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Aux assises : Eva, 24 ans, mère infanticide "plus victime que coupable"


Aux assises : Eva, 24 ans, mère infanticide "plus victime que coupable"
La cour d'assises de Papeete s'est penchée sur une affaire humainement douloureuse, mercredi 19 septembre. Une journée d'audience durant laquelle le tribunal a tenté de comprendre ce qui a poussé Eva, 22 ans le 1er avril 2010, a donner la mort à son bébé nouveau né -- une fillette --, en lui assénant plusieurs coups d'une bouteille de whisky sur le crâne, alors qu'elle venait d'accoucher par terre et seule dans son appartement de Fariipiti, à Papeete, après avoir passé 9 mois à camoufler sa grossesse.

Conçu dans l'adultère avec Ronaldo, son amant, le petit être ne pouvait exister.

Eva et son bébé

L'enfant mort-né avait été placé au congélateur, emballé encore saignant dans un sac poubelle, et laissé là pendant 13 jours. La veille du retour de son concubin, marin sur le Kura Ora, goélette aux Tuamotus, Eva avait finalement transporté le petit cadavre dans un sac isotherme jusqu'à Faa'a, en truck, au domicile parental, où la jeune mère l'avait enterré au fond du jardin "comme ça, je savais que bébé serait près de moi", a-t-elle expliqué au juge, d'une voix tremblante et à peine audible.

Le petit cadavre avait été déterré par des chiens, après plusieurs jours.

Le visage plongé dans ses mains, alors que les témoins défilent à la barre; la voix ténue, la douleur incarnée et la larme facile lorsqu'elle est appelée à s'exprimer : la jeune mère infanticide comparait libre, mercredi, devant les six jurés qui auront à se prononcer sur son sort en fin de journée. "Je regrette ce que j'ai fait", sanglote-t-elle, "si je pouvais revenir en arrière..."

Elle encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Et on suppose déjà à l'exposé des faits que, muré au fond de son âme, le souvenir de ce fatal jour où elle exécuta son enfant la contemple pour toujours, douloureusement.

L'avocat général a requis 5 ans de réclusion dont trois années de mise à l'épreuve, au terme d'un exposé extrêmement compassionnel de l'affaire.
Eva est sortie de prison le 19 avril 2011, après avoir fait une année de détention provisoire pendant l'information judiciaire. Elle a déjà exécuté une peine.

Au terme des délibérés mercredi, les six membres du jury ont rendu un verdict abondant clairement dans ce sens : cinq ans de réclusion dont quatre avec sursis, et une obligation de soins psychologiques. Eva quitte les assises libre.

Me Benoît Bouyssie, le conseil d'Eva leur avait rappelé, "En condamnant Eva, vous ferez preuve de justice ; en la laissant libre vous ferez preuve d'humanité", achevant une plaidoirie dans laquelle il s'est minutieusement attaché à présenter sa cliente "plus victime que coupable".

Eva est jugée pour infanticide. "Comment ce qui semble la plus belle aventure d'une vie d'adulte a-t-il pu devenir un tel calvaire ?", s'est interrogé Me Bouyssie. "Quel degré de misère, de désespoir faut-il atteindre pour commettre un tel acte ?".

Les réponses se trouvent dans la "prison sans barreau", "le mur du silence" de l'environnement familial de la jeune femme. Et un à un, il met en lumière les personnages de cette tragédie :

Louis

Le père d'abord. Louis qui a adopté Eva en 1988. Elle n'avait alors que six mois. Le quinquagénaire est un homme simple, généreux et honnête. Il est artisan menuisier-ébéniste aux revenus modestes. Il fait vivre sa famille, mais on ne peut pas dire qu'il soit pater familias au foyer : il lui manque la nécessaire autorité devant les siens.
Mais il aime sa fille adoptive, sans avoir jamais pu lui être d'aucun secours, lui qui stupéfait a découvert le corps du nouveau-né, dans un sac poubelle un beau matin en faisant du jardinage, le 17 avril 2010. Louis n'a pas d'autorité mais beaucoup de compassion : "Je ne lui en veux pas du tout. Elle était prise dans un engrenage fou, elle a perdu pied, enfermée en elle-même", a-t-il avoué à la barre.
La culotte à la maison, c'est Lina qui la porte, la mère.

