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Ce que dira la présidentielle au fenua


Tahiti, le 6 avril 2022 – Le scrutin aura lieu samedi en Polynésie. Si l'élection présidentielle est la grand-messe de la cinquième République en métropole, elle est surtout utilisée au fenua pour mesurer les forces relatives des partis politiques en vue des législatives et surtout des élections territoriales.
 
"Une élection en cache toujours une autre", prévient le politologue Sémir Al Wardi, maître de conférences en science politique à l'université et observateur de longue date des phénomènes électoraux en Polynésie. Certes, la séquence est connue de tous. L'élection présidentielle, dont le premier tour est prévu samedi, se tient à deux mois des élections législatives et à un an des élections territoriales. Et si l'élection présidentielle est généralement considérée comme un suffrage aux enjeux éloignés du quotidien des Polynésiens, "les législatives sont considérées comme une élection locale", pose Sémir Al Wardi. "À la présidentielle, il s'agira de se compter. Les partis politiques vont observer de près les scores qu'auront faits les uns et les autres dans les trois circonscriptions législatives. C'est ça qui va donner un avant-goût des résultats attendus en juin. Mais surtout, le plus important est l'élection territoriale de l'année prochaine. Les partis ont besoin de se compter d'ici avril 2023. Il n'y a pas d'autres élections. Et en l'absence de sondages, reprend le politologue, l'unique moyen de se compter et de savoir combien on pèse, la présidentielle et les législatives sont une très bonne indication. On se sert de chaque élection, comme une indication précise de ce qui se passera à la prochaine élection. Une élection en cache une autre à chaque fois."
 
Consignes suivies
 
Pour tous ces scrutins, une grande majorité des électeurs locaux, entre 85 et 95%, fonctionne sur le principe du vote "affectif" en suivant les consignes de leur leader politique. "Le clivage gauche-droite de la vie politique nationale n'a pas de sens au niveau local. Les électeurs s'en désintéressent totalement. Et pour cette majorité, à chaque élection présidentielle, seules comptent les directives des tāvana, des leaders politiques et du président de la Polynésie", insiste Sémir Al Wardi. Ce phénomène a pu être clairement observé en 2017. Au premier tour de scrutin, le candidat Emmanuel Macron n'avait le soutien d'aucun poids lourd politique local. Le Tahoera'a soutenait Marine Le Pen, le Tapura appelait à voter François Fillon, le Tavini prônait déjà l'abstention. Dès septembre 2016, des consignes de vote avaient été dispensées par le Tapura et par le Tahoera'a : "En tenant compte des primaires, chacun va changer trois fois de consigne de candidat : Sarkozy, Fillon, Marine Le Pen pour Gaston Flosse ; Juppé, Fillon, Emmanuel Macron, pour Édouard Fritch. Au premier tour, le vote François Fillon l'avait emporté sans surprise avec 35,28% des suffrages, suivi de près par le vote Marine Le Pen (32,54%). Mais avec le soutien du Tapura, Macron va passer de 14,7% à 58,4% au second tour." Aux législatives qui s'étaient tenues deux mois plus tard, le plébiscite en faveur du champion Tapura s'était concrétisé pour les candidats du parti rouge et blanc sur la 2e et 3e circonscription électorale, où Maina Sage et Nicole Sanquer avaient tiré leur épingle du jeu. Sur la 3e circonscription, Moetai Brotherson avait été poussé par le soutien du Tahoera'a. Quelques mois plus tard lors des territoriales de 2018, le Tapura avait concrétisé son avance avec 49,18% des voix sur l'ensemble de la Polynésie et son hégémonie sur l'assemblée, en prenant 38 sièges sur les 57 de l'hémicycle.
 
Pour le prochain scrutin présidentiel, le Tapura huiraatira appelle à voter Emmanuel Macron, tandis que Gaston Flosse s'est ouvertement positionné en faveur de Valérie Pécresse. Si la qualification pour le second tour du président sortant semble assurée aujourd'hui, il y a fort à parier que le Vieux Lion appellera à voter pour le ou la candidat(e) qui arrivera à se qualifier pour le scrutin du 23 avril. Dans ce contexte, il sera utile d'observer son score du premier tour au fenua, pour jauger l'influence d'une éventuelle consigne de vote orange.
 
Un vote nouveau
 
Toute capitale qu'elle soit au plan hexagonal, l'élection présidentielle n'aura lieu samedi qu'en préambule à deux scrutins clés de la vie politique polynésienne. "Les résultats seront regardés à la loupe, commune par commune, comme une indication sur ce qui va se passer" en juin et en avril prochains, assure le politologue. L'occasion pour les partis d'ajuster leur campagne de terrain en vue de ces échéances.
 
Reste que le phénomène Macron observé au premier tour de la présidentielle de 2017 semble annoncer l'étiolement de la prédominance du vote affectif au fenua. Ce vote avait créé la surprise en rassemblant 14,7% des suffrages en sa faveur, sans le moindre soutien local. Sémir Al Wardi y voit les prémices de la progression d'un vote nouveau "plus éclairé" qui représentait jusqu'alors une part marginale de l'ordre de 5%. Un vote exprimé par "des minorités éduquées, des demis, des popa'a, etc.", selon Sémir Al Wardi. "Ce qu'on peut imaginer, c'est que la part de ceux qui votent en toute connaissance de cause va continuer à progresser. On peut imaginer que cette année, 20% des gens vont voter en connaissance de cause". Une tendance qu'il faudra surveiller.

​Résultats des derniers scrutins en Polynésie

2017
Au 2nd tour, 58,39% des voix en faveur d'Emmanuel Macron (LREM) soutenu par le Tapura huiraatira, contre 41,61% à Marine Le Pen (RN) (Tavini), soutenue par le Tahoera'a huiraatira.
Nombre d'inscrits au second tour : 203 973 ; Taux de participation : 46,89% ; Abstention : 53,11% ; 89 697 votes exprimés, dont 3,42% blancs et 2,79% nuls.
Au 1er tour, 35,28% des voix en faveur de François Fillon, soutenu par le Tapura, 32,54% en faveur de Marine Le Pen, soutenue par le Tahoera'a, 14,7% pour Emmanuel Macron, soutenu par Heimana Garbet.
 
2012
Au 2nd tour, 53,06% des voix vont à Nicolas Sarkozy (UMP) avec le soutien du Tahoera'a, contre 46,94% à François Hollande (PS) soutenu par le Tavini huiraatira.
Nombre d'inscrits au second tour : 186 938 ; Taux de participation : 58,94% ; Abstention : 41,06% ; 99 558 votes exprimés, dont 9,64% blancs et nuls.
Au premier tour, Nicolas Sarkozy (UMP), avait récolté 45,21% des voix tandis que 32,43% des votes exprimés étaient crédités pour François Hollande et 5,73% des votes en faveur de la représentante FN Marine Le Pen.
 
2007
Au 2nd tour, 51,9% des voix vont à Nicolas Sarkozy, Union pour un mouvement populaire (soutenu par le Tahoera'a), contre 48,1% à Ségolène Royal, Parti socialiste, soutenue par la plateforme souverainiste UPLD-Tavini.
Nombre d'inscrits au second tour : 167 577 ; Taux de participation : 74,67% ; Abstention : 25,33% ; 123 429 votes exprimés, dont 1,37% blancs et nuls.
Au premier tour, Nicolas Sarkozy, Union pour un mouvement populaire, avait récolté 45,23% des voix tandis que 41,68% des votes exprimés étaient crédités pour Ségolène Royal, Parti socialiste.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Jeudi 7 Avril 2022 à 15:52 | Lu 1812 fois