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Bruno Saura explore l'histoire ancienne de Rurutu


Tahiti, le 06 décembre 2022 – L'anthropologue Bruno Saura publie L'histoire ancienne de Rurutu, un ouvrage de la collection des Cahiers du patrimoine qui retrace l'histoire de cette île des Australes à partir notamment des écrits rédigés par les habitants de Rurutu eux-mêmes.
 
Bruno Saura, anthropologue et professeur de civilisation polynésienne à l'Université de la Polynésie française, vient de publier L'histoire ancienne de Rurutu. Un ouvrage de 356 pages dans lequel il explore le passé de l'île, depuis son peuplement initial vers l'an 1 000 avant Jésus-Christ jusqu'au XIXe siècle. Pour cela, il s'appuie sur les puta tupuna, des manuscrits traditionnels, rédigés par les Rurutu eux-mêmes après l'introduction de l'écriture à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, pour conserver ce qui jusqu'alors se transmettait oralement. Ce sont les livres des ancêtres, écrits sur des cahiers de comptabilité, dans lesquels il y avait les généalogies, des légendes, parfois aussi des recettes de cuisine ou de médicaments traditionnels. C'est une richesse que nos ancêtres ont voulu préserver par l'écriture”, explique le ministre de la Culture, Heremoana Maamaatuaiahutapu.
 
La naissance de cet ouvrage aura été un travail historique et ethnographique de longue haleine. “J'ai commencé ça quand j'avais 25 ans”, indique Bruno Saura. “J'ai mis un an à écrire le texte, mais c'est un travail de réflexion et de récolte qui a été beaucoup plus long.” C'est le fruit de rencontres, pendant des années, avec les 'orero (orateurs) et 'ara'ia (prêtres, spécialistes) de l'île, au cours de nombreux voyages. L'auteur compare les puta tupuna qu'ils a réunis pour dresser la grande histoire du peuple de Rurutu, avec ses dieux, ses marae, ses héros, ses rois, leurs exploits et leurs coutumes.
 
Une richesse culturelle
 
Avec L'histoire ancienne de Rurutu, le ministère de la Culture sort la 9e édition de ses Cahiers du patrimoine. Les premiers avaient été publiés entre 2000 et 2005. Après 17 ans de mise en sommeil, le ministère a souhaité les relancer afin d'“inviter la population à prendre conscience de la richesse de la culture des îles polynésiennes”.
 
L'histoire ancienne de Rurutu est tiré à 2 000 exemplaires et disponible au tarif de 1 600 Fcfp à la Maison de la culture et à partir de début mars au Musée de Tahiti et des îles, lors de sa réouverture.

Bruno Saura, anthropologue et auteur de L'histoire ancienne de Rurutu : “Les gens de Rurutu ont écrit eux-mêmes leur propre histoire”

Vous vous êtes jusqu'ici plutôt intéressé à l'histoire contemporaine. Pourquoi vous êtes-vous cette fois-ci intéressé à l'histoire plus ancienne ?
“Un anthropologue, c'est quelqu'un qui essaie de voir ce qu'il reste d'hier dans aujourd'hui. Je me suis toujours intéressé à l'histoire contemporaine parce que c'est important de savoir dans quelle société nous vivons. Après, les temps anciens n'intéressent pas forcément tout le monde, mais les Polynésiens savent que tout n'a pas commencé au moment de l'arrivée de l'autre et tout ce qui est pré-Européens, les dieux, les généalogies anciennes, c'est leur histoire."
 
Pourquoi avoir choisi Rurutu précisément ?
“L'île de Rurutu est sans doute l'île de Polynésie française où il reste le plus de temps ancien dans le temps présent. Parce que c'est l'île où la tradition orale est la plus présente encore. Pour une raison notamment de terres, parce que c'est une île où les déclarations de propriété foncière n'ont pas été faites comme à Tahiti. Donc pour prouver qu'ils sont propriétaires de terres, ils passent encore par la généalogie. J'aime beaucoup Rurutu, j'y ai toujours été très bien accueilli. J'ai beaucoup vécu aux îles Sous-le-Vent et il y a des liens entre Rurutu et les îles Sous-le-Vent. Mon ouvrage, c'est un peu sur ces éléments de lien entre Rurutu et les autres îles.”
 
Quels sont ces liens ?
"Notamment le peuplement de Rurutu, parce que les gens de Rurutu, qui ont écrit eux-mêmes leur propre histoire, racontent que l'île n'a pas toujours été peuplée mais que des pirogues sont arrivées de là ou de là. Est-ce que c'est vrai ou c'est faux ? En tout cas, ils l'ont écrit, c'est ce qu'ils pensent, et on n'a pas ça dans les autres îles. Les Tahitiens n'ont pas une tradition de leur migration qui viendrait des îles Cook ou des Samoa, alors qu'ils en viennent certainement, et ils n'ont pas écrit ça. Donc les Rurutu, non seulement ont une tradition orale vivante et variée, et en plus ils ont écrit leur tradition orale. Donc c'est à la fois fascinant par la richesse de la tradition orale et des écrits. Ils se prêtent des ancêtres qui viennent de différentes îles, et parmi ces ancêtres, il y a un certain Hiro de Taha'a, Raiatea autour du XIIIe siècle qui a beaucoup marqué les Australes. Les îles Australes, les îles Cook, les îles du Vent et Sous-le-Vent forment véritablement un ensemble d'une même aire culturelle."
 
Vous dites, on ne parle pas d'un mais de plusieurs Hiro ?
“C'est la spécificité de Rurutu. Normalement il y a un seul personnage de Hiro. À Rurutu, il est semi-divinisé et ils sont cinq, six, sept… Vraisemblablement, Hiro était tellement important que beaucoup de gens ont eu envie de descendre de lui. Donc ils ont multiplié les Hiro, comme ça de nombreuses familles se rattachent à lui. On retrouve la même chose en Nouvelle-Zélande avec le personnage de Maui.”
 
Dans toutes les sources auxquelles vous avez eu accès, est-ce qu'il y a des choses qui vous ont surpris ?
“Il y a des choses que je connais et qui me surprennent toujours, c'est le fait que les gens de Rurutu, à partir des années 60, se sont mis à dire qu'ils avaient des ancêtres Incas. Il n'y a pas ça dans les puta tupuna, les cahiers de traditions, avant 1960. Donc c'est une tradition assez récente. En fait, ils ont des ancêtres qui étaient liés à la couleur rouge, aux plumes rouges, qui sont des plumes très glorieuses pour les Polynésiens, mais ce n'étaient pas des gens qui avaient la peau rouge. Mais il y a eu cette déformation qui s'est mise à apparaître dans les années 60, et maintenant, beaucoup de gens de Rurutu, parce que leurs parents ou leurs grands-parents ont déjà entendu ça, croient dur comme fer que leurs ancêtres venaient d'Amérique du Sud et étaient des Incas. Là-dessus, on ne sera pas forcément d'accord, mais je les laisse dire ce qu'ils veulent. La tradition orale évolue, elle est vivante.” 

Rédigé par Anne-Laure Guffroy le Mardi 6 Décembre 2022 à 16:46 | Lu 1483 fois