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A Grand-Santi, dans l'ouest de la Guyane, ces habitants qui n'existent pas


Grand-Santi, France | AFP | jeudi 22/05/2019 - Dans l'ouest guyanais, à Grand-Santi, l'une des communes les plus vastes de France, beaucoup d'habitants ne sont pas inscrits à l'état civil. Une situation qui découle de l'histoire coloniale et du fonctionnement erratique des déclarations à la naissance et de la tenue des registres.

Pour tenter de clarifier la situation, le gouvernement a lancé en 2013 une campagne d'attribution d'un état civil dans tout l'ouest guyanais, et notamment à Grand-Santi, territoire historique des Noirs-Marrons - esclaves révoltés du Suriname - sur le fleuve Maroni, à plusieurs heures de pirogue et une heure d'avion de Cayenne.
Selon Catherine Benoît, professeure d'anthropologie franco-américaine qui étudie le cas de la Guyane française, "le fonctionnement de l'état civil" sur le Maroni "fut, jusqu'à récemment, des plus chaotiques".
Fin 2013, explique-t-elle, "la mairie avait signalé "que plusieurs centaines de personnes résidant et nées à Grand-Santi n'avaient pas d'état civil". Le maire de cette commune de 8.600 habitants, qui parlent majoritairement le Ndjuka (créole à base lexicale anglaise), avait alors déposé entre "200 et 300 demandes" d'état civil au tribunal de grande instance de Cayenne, selon l'anthropologue. 
"Les problèmes d'état civil ne sont pas encore réglés", confirme Myriam Toulemonde, directrice générale des services, même si une "grande campagne" de régularisation a été de nouveau menée "il y a trois ans" dans cette zone voisine du Suriname.
L'enregistrement des Noirs-Marrons à l'état civil a débuté dans les années 1950. Mais des années plus tard, "bien des parents ne voyaient pas l'intérêt" de déclarer leur enfant, "ignoraient" la procédure ou "s'opposaient à laisser toute trace officielle d'enregistrement", explique à l'AFP Mme Benoît. Les femmes accouchaient à leur domicile où dans l'hôpital surinamais voisin, ce qui ne facilitait pas les déclarations de naissance.
"Beaucoup de gens n'ont pas de papiers", regrette Georges Antéima Apagui, chef coutumier. Debout sous un imposant manguier, le patriarche rappelle que sans papiers, "on ne peut pas créer une entreprise de pirogues. On ne peut pas voter". 
Et les parents ne peuvent pas accompagner leurs enfants sur le littoral "pour préparer la rentrée scolaire", car ils sont "contrôlés par les gendarmes" sur la route, ajoute l'homme de 64 ans.
 

- "Défaillances administratives" -

 
"Les difficultés d'accès à l'état civil, au jugement déclaratif de naissance et à la nationalité participent de la création d'une nouvelle catégorie d'étrangers, celle de +l'autochtone en situation irrégulière+ rendu étranger à son territoire ancestral et sa généalogie", estime Catherine Benoît.
Sans papiers, les gens se retrouvent sans emploi ni aide sociale "et ne peuvent pas payer la pirogue scolaire. C'est pour ça que les femmes vendent le manioc et le cacao qu'elles cultivent pour gagner un peu d'argent", rapporte Adèle, agent au centre de santé de Grand-Santi.
En 2017, le Défenseur des droits relevait en Guyane "de nombreuses défaillances administratives" rendant "difficile, voire inopérant, le principe d'égal accès aux droits et aux services publics".
Pour faciliter les démarches, un décret de mars 2017 a allongé le délai de déclaration de naissance dans les communes de l'intérieur guyanais à "huit jours" (contre cinq ailleurs en France).
Des "+missions CNI+ (carte nationale d'identité, ndlr)", itinérantes sur le fleuve, ont été mises en place il y a plusieurs années et "rencontrent une grande affluence" selon la préfecture. Depuis 2019, elles sont "bimensuelles" et reçoivent "une centaine de personnes par jour". Des "permanences passeports et immigration" sont aussi tenues par des agents préfectoraux.
Au total, 44% des habitants de Grand-Santi n'étaient pas français en 2015, selon l'Insee. 
Une situation aussi liée à la création, en 1891, d'une frontière tracée par la Hollande et la France le long du Maroni, en plein milieu des lieux de vie Ndjukas.
Plus récemment, les persécutions liées à la guerre civile surinamaise (1986-1992) et "le système scolaire français qui est beaucoup plus performant que celui surinamais", ont entraîné le rapprochement des familles sur la rive guyanaise, explique l'historien guyanais Jean Moomou.
Selon lui, "dans l'imaginaire des gens, la frontière géopolitique n'a pas d'existence, c'est plutôt un trait d'union".

le Jeudi 23 Mai 2019 à 05:41 | Lu 1100 fois