jean-Pascal Couraud, alias JPK. Photo non datée. (Crédit : AFP)
Jean-Pascal Couraud, alias JPK. Photo non datée. (Crédit : AFP)
PAPEETE, 26 juin 2019 - L'affaire JPK vient de connaître un nouveau rebondissement, mardi, avec le placement en garde à vue de Miri Tatarata et de Francis Stein. Retour sur un dossier judiciaire cold case qui reste jalonné de zones d'ombre, près de 22 ans après la disparition à Tahiti du journaliste d'investigation.

Jean-Pascal Courraud, alias JPK, a disparu durant la nuit du 15 au 16 décembre 1997 dans des conditions qui demeurent aujourd’hui encore inexpliquées. Plusieurs pistes sont étudiées depuis près de 22 ans par les enquêteurs et juges d'instruction pour tenter d'établir les circonstances de cette disparition. Parmi elles, les thèses du suicide ou de l'enlèvement politique de l'ancien journaliste d'investigation, et opposant notoire à l'ancien président Gaston Flosse, ont été longuement explorées.

Aujourd'hui, une information judiciaire demeure ouverte et confiée au juge d’instruction Frédéric Vue. Mardi matin, comme révélé par Tahiti Infos, l’ex-compagne et mère des enfants de JPK, actuelle directrice de l’Environnement, Miri Tatarata, et l’ancien ami du journaliste, aujourd’hui directeur du service du Patrimoine archivistique, Francis Stein, ont été placés en garde à vue au sein de la section de recherches de la gendarmerie, à Papeete, avec la possibilité d’être entendus durant 48 heures. Leurs auditions sont réalisées dans le cadre d’une enquête sur commission rogatoire du magistrat instructeur.

De ces auditions, rien ne filtre. Mais il est vraisemblable que le juge d’instruction soit à la recherche de déclarations concordantes et stables des deux témoins, à propos des dernières heures de la journée du 15 décembre 1997. Une qualité que n’offrent pas, à ce jour, leurs dépositions antérieures. Au fil de leurs nombreuses auditions, depuis celles recueillies dès le lendemain de la disparition de JPK, Miri Tatarata et Francis Stein n’ont cessé de revenir sur leurs versions. Le juge d'instruction notait déjà en 2014 "les incohérences [de leurs] déclarations sur le déroulement de l’après-midi et de la soirée du 15 décembre 1997 et notamment la destruction du mot laissé par Jean-Pascal Couraud".

Déclarations contradictoires

A l'époque, dans la nuit du 15 au 16 décembre 1997, JPK disparaît dans un contexte très intriguant. Au domicile conjugal de Te Maru Ata, sur les hauteurs de Punaauia, son épouse dit avoir découvert une mise en scène, dans la chambre à coucher : un crâne posé sur l’oreiller et un mot que lui aurait laissé le journaliste, mais qu'elle dit avoir détruit. Un mot disant "Où que j'aille, quoi que je fasse, je t’aimerai toujours". Miri Tatarata a commencé par nier, devant les enquêteurs, l’existence de cet écrit trouvé le jour de la disparition. Elle en avait pourtant parlé à plusieurs connaissances. Puis elle a fini par avouer qu’elle l’avait détruit. Miri Tatarata a d'ailleurs été poursuivie pour destruction de preuve sur ce volet du dossier et relaxée en 2004. Elle a ensuite varié à plusieurs reprises dans ses déclarations ultérieures devant les enquêteurs et le juge d'instruction, au sujet de cet écrit. 

Toujours à l'époque de la disparition, les versions ont également varié pour expliquer aux enquêteurs la raison de la présence de Francis Stein, et l'heure de son arrivée au domicile de Te Maru Ata, le soir de la disparition. Incohérences également dans les affirmations faites par Stein au sujet de la portière endommagée de son véhicule et au sujet du luxe de discrétion qu'avait déployé le proche de JPK pour la faire réparer.

Enfin, les deux gardés à vue ont fait des déclarations diverses et contradictoires au sujet de leur possible idylle. Ces dénégations étant mises sur le compte de la pudeur et de la culpabilité par les intéressés.