Lina

Dans cette famille de Faa'a, la régente porte le doux nom de Lina. D'origine Vanuatu, quinquagénaire, elle s'exprime peu avec des mots et beaucoup avec des coups. A la barre, ses réponses sont sèches et brèves, intimidées par la cour. A la maison, au choix, il y a le bois, la ceinture, le balai niau ou le cordon électrique du rice cooker, dans son registre argumentaire, et beaucoup de cris et d'ordres. Une mère qui ne dit pas je t'aime.
Lina a eu Eva d'une relation éphémère avec un légionnaire de passage à Tahiti, en 1987.
A la maison, elle est omniprésente, extrêmement autoritaire et a l'esprit engourdi par de fortes valeurs religieuses. Pour elle, tout tourne autour de la morale, de la religion et de l'argent. Son époux ne fait pas compte joint à la banque. Il lui donne ce qu'il peut à la faveur de ce qu'il gagne. Mais quand Eva trouve finalement un emploi dans un centre commercial, c'est Lina qui tiendra les cordons de la bourse : elle a la carte de retrait et dispose du compte à sa guise, en bonne "Thénardier des logis", commente Benoît Bouyssie.
Inutile de parler d'enfant hors mariage avec Lina : elle a changé ; elle ne comprend plus ce langage. Alors avec un amant... "Cette mère à qui il est si difficile d'avouer cet enfant", commente Me Bouyssie. "Qui vivrait ça comme une trahison. Et puis les gens en parleraient : dans la famille, le voisinage et peut-être même à l'église...". Question de réputation...

Le concubin

John, 35 ans, a partagé sa vie avec Eva pendant trois ans sur le papier. Le crâne rasé, le visage expressif et sévère, du haut de ses 1,85 m, baraqué, John a le commentaire abruti mais sûr de lui. Marin sur le Kura Ora, il est régulièrement absent du foyer conjugal pour des campagnes de 6 semaines en mer. Il est capitaine en second. Il a des projets ; il fait carrière et ne veut pas d'enfant. C'est un homme violent et sexuellement dérangé: John a violé Simone, la soeur cadette de Eva en 2009. Tout le monde le sait dans la famille. Mais on continue à le recevoir. C'est une brute froide, buveur à l'excès et frappeur.

Il comparait menottes au poing à la barre, mercredi pour témoigner, encadré de gendarmes. Il purge une peine de huit ans d'emprisonnement pour des faits d'agression sexuelle. Le menton haut et le regard vengeur, il finira par haranguer la cour, droit dans ses bottes, en la sommant de "punir" Eva, si elle a fait quelque chose de mal, laissant l'assistance très dubitative.
Eva s'est jetée dans ses bras en 2007, pour fuir l'enfer du foyer familial. Très régulièrement il la bat. Ils n'ont plus de relation sexuelle que devant des films pornographiques. Comment trouver le courage de lui avouer la présence de cet enfant ? Cet enfant qui n'est même pas de lui.

Ronaldo

L'enfant est de Ronaldo. Eva a rencontré le jeune homme de 35 ans lors d'un stage professionnel. Ensemble "ils tripent". Lorsqu'ils se voient, le soir, c'est pour boire, fumer du cannabis et parfois de l'Ice. Eva recherche de l'affection dans cette relation. Elle ne se protège pas lors de leurs rapports sexuels parce qu'elle "l'aimait", avoue-t-elle à la cour.
Ronaldo n'aura pas le loisir de connaitre la grossesse d'Eva : ils se séparent avant, lorsqu'elle lui avoue son désir de se consacrer entièrement à John.
Eva passera les cinq derniers mois de la gestation murée dans le silence, seule et perdue dans une mauvaise estime d'elle-même. Elle prendra sans cesse les plus mauvaises décisions jusqu'au jour fatidique.

En la laissant libre, mercredi, le jury a probablement estimé que dans les années à venir la souffrance personnelle de l'accusée était bien assez lourde à porter et que ni sa rédemption ni sa réinsertion sociale, ne seraient choses faciles.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mercredi 19 Septembre 2012 à 13:11 | Lu 2759 fois