La double garde à vue de Miri Tatarata et Francis Stein qui a débuté mardi matin doit donc aujourd'hui permettre d'éclairer les zones qui restent encore frappées du sceau de l'incohérence dans ce dossier. La procédure prévoit que ces auditions ne puissent se prolonger au-delà de ce jeudi matin. Il reviendra ensuite au juge d'instruction, Frédéric Vue, de décider des suites à donner à l'affaire en fonction des déclarations recueillies.

Où en est le volet politique du dossier ?

Longtemps l’enquête sur la disparition de Jean-Pascal Couraud s’est exclusivement consacrée à l’hypothèse d’un suicide. Très affecté par les perspectives d’une séparation avec son épouse, déprimé, le jeune père de famille de 37 ans se serait donné la mort en mer, estimaient les premières conclusions de la justice. Il faudra attendre 2005, suite aux révélations de Vetea Guilloux, un ancien membre du Groupement d’intervention de Polynésie (GIP), pour que les investigations s’orientent finalement vers la possibilité d’un enlèvement et d'un homicide.

Deux anciens agents du Groupement d’intervention de Polynésie (GIP), Tino Mara, Tutu Manate et leur chef de service de l'époque, Léonard, dit Rere, Puputauki, sont aujourd’hui encore mis en examen pour enlèvement et séquestration en bande organisée depuis mi-2013, dans le cadre de l'information ouverte pour éclairer ce volet "politique" de l'enquête sur la disparition du journaliste d'investigation.

Selon cette thèse, JPK aurait pu être en possession d’informations mettant en cause Gaston Flosse et Jacques Chirac au sujet d’un compte bancaire ouvert au nom du président de la République de l’époque, dans une banque japonaise. Ce compte bancaire aurait été alimenté depuis la Polynésie, par le chef de l'exécutif local de l’époque et divers hommes d’affaires. Les moyens financiers auraient pu servir à alimenter des circuits de financements politiques métropolitains.

En octobre 2004 Vetea Guilloux affirme avoir été témoin de l'enlèvement de JPK, fin 1997. Un soir de beuverie, peu de temps après, dans le hangar de la flottille administrative à Motu Uta, deux de ses collègues, Tino Mara et Tutu Manate, lui auraient même avoué avoir "liquidé" le journaliste popa’a au large de Tahiti, après avoir tenté de l’intimider au point de le noyer. Le corps aurait ensuite été abandonné lesté de quatre parpaings, sur ordre téléphonique de Rere Puputauki, le patron des GIP.

En décembre 2008 l’enquête sur la disparition de JPK met en évidence l’existence d’une note de 14 pages, connue de la Présidence de Polynésie française dès septembre 1997 et communiquée la même année à Paris, aux services secrets français (DGSE). Ce document à charge, fait l’inventaire d’un certain nombre d’opérations financières délictueuses prêtées à Gaston Flosse et s’intéresse surtout à l’existence d’un compte bancaire ouvert dans la capitale japonaise au nom de Jacques Chirac, à la Tokyo Sowa Bank. L’information sera confirmée sous X par un agent de la DGSE, en novembre 2009.

Cette note est apparue comme un mobile pouvant expliquer une tentative d'intimidation du journaliste. Entreprise musclée qui aurait mal tourné, comme l'estime le grand reporter de France Inter Benoît Collombat dans l'ouvrage "Un homme disparaît : l'affaire JPK" (éd. Nicolas Eybalin) publié en mars 2013.

"A cela se rajoute le fait que ceux à l’encontre desquels il existe des indices graves et concordants d’être les auteurs de la disparition et de l’assassinat de Jean-Pascal Couraud, apparaissent au fil des investigations être en partie les mêmes qui ont pris des initiatives, parfois brutales pour faire pression sur les témoins, les intimider, les faire taire et même les amener à se rétracter", précise la note finale récapitulative adressée au juge Redonnet, prédécesseur de Frédéric Vue, le 14 février 2013, et consignée par Maîtres William Bourbon, James Lau et Marie Eftimie-Spitz. Tous trois soutenaient alors la thèse d’un assassinat du journaliste en adossant leurs analyses sur 15 ans d’actes d’instruction.

Aujourd'hui, le volet politique de ce dossier n'est toujours pas officiellement refermé et les trois ex-GIP restent mis en examen.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mercredi 26 Juin 2019 à 11:26 | Lu 14072 fois